2.3.1 - La loi d’orientation de 1960 définit le profil de l’ingénieur d’application

Après avoir présenté les missions données à l’enseignement agricole, voyons les transformations de l'enseignement supérieur agricole, puis les fonctions données aux ingénieurs de terrain. Enfin, nous nous demanderons quelle est la place donnée aux sciences sociales dans la formation des ingénieurs.

Le texte relatif à l’enseignement s’inscrit dans le prolongement des réformes de 1959 (prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans, réforme de l’enseignement public). Il est motivé ‘« par l’impérieuse nécessité d’adapter les structures de l’enseignement agricole à l’évolution et aux aspirations du monde rural »’ 204 .

L’objectif est de donner aux élèves des deux sexes une formation professionnelle associée à une formation générale. Il faut que les jeunes agriculteurs puissent acquérir les connaissances nécessaires à l’exercice d’une agriculture moderne, mais aussi qu’ils reçoivent une éducation générale, qui leur permettra de s’orienter vers d’autres professions que celles de l’agriculture. Le dispositif mis en place est conçu de telle sorte que tout élève ait la possibilité de s’orienter en cours d’études vers une formation de nature différente. Inversement, les élèves provenant d’une autre formation devront pouvoir accéder à l’enseignement ou à la formation professionnelle agricoles de même niveau. L’enseignement public et l’association de l’Etat à un enseignement privé valable interviennent à tous les degrés. Le dualisme entre enseignement agricole public et enseignement privé est, en quelque sorte, dépassé. L’objectif est la formation des agriculteurs et des cadres de l’agriculture, de manière à ce que le monde agricole profite du progrès technique, économique et scientifique.

L’enseignement agricole et la formation professionnelle agricole relèvent du ministère de l’Agriculture. Il donne son avis sur les projets de création des établissements. Un conseil de l’enseignement et de la formation professionnelle agricoles, sous la présidence du ministre de l’Agriculture, étudie les mesures nécessaires au développement des établissements d’enseignement agricole. Par ailleurs, les établissements d’enseignement ou de formation professionnelles agricoles privés peuvent être reconnus par l’Etat, sur leur demande.205

En développant l’enseignement agricole, le gouvernement cherche à faire en sorte que l’agriculture et les agriculteurs ne forment plus un secteur, un monde à part, au sein de la société. La loi, véritable acte de naissance de l’enseignement professionnel agricole, lui a permis un développement considérable. Le nombre de lycées agricoles masculins a plus que doublé entre 1962 et 1969. Le nombre de collèges féminins a presque doublé pendant la même période. Le doublement des effectifs a été assuré entre 1962 et 1969.206

L’enseignement supérieur est lui aussi profondément modifié.

‘« L’enseignement supérieur agricole assure, au-delà du baccalauréat ou de titres reconnus équivalents, la formation d’exploitants hautement qualifiés, d’ingénieurs d’agriculture spécialisés, d’ingénieurs horticoles, d’ingénieurs des industries agricoles et alimentaires, d’ingénieurs agronomes à vocation générale et de docteurs vétérinaires. »207

Pour chaque formation, le texte précise ses missions et définit le profil des ingénieurs. Un groupe d’écoles se trouve chargé de la formation des ingénieurs d’application, destinés en priorité au développement agricole, tandis que l’autre forme les ingénieurs de conception, pour répondre aux besoins des corps techniques de l’Etat, de la recherche et de l’enseignement ainsi qu’aux besoins des entreprises privées.

‘« La formation des ingénieurs d’agriculture spécialisés répond à des besoins exprimés par les pouvoirs publics et la profession agricole.
Les pouvoirs publics ont besoin de professeurs pour les collèges agricoles et les cours professionnels, de responsables pour les équipes de conseillers agricoles dans le cadre de la petite région agricole et, d’une façon plus générale, d’ingénieurs d’exécution pour les divers services techniques.
La profession a besoin, de son côté, d’un nombre de plus en plus grand « d’ingénieurs d’application », destinés plus particulièrement aux groupements de vulgarisation et de progrès... Ces ingénieurs, travaillant en liaison avec les ingénieurs de conception au service de la profession, rendront plus efficace l’action professionnelle.
Pour dispenser cette formation, le décret prévoit la création d’écoles nationales spécialisées, qui recrutent sur concours au niveau du baccalauréat ou sur titres...
La formation des ingénieurs spécialisés en agriculture, assurée par l’enseignement public ou privé, doit satisfaire aux exigences de la commission des titres d’ingénieurs ».208

Neuf établissements du secteur public délivrent le diplôme d’ingénieur des techniques agricoles tandis que les études effectuées au sein des établissements privés permettent d’obtenir le titre d’ingénieur en agriculture. De nouvelles écoles sont créées, tant dans le secteur public que privé : l’Institut de biologie appliquée à la nutrition et à l’alimentation (ENSBANA), à l’université de Dijon, les Ecoles nationales des ingénieurs des travaux agricoles de Bordeaux, Angers, Clermont-Ferrand, Dijon, et l’Ecole nationale d’ingénieurs des travaux des industries agricoles de Nantes. Les écoles d’ingénieurs des travaux forment des ingénieurs d’exécution, le plus souvent spécialisés dans une branche déterminée (horticulture, machinisme, etc.). L’Institut supérieur d’agriculture de Lille (I.S.A.) est créé en 1965.

La formation des ingénieurs agronomes à vocation générale est dispensée par les écoles nationales supérieures agronomiques,209 établissements à la fois d’enseignement et de recherche. Des mesures ont été mises en oeuvre pour assurer un développement d’ensemble de l’enseignement agronomique français, notamment la création d’une commission consultative permanente.210

Le dispositif compte vingt-quatre établissements publics et sept établissements privés211 qui, reconnus par le ministère de l’Agriculture, peuvent recevoir des subventions de fonctionnement. Ses missions ne verront pas d’importantes modifications jusqu’en 1984, date à laquelle sera engagée la rénovation de l’enseignement agricole.

En 1978, 6400 élèves suivent la filière de l’enseignement supérieur, cycle long. 4500 sont dans les établissements publics et 1900 dans les établissements privés.212 450 ingénieurs d’agronomie environ sont formés, dans les six grandes écoles publiques.213

Le texte de 1960 a défini deux profils d’ingénieurs qui se distinguent par leur fonction et leur formation. L’ingénieur agronome est un ingénieur de conception214. Il reçoit une formation généraliste, tournée vers la recherche, alors que l’ingénieur d’application sera formé en vue de l’application de la science et de la technique. Il répond aux attentes de la profession agricole et assure la diffusion des nouvelles connaissances sur le terrain. Le dispositif procède d’une logique qui va de la théorie à la pratique, de la science vers la technique, puis vers la pratique.

Notes
204.

DEBRÉ (M.) : « Textes d’application », Documents relatifs à la Politique Agricole, 1960-1962, La Documentation Française, Paris, 1962, p. 92.

205.

« L’enseignement et la formation professionnelle agricoles - Loi du 2 août 1960 », Documents relatifs à la Politique Agricole - 1960 - 1962, La Documentation Française, 1962, pp. 90 - 91.

206.

VIAL (A.) : « L’enseignement agricole à ce jour. Qu’est-il ? Que devra-t-il être ? », Paysans, 1971, n°89, pp. 64-75.

207.

Textes d’application de la loi du 2 Août 1960, op. cit., p. 94.

208.

idem, pp. 94 - 95.

209.

idem, p. 96.

Dans le passé, la formation agronomique a été assurée par l’Institut national agronomique (Paris), les écoles nationales d’agriculture (Grignon, Montpellier, Rennes, Alger) qui dépendent du ministère de l’Agriculture et par les écoles nationales supérieures agronomiques (Toulouse, Nancy). L’Institut national agronomique a toujours joué un rôle de premier plan, à la fois par la qualité de son recrutement et de son enseignement, par sa vocation propre et par sa situation géographique. Les écoles nationales se sont efforcées d’améliorer sans cesse la qualité de leur recrutement et de leur enseignement. Les trois catégories d’établissements précitées dispensaient en fait une formation agronomique de même nature, bien que n’étant pas de niveau identique. Il a donc paru souhaitable d’assouplir les structures existantes pour envisager un développement d’ensemble de l’enseignement agronomique français.

210.

idem, p. 95.

211.

Instituts supérieurs agricoles de Beauvais, Lille, Lyon, écoles supérieures agricoles de Purpan, Angers et du Vaudreuil (E.S.I.T.P.A.), École supérieure du Bois.

212.

CHOMBART de LAUWE (J.) : L’aventure agricole de la France de 1945 à nos jours, P.U.F., Paris, 1979, p. 262.

213.

« Sur le recrutement de l’enseignement supérieur agronomique public en France », Comptes rendus des séances de l’Académie d’agriculture, 1973, pp. 295 - 311.

L’Ecole nationale d’agronomie de Grignon et l’I.N.A. fusionnent en 1972. La fusion est envisagée dès 1960. Les négociations ont été conduites par Edgar Pisani, alors ministre de l’Agriculture. Il fut décidé que le titre d’ingénieur agricole disparaîtrait et que celui d’ingénieur agronome serait donné aux élèves sortis de Montpellier, Rennes et Grignon, Toulouse et Nancy, qui deviennent Ecoles nationales supérieures agronomiques.

214.

L’ingénieur agronome est un ingénieur de conception formé à l’institut national agronomique Paris-Grignon ou dans une école nationale supérieure d’agronomie. Larousse agricole, 1981, p. 635.