En créant des écoles, les Facultés Catholiques se sont dotées de nouveaux moyens de développement leur permettant de poursuivre leur mission : éduquer des hommes, selon l’esprit de l’Evangile. L’I.S.A.R.A. et l’école de secrétaires-traductrices, sont deux écoles qui ‘« font partie intégrante de L’Université Catholique de Lyon, c’est-à-dire qu’elles donnent à la fois une réelle formation universitaire et une préparation professionnelle, non dans le sens technocratique du terme, mais dans son sens pleinement humain ; en effet les Sciences de l’Homme, base nécessaire au respect de l’homme, entrent dans leurs programmes»’ 242.
Cette première déclaration permet de comprendre l’une des raisons d’être des sciences humaines dans le curriculum de l’ingénieur I.S.A.R.A. : elles sont sollicitées pour éduquer l’homme selon les valeurs de la foi chrétienne.
La philosophie ou un enseignement de philosophie sociale auraient pu faire partie du programme de formation des ingénieurs I.S.A.R.A. Cependant, à cette époque, l’introduction de cette discipline, difficile à enseigner, ou encore d’un enseignement religieux paraissent impensables. La présence de la sociologie à l’I.S.A.R.A. peut s’expliquer par la place particulière des sciences humaines au sein des Facultés Catholiques, qui regroupent l’Institut de sociologie, l’Institut d’études sociales, l’Institut des sciences sociales appliquées et l’Institut des sciences de la famille. A cela s’ajoutent les convictions personnelles du directeur Eloi Laget, soutenues par l’expérience de l’Ecole d’Angers243. Ce choix est d’autant plus facilement accepté, qu’en 1968 la discipline a, d’une certaine manière, « le vent en poupe ». Néanmoins, la sociologie n’est pas introduite pour elle-même, c’est-à-dire pour sa capacité à proposer une théorie de la pratique. Elle est placée au service des finalités éducatives, définies selon les valeurs chrétiennes et se trouve valorisée, dans la mesure où la plupart des enseignants de sociologie sont prêtres. On peut souligner, avec Greffe‘, « une ressemblance de famille entre la théologie et les sciences humaines »’ 244 mais cet apparentement place la discipline dans une situation ambiguë et paradoxale et pose une nouvelle fois le débat entre théorie et pratique, entre connaissance scientifique et action. Toutefois, les différentes composantes de ce débat, tel qu’il était abordé au sein des Facultés Catholiques à cette période sont encore à approfondir.
Les premiers enseignants d’économie et de sociologie ont tous été recrutés au sein de l’Institut de sociologie, de l’Institut des sciences sociales et d’Economie et Humanisme, ce qui a permis de réunir, au sein de l’I.S.A.R.A., des personnes ayant une sensibilité forte aux problèmes du Tiers-Monde et du développement, celui-ci n’étant pas réduit à la seule croissance économique. Gilbert Blardone, professeur de sciences économiques à l’université catholique, professeur d’économie à Sciences Politiques, responsable de la Chronique Sociale et de Croissance des Jeunes Nations a été le premier enseignant d’économie générale de l’I.S.A.R.A. Jean-Simon Tabournel, son collaborateur, fut chargé des enseignements de Politique agricole, Economie internationale et Communauté Européenne.
‘« Il y a eu toute une continuité. Il y a eu des personnalités différentes, mais quand on regarde bien, elles ont toutes été formées par le même moule. C’était un moule qui lui-même était formé autour de Joseph Foliet, c’était le moule d’un catholicisme social très militant, au meilleur sens du mot, très ouvert à toutes les idées du temps, très innovateur, très oecuménique.... C’était toute une philosophie de l’action, qui est l’un des problèmes majeurs de notre temps, qui est l’un des problèmes majeurs de la sociologie. C’était au fond le souci d’une part, que l’Église soit présente, mais l’Église, c’est les laïcs aussi, que l’Eglise soit présente au monde et aux évolutions du monde et des professions, mais c’est aussi le souci, et c’est là que l’on rejoint des problèmes sociaux, plus sociologiques également, que la France puisse se moderniser avec de nouvelles élites, avec des élites qui soient des élites ouvertes, qui ne soient pas issues d’une pensée unique comme l’on dit aujourd’hui. Mais des élites qui sortent du peuple, de l’université, des grandes écoles, que toutes ces élites travaillent ensemble, qu’il y ait précisément un mouvement brownien culturel, c’est cela l’idée force, c’est quand même très mobilisateur. Disons que c’est dans cette ambiance que s’est créé l’I.S.A.R.A. »245 ’A partir de la genèse de l’I.S.A.R.A, nous découvrons les relations d’interdépendance dans lesquelles se trouvent impliquées la profession agricole, d’une part, et les Facultés catholiques, d’autre part. A diverses occasions, la direction de l’école a rappelé la fonction de l’institut : la formation d’ingénieurs en agriculture destinés à participer aux actions de développement agricole. Pourtant, l’I.S.A.R.A. ne peut concevoir sa fonction en dehors de l’idée que l’institution catholique se fait de la personne humaine. Les Facultés catholiques ont indiqué les valeurs de référence, lors de la création de l’école, tout en explicitant la raison d’être des sciences humaines dans la formation des ingénieurs.
Les orientations de l’école ont été définies, mais elles ne prédéterminent pas les contenus de la formation, l’organisation du savoir ou encore le mode d’acquisition des compétences. Le processus par lequel se développeront les relations sociales avec ces différents partenaires, va aboutir à la construction d’un modèle de formation de l’ingénieur I.S.A.R.A. Celui-ci ne peut être appréhendé en dehors des acteurs qui ont participé à la construction de l’école.
HOESTLAND (H.) : op. cit., p. 95.
A propos de la place de la sociologie à l’Ecole d’Angers, en 1968 : « L’Ecole souhaite doter les élèves d’une formation sociologique poussée dépassant le seul cadre rural pour être à même de favoriser le dialogue entre les milieux souvent imperméables les uns aux autres et d’une sérieuse formation aux problèmes économiques inséparables des problèmes agricoles. » Plaquette de Présentation, Ecole supérieure d’Agriculture, Angers, 1968, 2 p.
GREFFE (Cl.) : « Pratiques historiques et interprétation théologique », BOUTINET (J.P.) (sous la dir.) : Du discours à l’action, Editions L’Harmattan, Paris, 1985, p. 105.
Entretien n°3, 1995.