Maintenant, nous plaçons la question du curriculum ‘« comme forme institutionnalisée de structuration et de programmation des contenus d’enseignement »’ 259 au coeur de l’analyse. Sa construction fait appel à des registres aussi divers que le contexte social de l’agriculture, les orientations prises par les établissements qui forment des ingénieurs en agriculture et les exigences de la Commission des Titres. Ces registres ne peuvent être dissociés, mais ils ne prennent pas en compte la marge d’initiative des acteurs. Ceux-ci ont sélectionné les savoirs à transmettre et organisé le déroulement du cursus en fonction de leurs représentations de l’ingénieur en agriculture et de stratégies d’action. L’étude socio-morphologique du curriculum, à partir des recherches de Bernstein et de Young, présentées par J. C. Forquin260, nous permettra d’identifier les traits spécifiques du modèle de formation de l’ingénieur I.S.A.R.A. et de suivre sa transformation.
Reprenant la thèse de Bernstein, nous analyserons la substance du curriculum, inscrite dans trois systèmes de messages : les savoirs, les méthodes d’enseignement et l’appréciation. Pour rendre compte de la structuration des savoirs, nous utiliserons les concepts de forme de classification et de découpage. Le premier se réfère ‘aux relations entre les contenus, à la nature de la différenciation entre les contenus. Il désigne le degré de rigueur dans la délimitation des contenus’. Le second ‘caractérise la structure du système de communication qu’est la pédagogie. Il renvoie au contexte dans lequel le savoir est transmis et reçu, et à la forme spécifique de la relation pédagogique entre l’enseignant et l’enseigné. Le découpage est rigoureux lorsque la délimitation est tranchée entre ce qui peut être transmis et ce qui ne peut l’être’ 261 .
Le type de code du savoir scolaire du curriculum I.S.A.R.A. découle des principes de délimitation retenus. Un code de type sériel sera caractérisé par une compartimentation rigide entre les disciplines, tandis qu’un code intégré correspond à des délimitations faibles entre les disciplines. Ce critère de délimitation occupe une place centrale dans les travaux de Bernstein. Du degré de rigidité des classifications, résultent les rapports entre les enseignants et les étudiants et entre les enseignants. Le code intégré permet à l’enseignant une plus grande initiative aussi bien dans le choix des contenus que dans les modes de transmission. Il favorise également la concertation et la coopération entre enseignants. Plus largement, ‘« la façon dont se trouvent organisés, délimités, classés, découpés les savoirs véhiculés à l’école influence en effet la construction de l’identité chez les élèves, la façon dont ils se situent dans le monde et se comportent à l’égard des autres, et contribue à façonner l’ordre social »’ 262 .
Young, dans sa contribution « An Approach to the Study of Curricula as Socially Organized Knowledge »263 reprend certains éléments développés par Bernstein, pour l’étude socio-morphologique du curriculum (degré de spécialisation et degré de compartimentation), mais il accorde une plus grande importance à la stratification des savoirs. La stratification ou le prestige des disciplines permet d’appréhender les enjeux de la transmission des savoirs au sein du curriculum. Afin de déterminer les savoirs qui bénéficient des statuts les plus élevés, Young propose trois critères d’analyse : les modes d’appréciation, l’importance accordée au travail individuel et au travail de groupe et le degré d’abstraction des connaissances.
Afin de mettre en évidence les caractéristiques du code scolaire du curriculum I.S.A.R.A., quatre thèmes seront abordés : le choix des contenus, le mode de transmission des savoirs, le degré de délimitation entre les disciplines ainsi qu’entre les enseignements et les mises en situation. Enfin, nous verrons la question de la stratification des disciplines.
L’analyse est centrée sur les variations synchroniques du curriculum. Une première étape, décrite dans ce sous-chapitre, correspond à la phase de reconnaissance et de développement de l’école. Elle s’appuie sur les programmes de l’enseignement de 1972 à 1981 et est conduite pour l’ensemble des disciplines, à l’exception de la sociologie, examinée dans le troisième sous-chapitre.
FORQUIN (J.C.) : « Savoirs scolaires, contraintes didactiques et enjeux sociaux », Sociologie et sociétés, vol. XXIII, n°1, 1991, p. 25.
FORQUIN (J.C.) : Ecole et culture. Le point de vue des sociologues britanniques, Editions universitaires, Paris, 1989, pp. 95-106.
BERNSTEIN (B.) : op. cit., pp. 266-267.
FORQUIN (J.C.) : : Ecole et culture. Le point de vue des sociologues britanniques, Editons universitaires, Paris, 1989, p. 101.
YOUNG (M.) : « An Approach to the Study of Cuuricula as Socially Organised Knowledge », Knowledge and Control, Collier-Macmillan Publishers, London, 1971, pp. 19 - 46.