3.3.2 - Un concept : le changement social

Obligatoire et dispensé tout au long du cursus, l’enseignement associe des cours de psycho-sociologie et de sociologie rurale. De 1976 à 1980, le volume horaire de l'enseignement du secteur Formation Humaine augmente sensiblement (155 heures en 1976, soit 6% du volume total, 202 heures en 1980, soit 7.2%) (cf. annexe 2, document n°1).

En 1976, 131 heures sont consacrées à des enseignements de type magistral, à l’exception de 30h de culture générale dispensée en première année sous la forme de conférences (cf. annexe 2, document n°2). Le cours de géographie agraire ou étude du milieu rural, en première année, (25 heures) familiarise les étudiants avec la complexité du monde rural français en insistant sur son évolution (historique, technique, démographique...) et sur ses relations avec les autres secteurs de l’espace français (villes, industries).306

En première et deuxième années, en lien avec les stages en exploitation agricole, douze heures sont consacrées à la sociologie de la famille. Le cours consiste en une présentation, avant le départ en stage, d’un guide d’observation du groupe familial. L’observation est centrée sur la composition du groupe et sa structure, afin d’étudier les statuts, les rôles, les tensions. Puis sont décrits les aspects matériels (logement, cadre de vie) et économiques du groupe. Les aspects psychosociologiques permettent de saisir les modèles positifs ou négatifs du travail et de l’argent, de la vie familiale, du rôle de la femme. Les aspects sociologiques abordent les relations de voisinage avec la population de la commune, la participation à des associations. Le dernier thème porte sur les changements qui ont marqué ou qui marquent la vie du groupe.307 Les résultats de l’observation sont consignés dans un rapport, dont les conclusions sont réutilisées l’année suivante, en cours, pour une analyse des interrelations entre l’exploitation et la famille.

L’enseignement de sociologie de troisième année comporte :

- un cours introductif intitulé : « Groupes, groupements et classes en milieu rural » (22 heures). Les notions de base de l’analyse sociologique, l’étude des groupes (groupes villageois, groupes organisés) et la crise de la société villageoise constituent les principaux apports.

- un cours de préparation à l'enquête sociologique (28 heures) présente la démarche de recherche en sciences sociales, l’étude monographique d’une localité, ainsi qu’un outil d’analyse : la typologie. La grille d’observation à partir de laquelle les étudiants effectuent leur observation de terrain est celle de Jacques Maho.

- un cours de sociologie rurale (10 heures) traite deux thèmes : le changement social et le mouvement coopératif en agriculture, principalement étudiés à partir des ouvrages de Placide Rambaud et Henri Desroche.

- un cours d’initiation à la sociographie (9 heures) expose une méthode d’approche pour appréhender un groupe social sur les aspects de la réalité de sa population.

En dernière année, les apports théoriques abordent la problématique : changement, conflits et développement (24 heures).

De 1976 à 1981, la variation du volume horaire est liée à l’accroissement de la préparation à l’étude socio-économique et des enseignements de sociologie rurale en 2e année. 18 heures de cours et 32 heures de travaux dirigés ont pour buts ‘« de donner aux étudiants les informations nécessaires à l’élaboration de leur projet d’étude et d’entamer une réflexion sociologique à partir de la pratique de recherche »’.308 Les procédures d’aménagement du territoire, le financement des collectivités locales figurent parmi les thèmes abordés.

Un enseignement centré sur l’étude du changement du milieu agricole et rural, reconnaissant la diversité des collectivités, leur autonomie, cherchant à saisir les logiques des acteurs, telles sont les orientations théoriques données à la discipline.

‘« D’un point de vue conceptuel, il y a toujours cette tradition du plus facilement observable au moins facilement, la problématique du changement et de la résistance au changement et puis la problématique d’accompagner ces changements, surtout quand ils sont douloureux. »309

Cette inscription théorique permet de répondre aux demandes des organismes chargés de la modernisation de l’agriculture à l’échelon local et se prête à la mise en pratique d'une démarche de recherche-action. Elle s’appuie sur les recherches d’Henri Mendras, Marcel Jollivet, Placide Rambaud et Jacques Maho310. En référence à Gurvitch, elle plaide pour la nécessité de situer les faits étudiés dans un ensemble plus large que la seule collectivité concernée, tout en soulignant la pluralité des déterminismes (historiques, géographiques, techniques, etc.).

‘«Gurvitch proclame « le pluralisme de déterminismes limités, relatifs, variés, partiels, distincts d’après chaque univers concret. »311 ’ ‘« Il y a des déterminismes sociaux structurés dans un espace, structurés par le temps, structurés par une forme familiale, structurés par un travail, structurés par un système de production. »312 ’ ‘« Quel que soit le lieu que l’on observe, on va du plus observable à ce qui l’est le moins, les paliers en profondeur. Les comportements économiques ou les comportements de production, de travail, on peut décrire, on peut voir des choses mais dans ce que l’on voit, on ne voit pas toute la réalité. Dans l’efficacité, l’efficience, la capacité au changement, les résistances au changement, les représentations sont au moins aussi importantes. Les représentations que l’on se fait du progrès sont aussi comme moteur ou comme frein, en fonction de la situation dans laquelle on est. Seul le discours et l’analyse du discours peut montrer cela. »313

Les monographies socio-économiques décrivent une situation, à un moment donné, en associant observation directe (données démographiques, géographiques, etc.) et observation indirecte (entretiens de type semi-directif) afin d’appréhender des comportements et des représentations. La confrontation entre le dire et le faire, pour les divers thèmes abordés, est effectuée pour chaque entretien. L’analyse comparative des données de situation et des représentations permet la construction d’une typologie. En référence à la construction de l’idéal-type de Weber, la typologie repose sur la distinction entre le « sens supposé » dans un « type pur, type idéal » et le sens visé par les individus, les acteurs. Elle associe données économiques, techniques, géographiques et sociales et ‘« permet d’identifier des groupes, un ensemble de gens qui, dans une même situation, ont les mêmes comportements »’ 314 et sert à formuler des propositions.

‘« Tout le jeu du développement reposait sur l’analyse typologique... c’était une approche que l’on trouvait dans les milieux éclairés des militants du développement rural, qui peu ou prou, avait ce même fondement. ‘Cela’ s’appelait typologie, acteur, cela s’appelait ce que l’on veut, mais il y avait ce regard, des gens qui ont des enjeux différents.... La typologie, c’était la méthode de base. »315

Le niveau d’observation a tout d’abord été le village, s’inscrivant en cela dans la tradition de l’étude monographique. Assez rapidement, cet espace s’est révélé insuffisant pour l’étude d’un problème précisément identifié par un organisme professionnel. Le canton, le pays ou la petite région, plus rarement le département furent les unités retenues.

‘« La période de la monographie a duré jusqu’à une période qui correspond aux plans de développement (1974) et aux politiques de développement assurées par les S.U.A.D. Au fond, la problématique est celle des S.U.A.D., c’est porter un diagnostic sur une petite région. »316

Au terme de quelques années, l’étude de terrain est appelée « étude socio-économique », dénomination qui trouve sa justification par le réseau pourvoyeur de demandes socio-économiques : le Crédit agricole, les S.U.A.D., les Chambres d’agriculture. Les demandes étant déterminées par les orientations prises par la politique agricole : installation des jeunes agriculteurs et formation, développement d’activités complémentaires, etc...

Le concept du changement, autour duquel s’est construit l’enseignement de sociologie, émerge, dans les années soixante, avec la demande des organismes publics qui souhaitent la modernisation rapide de l’agriculture. Dans un premier temps, la diffusion d’innovations techniques pour accroître la productivité apparaît comme une composante majeure du problème général du changement économique et social. C’est à partir de 1965 que les sociologues français ont étudié ce thème.317

H. Mendras analyse les attitudes des exploitants face à la modernisation en articulant ‘« d’une part, une analyse de la structure sociale, du système de valeurs, des attitudes et des rôles dans la société locale choisie, d’autre part, une analyse des modes de participation des individus à la société globale. »’ 318

Sans être reproduite dans son intégralité, cette approche va infléchir les orientations prises par les enseignants de l’I.S.A.R.A. Les études de terrain s’appuyant sur une approche psychosociologique de la réalité, mettent surtout l’accent sur l’observation des individus dans leur collectivité d’appartenance.

La place (présente tout au long du cursus) et le volume horaire de l’enseignement de sociologie traduisent l’importance accordée à la discipline. La répartition des coefficients indique que tous les modules ne font pas l’objet d’une évaluation. Par exemple, en 1980, alors que le volume horaire a globalement augmenté par rapport à celui de 1976, seul le cours introductif de troisième année est évalué (examen écrit individuel). La présentation orale d’ouvrages de sociologie rurale, par groupe, permet d’apprécier le travail effectué dans les autres modules, sans que soit attribuée une note. Le dispositif mis en place pour l’étude de terrain donne une certaine souplesse à l’évaluation et la possibilité d’apprécier des qualités personnelles des étudiants. Outre la capacité d’utiliser des concepts de l’analyse sociologique et la rigueur de la démarche d’analyse du document écrit, l’évaluation de l’étude monographique inclut la qualité de la présentation orale, l’aptitude à travailler en groupe et la capacité d’établir des relations avec les partenaires professionnels.

A l’instar des autres secteurs, celui de la « Formation humaine » évalue davantage une manière d’appréhender la réalité, plutôt que des savoirs, la délimitation entre enseignement et mise en situation est faible. Toutefois, les questions abordées lors du conseil de perfectionnement font ressortir les difficultés d’un enseignement théorique en sociologie (cf. annexe 4 : conseil de perfectionnement en sciences sociales). C’est pourquoi les enseignants ont cherché à contourner cet obstacle de plusieurs manières, notamment en introduisant des enseignements thématiques.

Notes
306.

« Géographie agraire : étude du milieu rural », Objectifs et Programmes de l’enseignement, I.S.A.R.A, 1976, p. 80.

307.

MANIFICAT (M.) : « Guide d’observation du groupe familial », I.S.A.R.A., 1974.

308.

I.S.A.R.A. : Programme de l’enseignement, 1980, p. 66.

309.

Entretien n°5, 1995.

310.

Entretien n°5, 1995.

311.

KAYSER (B.) : « Les sciences sociales face au monde rural », Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1989, p. 33.

312.

Entretien n°5, 1995.

313.

Entretien n°5, 1995.

314.

Entretien n°4, 1995.

315.

Entretien n°4, 1995.

316.

Entretien n°5, 1995.

317.

BODIGUEL (M.) : « Les paysans face au progrès », Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1975, p.19.

318.

BODIGUEL (M.) : ibidem.