Quelles sont les orientations données à la formation des ingénieurs dans les écoles agronomiques ?
Le rapport Mothes338, paru en 1988, prolonge la réflexion sur l’enseignement supérieur en se demandant comment concevoir une Grande Ecole des sciences de l’agronomie et des industries alimentaires. Envisagé dans un premier temps en dehors du dispositif existant, le rapport souligne la difficulté à élaborer un projet qui couvre la diversité des écoles existantes.
Du point de vue de la nature de la formation à dispenser, 339 le rapport cherche à concilier deux points de vue différents : la formation d’ingénieurs relativement peu spécialisés, dans une optique de filière (I.A.A., productions végétales,...) et la formation de spécialistes de très haute technicité dans une discipline particulière, pour la recherche. Il définit ‘« une formation polyvalente à BAC +5 conçue en terme de filière, mais ouverte à une formation hautement spécialisée pouvant se poursuivre au delà de BAC + 5 et sanctionnée par un doctorat »’ 340 .
Parmi les principes du projet, le choix est fait de donner un minimum de savoir et de langage commun aux futurs ingénieurs, quelles que soient leurs orientations futures. Cela se traduit par un tronc commun d’une durée de deux semestres et demi, après les classes préparatoires.
A la suite de la partie tronc commun, les étudiants choisissent une spécialisation qui se prolonge par un travail de recherche, selon la spécialisation choisie. Cette phase d’approfondissement est effectuée au sein de centres de spécialisation en relation étroite avec les milieux professionnels341.
Les connaissances à acquérir en tronc commun sont articulées en trois grandes rubriques :
‘« Connaissance des phénomènes physiques de la matière, des techniques mathématiques adaptées à leur traitement et des méthodes de mesure,Les contenus sont précisés, pour chacune de ces rubriques, de 250 heures environ et 150 heures pour la dernière. L’économie politique agricole mondiale, le droit, la communication et la connaissance des phénomènes de groupe, la sociologie rurale, la sociologie des organisations et la sociologie de la consommation, des notions de base en économie d’entreprise et gestion, ainsi que l’économétrie figurent parmi les disciplines permettant aux étudiants d’acquérir les connaissances nécessaires à la compréhension du contexte socio-économique.
Par ailleurs, il est envisagé de réduire les enseignements magistraux et de développer les travaux personnels des étudiants, avec une extension de la pratique du tutorat.
Cette conception de la formation diffère des modèles antérieurs, dans la mesure où elle ne se fonde plus sur la même représentation des savoirs. Les clivages entre théorie et pratique, entre science fondamentale et science appliquée, entre science et technique s’estompent. La composante socio-économique fait partie intégrante du cursus de l’ingénieur, ce qui confère une légitimité à des disciplines qui faisaient parfois figure d’intruses dans des formations scientifiques et techniques.
Les directives du rapport Mothes343 ne se traduiront pas immédiatement sur le terrain, mais elles guideront les transformations ultérieures au sein des écoles.
Dès 1988, à l’initiative du ministère de l’Agriculture, les écoles d’ingénieurs et vétérinaires mettront l’accent sur la formation par la recherche, à partir d’une politique articulée autour de trois axes : le statut d’enseignant-chercheur, la mise en place d’une politique doctorale et la définition d’une carte de France des spécialités. Les responsables de ce programme se veulent les promoteurs « d’un esprit de recherche » auprès des étudiants formés par les grandes écoles. Des crédits ont été affectés au financement d’un programme pluriannuel de recherches.344 Au-delà de la fonction de recherche de l’établissement, la formation par la recherche est au coeur du dispositif de formation de l’enseignement supérieur agricole, ce qui constitue un changement important pour de nombreuses écoles qui, pour des raisons diverses, n’avaient pas de politique établie en la matière et n’encourageaient pas les étudiants à se diriger vers ce secteur. L’évaluation des travaux de recherche, engagée par le ministère, permet de souligner le caractère volontariste d’une politique de formation par la recherche dans les écoles supérieures d’ingénieurs.345
Dans ses grandes lignes, le projet sera repris par le ministre de l’Agriculture en 1989. L’ambition est de former un personnel de haut niveau technique et scientifique, apte à assurer la prééminence de notre secteur agro-alimentaire.
Ce projet passe, notamment, par une plus grande implication des formations dans la filière recherche-développement. Il nécessite une modernisation des structures, qui doivent être de taille plus importante pour réunir les équipements nécessaires et permettre des échanges diversifiés au niveau international.
Il se concrétisera par la création de pôles régionaux d’enseignement-recherche-développement : Agropolis346 à Montpellier, Agrena347 dans l’ouest, Agromip348 à Toulouse. Fondé en 1992, Agoral réunit les écoles qui préparent aux métiers des industries agro-alimentaires349. En 1993, quatre établissements de l’enseignement supérieur agricole et un centre de services fusionneront : l’E.N.E.S.A.D., établissement national supérieur agronomique de Dijon, rassemble l’E.N.I.T.A., l’E.N.S.S.A.A., l’I.N.R.A.P., l’I.N.P.S.A. et le C.N.E.R.T.A..350
En 1993, une mission est confiée au sénateur Pierre Laffitte, afin de donner de nouvelles perspectives à la politique d’enseignement supérieur et de recherche.
Le rapport Laffitte souligne que l’I.N.A.-P.G. ne place plus que 15% environ de ses ingénieurs dans le secteur de la production ou en amont de celle-ci. En revanche, le développement des débouchés vers les marchés en aval est net.
‘« L’I.N.A.-P.G. devient un institut de formation des ingénieurs de la biologie et de la maîtrise des systèmes complexes, dont les débouchés se situent dans les domaines de l’agronomie, l’agro-industrie, l’agro-alimentaire et le génie biologique et médical. »351 ’Parmi les priorités, le rapport propose de renforcer les technologies de l’agro-alimentaire : ‘« Premier secteur industriel français, l’agro-alimentaire réclame de plus en plus, non des spécialistes de filières mais des généralistes à forte culture industrielle »’ . 352
Quatre axes stratégiques ont été identifiés et retenus par le ministre de l’Agriculture et de la Pêche353 : qualité, hygiène et sécurité alimentaires, technologies agro-alimentaires, valorisation non alimentaire des produits agricoles, aménagement des paysages et gestion de l’espace rural. Ces axes répondent aux demandes fortes des industriels, des consommateurs et des collectivités locales et constituent, avec les pôles, le fondement du schéma directeur de l’enseignement supérieur. Ils doivent inciter à toutes les formes de rapprochement entre les divers établissements, afin de stimuler l’innovation et la recherche.354
‘« Dans un secteur confronté à de graves difficultés, l’effort de recherche, loin de faiblir, doit se développer » a déclaré J. Puech. « Les thèses à finalité technologique, agricole ou industrielle, seront développées et intégrées au contexte socio-économique. De même seront encouragées les thèses portant sur les sciences de l’ingénieur, ainsi que celles développant une approche pluridisciplinaire à l’interface des sciences du vivant, des sciences de l’ingénieur et des sciences de l’homme et de la société. »355 ’Au delà de la réorientation des écoles en fonction des débouchés, c’est aussi la manière de former les ingénieurs qui est appelée à se transformer. La logique analytique, qui a largement déterminé les contenus de formation, les décomposant en matières, en disciplines, perd du terrain au profit de la pensée complexe. Il semble qu’un accord s’établisse pour définir l’ingénieur de demain : ‘« l’ingénieur sera de plus en plus un généraliste, doté de solides bases scientifiques et techniques mais capable d’analyser des situations complexes et de proposer des solutions opérationnelles (d’où une nécessaire pluridisciplinarité dans les programmes enseignés). Cet ingénieur devra également (de plus pourrait-on dire par rapport au passé), être capable de participer à la mise en oeuvre des solutions proposées, d’où une bonne appréhension des situations sociales et un savoir-faire managérial. Cette culture générale, qui doit compléter la culture technique ne pourra s’acquérir qu’à travers un élargissement des programmes actuels des écoles. »’ 356
MOTHES (J.) : Rapport sur l’organisation d’un enseignement supérieur des sciences de l’agronomie et des industries alimentaires, Direction générale de l’enseignement et de la recherche, ministère de l’Agriculture, 1984, 49 p. + annexes.
MOTHES (J.) : op. cit., p. 9.
MOTHES (J.) : op. cit., p. 9.
MOTHES (J.) : op. cit., p. 30.
Sept centres de spécialisation sont présentés : Transformations et utilisation des produits agricoles, industries agro-alimentaires - productions végétales - productions animales - machinisme, bâtiments et équipement de l’agriculture - mise en valeur du milieu naturel : sols et eaux - forêt, bois, papier - systèmes agraires de développement Quatre sont dits d’appui : - économie et gestion - mathématique et informatique - biotechnologie, microbiologie, enzymologie - chimie analytique et instrumentale.
MOTHES (J.) : op. cit., p. 22.
Le rapport Mothes fut suivie d’autres rapports : le rapport Boisanté et Jouve en 1989, le rapport Poly (1989). L’Académie d’agriculture a également été sollicitée.
B.I.M.A. : « Enseignement supérieur : La formation par la recherche », ministère de l’Agriculture, 1993, n° 1398, pp. 27-29.
Un bilan de ces mesures a été effectué à la demande du ministre de l’Agriculture et de la Pêche. REMOND (R.) : Rapport de la Commission d’évaluation de la rénovation pédagogique de l’enseignement agricole public et privé, Ministère de l’Agriculture, 1994, 79 p.
« La formation par la recherche », B.I.M.A., 1993, n°1398.
MALASSIS (L.) : « Agropolis, Technopolis, Science et Société », Comptes Rendus de l’Académie d’Agriculture, Paris, 1986, n°8, pp. 653-659.
Agropolis regroupe 17 établissements scientifiques orientés partiellement ou totalement vers la formation et la recherche dans le domaine agronomique et agro-alimentaire. Une convention précisant l’organisation et le fonctionnement a été signée en 1986. Les actions peuvent se répartir en cinq domaines : la recherche, la formation, l’information, le développement, la création et la cogestion de services communs. L’innovation est de rassembler universités, grandes écoles, grands établissements de recherches localisés en un même lieu, pour définir, par consensus mutuel, les moyens de renforcer et de valoriser la communauté scientifique et de faciliter les adaptations face à l’accélération du changement.
Agrena regroupe cinq grandes écoles et trois centres de recherche agronomique. Annuaire 1992, Ministère de l’Agriculture, p. 62.
Agromip regroupe cinq établissements, dont l’école supérieure d’agriculture de Purpan et l’I.N.R.A., Annuaire 1992, Ministère de l’Agriculture.
Le réseau Agoral est constitué par l’E.N.I.T.I.A.A. à Nantes, l’E.N.S.A.I.A. à Nancy, l’E.N.S.B.A.N.A. à Dijon, l’E.N.S.I.A. à Massy et son antenne de Montpellier, le S.I.A.R.C. « Le réseau des écoles Agoral », B.T.I., Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, Paris, 1997, n° 26/27, p. 85.
« Dijon, capitale du savoir vert », Lettre de la F.E.S.I.A., n° 33.
LAFFITTE (P.) : « Pour l’enseignement supérieur et la recherche au ministère de l’agriculture et de la pêche », Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 1994, p.15.
« En prolongement du rapport Lafitte », B.I.M.A., Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 1995, n° 1424, p. 5.
PUECH (J.) : « Discours de clôture du Ministre au Forum : une grande ambition pour l’enseignement supérieur et la recherche », Sénat, Juillet 1994, 18 p.
« Une nouvelle impulsion donnée par Jean Puech et François Fillon », B.I.M.A., Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 1995, n° 1434, p. 10;
Faisant suite à ce rapport, un protocole de coopération a été signé le 25 janvier 1995 entre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et celui de l’Agriculture de manière à favoriser la mise en place de pôles régionaux d’enseignement et de recherche et de développer et améliorer l’effort de recherche.
« Une nouvelle impulsion donnée par Jean Puech et François Fillon », B.I.M.A., Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 1995, n° 1434, p. 11.
RASTOIN (J.L.) : « Formations de 3ème cycle : l’indispensable internationalisation », B.T.I. : « L’enseignement supérieur : les dynamiques du changement », Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation, Paris, 1997, n° 26/27, p. 53.