1.1.3 - La mise en place d’une nouvelle formation d’ingénieur

Au cours de l’année 1990-1991, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche a conduit des négociations en vue de la mise en place de nouvelles formations d’ingénieurs (NFI), telles qu’elles ont été préconisées par M. Decomps357. Plusieurs secteurs professionnels ont été retenus : l’horticulture, les industries agro-alimentaires et le développement rural.

Dans le secteur du développement agricole, l’Institut des techniques de l’ingénieur pour l’agriculture (I.T.I.A.) a été créé en 1991 par l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (A.P.C.A.), en partenariat avec l’Institut national agronomique Paris-Grignon et le Conservatoire national des arts et métiers. Il s’adresse à des techniciens supérieurs, agents des chambres d’agriculture ou d’organismes techniques, ayant au moins 5 ans d’activité professionnelle. Il répond au souhait des chambres d’agriculture d’augmenter la qualification des techniciens et prépare à deux fonctions : le conseil d’entreprise auprès des exploitations agricoles, et la recherche-développement, qui recouvre la recherche finalisée, l’élaboration de références, les études de filières, le conseil en diversification.

Bien que l’I.T.I.A. ne soit pas accessible en formation initiale, il s’inscrit dans l’esprit des nouvelles formations d’ingénieurs.358 Son cursus se différencie de la formation de l’ingénieur généraliste, en étant plus spécialisée et caractérisée par un nouvel équilibre entre le temps passé au sein d’une entreprise et le temps passé au sein d’une institution de formation.359 Elaborée à partir des profils d’emplois, la formation ne procède pas de la logique des disciplines. Elle se caractérise par un fort contenu technologique et pratique. La spécialisation n’exclut pas une certaine polytechnicité, afin de maîtriser l’ensemble du processus de production. C’est pourquoi les ingénieurs devront être associés à la conception des projets, en saisir les exigences et maîtriser les données d’application et de fabrication. La formation vise à développer le sens du travail en équipe et à donner le savoir nécessaire pour animer des groupes.

La pratique de l’alternance, l’importance de la formation technologique et le développement des capacités de communication sont les traits marquants de cette nouvelle formation d’ingénieurs. Notons que le programme d’études de l’I.T.I.A. ne comporte pas d’enseignement de sociologie. Les étudiants sont initiés à la démarche de recherche en sciences sociales et familiarisés avec certains concepts de l’analyse sociologique à partir d’études de cas.

La place donnée au projet, le temps passé au sein de l’entreprise plutôt qu’au laboratoire, l’importance accordée à la transdisciplinarité sont révélateurs d’un changement important dans la manière de concevoir la formation des ingénieurs de production. Ces choix ne sont pas seulement à considérer en fonction du public visé par le projet. Ils font apparaître de nouvelles perspectives pour la formation professionnelle des ingénieurs, qualifiés préalablement d’ingénieurs d’application.

Suite à la rénovation de l’enseignement supérieur agronomique entamée en 1984 le dispositif s’enrichit et se complexifie. Le principe de correspondance entre un type de formation et un établissement est progressivement délaissé. L’évolution du marché de l’emploi et des métiers des agronomes, la construction de l’Europe et le développement de nouvelles technologies plaident en faveur du rapprochement de l’enseignement supérieur et de la recherche et de la constitution de pôles d’excellence.

Précédemment, nous avions distingué les ingénieurs de conception et les ingénieurs d’application. Construite sur le rapport théorie-pratique, cette différenciation permettait de rendre compte de la hiérarchie entre les écoles et de leurs orientations. Désormais, les rapports théorie-pratique se sont modifiés, ainsi que les rapports entre science et technique. La science met au point des dispositifs techniques qui, eux-mêmes, fournissent de nouvelles questions, relancent la recherche scientifique.

‘« Leurs relations sont de plus en plus étroites et dialectiques. »360

La pratique n’est plus en dehors ou à côté de la science et de la technologie, comme au début de l’ère industrielle ou du développement de l’agriculture.

‘« Les questions pratiques sont elles-mêmes déterminées dans une large mesure par le système de nos réalisations techniques. »361

Comme l’a souligné H. Lamaury,362 les concepts d’« ingénieurs de conception » et d’« ingénieurs d’application » sont aujourd’hui peu opérationnels pour penser la formation.

De nouvelles impulsions sont données à l’enseignement supérieur agronomique. La première, le développement de la formation par la recherche, est celle qui tend à renouer avec le concept d’ingenium, celui qui invente, celui qui conçoit. En effet, former par la recherche, c’est sortir d’un enseignement qui présente le problème à résoudre, puis en indique la solution, le plus souvent unique et présentée comme la seule bonne réponse, pour proposer une démarche où l’étudiant participe à la formulation de la question, recherche les solutions possibles et est conduit à examiner leur pertinence au regard des différentes composantes du contexte. La seconde, qui définit l’ingénieur de projet, renouvelle la conception de l’ingénieur de production. Le cursus, de moins en moins construit sur la notion de science appliquée, associe étroitement les enseignements technologiques et la pratique. La formation cherche à être opérationnelle sur le terrain et en entreprise.

Un autre changement porte sur la place des sciences sociales dans la formation des ingénieurs généralistes. Il apparaît que l’activité technique de ceux-ci ne peut être envisagée en dehors de relations avec les sciences humaines et sociales. Par conséquent, ces disciplines académiques se trouvent introduites en théorie dans la formation professionnelle des ingénieurs, ce qui crée les conditions d’une ouverture sur les problèmes de société.

Notes
357.

Un groupe de travail réuni sous la présidence de Bernard Decomps est constitué, en 1989, à la demande de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. Les propositions seront présentées lors des Assises de l’enseignement supérieur, tenues à la Sorbonne en 1990. Le président de la République propose de procéder à un accroissement massif du nombre de diplômés de qualité à tous niveaux et souhaite que soit doublé le nombre d’étudiants qui se préparent à devenir ingénieurs. Le groupe de travail a envisagé la création d’une nouvelle formation d’ingénieur d’application spécialisée, sanctionnée par un diplôme d’ingénieur.

358.

GODARD (D.) : « Les nouvelles formations d’ingénieurs : l’exemple de l’I.T.I.A. », B.T.I. : « L’enseignement supérieur : les dynamiques du changement », Ministère de l’Agriculture de la Pêche et de l’Alimentation, Paris, 1997, n° 26/27, pp. 120-121.

359.

DECOMPS (B.) : « L’évolution des formations d’ingénieurs et de techniciens supérieurs », 2001, d’autres temps, d’autres enjeux : de nouveaux parcours en formation initiale et continue, La Documentation Française, Paris, 1990, pp. 17 - 33.

360.

DOMENACH (J.M.) : op. cit., p. 137.

361.

HABERMAS (J.) : La technique et la science comme « idéologie », Gallimard, Paris, 1990, p. 87.

362.

LAMAURY (H.) : « La réforme des écoles d’ingénieurs des travaux », B.T.I. ; L’enseignement supérieur : les dynamiques du changement », Ministère de l’Agriculture de la Pêche et de l’Alimentation, Paris, 1997, n° 26/27, p. 49