En 1968, Sicco Mansholt, commissaire européen à l’Agriculture, présente un plan de modernisation pour l’agriculture européenne. Laissant de côté l’exploitation familiale, il propose une agriculture basée sur de grandes exploitations très efficaces, ayant un taux important d’emploi du capital par travailleur. Pour y parvenir, il envisage d’accélérer l’exode rural, de geler les terres les moins productives et de réduire par abattage le troupeau laitier afin de diminuer la production.363 La même année, le rapport Vedel, prolongement du rapport Mansholt, examine la situation de l’agriculture française. La question centrale est ainsi formulée :
‘« Comment assurer la transition d’une agriculture produisant trop et à des coûts trop élevés vers une agriculture capable d’adapter sa production aux besoins du marché et d’atteindre des coûts plus compétitifs, en tenant compte des difficultés de toutes sortes que les agriculteurs éprouvent comme tous les hommes à se convertir ? En second lieu, comment harmoniser les rapports entre l’agriculture, le domaine rural qu’elle va cesser peu à peu d’exploiter et la société industrielle et urbanisée de 1985 ? »364 ’Les conclusions du rapport Vedel, proches de celles du rapport Mansholt, sont très mal accueillies par la profession agricole. D’ici 15 à 20 ans, le nombre d’exploitations agricoles devrait passer de 1 600 000 à 5 ou 600 000 exploitations. En outre, 11 millions sur 33 millions d’hectares de terre actuellement cultivés devraient être « gelés » et trouver une destination autre. Le rapport Vedel souligne le rôle insuffisant de l’encadrement actuel et suggère d’accroître le nombre de cadres moyens.
‘« Seul un encadrement de qualité peut, en effet, permettre à une entreprise d’utiliser les résultats de la recherche appliquée et de guider celle-ci. »365 ’Ces propositions laissent percevoir les insuffisances du modèle que la profession a tenté de promouvoir. Elles heurtent de plein fouet les aspirations des agriculteurs, qui s’expriment autour du modèle de l’exploitation familiale et de la liberté d’entreprendre. Elles remettent en cause les valeurs qui étaient au coeur du projet de modernisation et cherchaient à concilier les exigences économiques et le développement de l’homme. Elles révèlent, avec quelques années d’avance, que la situation de crise que connaît l’agriculture ira en s’aggravant.
De 1968 à 1974, la crise agricole s’installe : dégradation des prix de vente et augmentation des coûts de production constituent les raisons du mécontentement des producteurs. Au cours de l’été 74, de nombreuses manifestations traduisent l’ampleur du malaise.366 Les organisations syndicales, en acceptant la modernisation, ont à faire face à une situation ambiguë, car le nombre d’agriculteurs éliminés est en constante augmentation.
GRALL (J.) : « Le Plan Mansholt », L’agriculture, Le Monde Éditions, 1994, p.189.
VEDEL (G.) : Perspectives à long terme de l’agriculture française, 1968-1985, Bulletin d’inf. du ministère de l’Agriculture, 1968, n°423, p. 47.
VEDEL (G.) : op. cit., p. 53.
BARIL (J.L.) : « Été 74 : la crise agricole et l’action du syndicalisme », Paysans, 1974, n°107, pp. 7-14.