- La crise prend une nouvelle ampleur

La crise agricole du début des années soixante-dix n’est pas seulement conjoncturelle. Les liens entre l’amont et l’aval des exploitations s’intensifient et limitent l’autonomie des agriculteurs. L’adaptation des productions au marché devient un problème majeur de la politique agricole, la surproduction est chronique. Les exploitations ont augmenté la production et la productivité, mais les autres pays aussi, et la France se trouve en compétition avec ses voisins. Les comparaisons avec les pays disposant d’une agriculture modernisée ne sont pas en sa faveur.375 Les agriculteurs découvrent, à leur dépens, qu’il ne suffit pas de produire pour vendre.

Les principes de la politique agricole commune rencontrent dans leurs applications de nombreuses difficultés. Les stocks de produits agricoles sont de plus en plus coûteux à gérer ; les subventions se font plus rares. Le système de prix garantis sans limitation des quantités va s’avérer extrêmement coûteux et de plus en plus perçu, parmi les agriculteurs, comme un instrument de sélection des meilleurs. En 1985, la Commission européenne publie un livre vert, dans lequel elle expose les mesures à venir, celle de la réforme de 1992. Les prix garantis sont diminués progressivement pour rejoindre les prix mondiaux. En compensation, des aides sont directement attribuées aux producteurs.

Il faudra les années quatre-vingt pour que la profession agricole prenne pleinement conscience des limites du modèle productiviste. L’érosion des sols, la pollution des nappes phréatiques par les nitrates, le développement des friches et une certaine dégradation du paysage dans les régions où l’activité agricole tend à disparaître figurent parmi les nuisances les plus fréquemment évoquées et témoignent des limites de l’agriculture productiviste. C’est une crise à la fois économique, écologique et financière qui touche le monde agricole.376

La situation de crise a déclenché une première série de mesures, pour limiter la production. Ce sont, en 1984, les quotas laitiers. Puisque la production est trop abondante et que l’on ne peut baisser les prix, elle sera plafonnée pour l’ensemble de la Communauté Européenne, puis par pays, par région, par laiterie et enfin par producteur. La mesure sera progressivement étendue à d’autres productions (céréales et oléoprotéagineux). La réduction des productions aura un fort impact auprès des agriculteurs, car elle condamne le modèle productiviste, en remettant en cause la fonction première du métier. Les mises en jachère, à partir de 1990, constituent un second volet, qui traduit un changement radical de politique. La réforme de la Politique agricole commune, en 1992, puis les accords du G.A.T.T. conduisent à moyen terme à une concurrence croissante, à la réduction des terres cultivées et à la réduction des aides de l’Etat.

La mutation du secteur agricole s’inscrit dans un contexte d’innovation scientifique et d’internationalisation. De ce point de vue, il ne se différencie pas des autres secteurs d’activités. De nombreuses études soulignent que l’effort de réflexion, de recherche, d’innovation qui doit être soutenu par l’agriculture française est un effort d’adaptation de même importance que celui des années soixante.

Notes
375.

CHOMBART de LAUWE (J.) : op. cit., Chap. 5 : « L’aventure agricole aurait-elle pu mieux tourner ? », pp. 83-88.

376.

LIMOUZIN (P.) : « Les années 80 ou les limites à une croissance de type productiviste », Agricultures et industries agro-alimentaires françaises, Masson, Paris, 1992, pp. 55-76.