2.1.2 - La phase d’ajustement du curriculum

L’année 1979 est marquée par le départ de E. Laget et l’arrivée de C. Carrière à la direction de l’école. F. Nové-Josserand abandonne la présidence de l’association I.S.A.R.A., en 1982. F. Michon, président de la coopérative laitière O.R.L.A.C. et de l’Office interprofessionnel du lait, lui succède.

Dès le début des années quatre-vingts, C. Carrière exprime sa volonté de réforme de l’I.S.A.R.A. Il élargit le conseil d’administration de l’école et suggère d’ouvrir l’enseignement au domaine de l’agro-alimentaire. Sa proposition ne parvient pas à infléchir les positions des enseignants, qui souhaitent maintenir un programme centré sur l’exploitation agricole. En 1983, afin d’homogénéiser les conditions d’obtention du diplôme d’ingénieur en agriculture, il envisage un enseignement sur cinq ans.442 Le président, F. Michon, reçoit favorablement l’idée, soulignant l’intérêt d’une spécialisation en cinquième année et d’une harmonisation avec les autres écoles d’ingénieurs en agriculture.443 La proposition de prolonger la durée des études d’une année et d’augmenter l’effectif444 dès la rentrée 1986, a été soumise au conseil d’administration, en octobre 1984.

Afin d’élaborer le nouveau programme de formation sur cinq ans, la direction sollicite le C.E.R. Par l’intermédiaire de commissions de travail, les enseignants prendront une part active à la réflexion sur l’orientation de l’école. Au cours de l’année universitaire 1983-1984, une première commission analyse la formation dispensée (objectifs généraux, cohérence de la progression, manques importants), s’interroge sur la manière d’utiliser le temps supplémentaire et étudie les possibilités d’introduire des échanges avec des universités européennes. Nous nous proposons de décrire les modifications du cursus mais surtout, de saisir les jugements que les enseignants ont porté sur les divers principes du curriculum intégré et les ressources qu’ils ont mobilisées afin de reconstruire un cheminement sur cinq ans.

Dans un premier temps, le C.E.R. réaffirme son attachement aux principes du code intégré, principes auxquels sont subordonnés le choix des contenus et leur stratification. Une enquête auprès des anciens élèves, des élèves-ingénieurs et des enseignants a été lancée, mais seuls les enseignants (50% de réponses) se sentiront concernés par ces questions. Au mois de juin 1984, les premiers résultats sont présentés au Conseil pour l’enseignement et la recherche,445 à partir des propositions d’un seul groupe d’acteurs, celui des enseignants permanents.

Les enseignants, qui se sont exprimés sur le passage à cinq ans, ne souhaitent pas revoir les orientations antérieures et, par conséquent, n’envisagent pas de modifier le programme des études. Les réponses aux questions sur les objectifs de la formation font ressortir des préoccupations à caractère global, à partir desquelles sont réaffirmées les priorités.

‘« Par ordre d’importance, sont cités le développement de l’esprit de curiosité et la recherche d’une attitude active par rapport à la formation, le développement de méthodes pour l’étude de problèmes dans toute leur complexité, le développement de l’esprit scientifique, l’amélioration de la communication et de l’organisation du travail.
Ces objectifs se traduisent par des priorités dans l’enseignement : compréhension des mécanismes, des méthodes permettant l’analyse d’une situation, le lien entre théorie et pratique, la formation à un comportement, l’acquisition de connaissances théoriques, l’utilisation des connaissances et des méthodes pour répondre à un problème concret. »446

Les tensions précédemment évoquées sont provisoirement occultées. La substance du curriculum, le degré de compartimentation, les méthodes d'enseignement ainsi que le système d'appréciation et le degré de professionnalisation semblent faire l'objet d'un consensus. Malgré les inquiétudes liées à l'augmentation des effectifs et, par conséquent, aux possibilités d'encadrement des étudiants, la pluridisciplinarité est considérée positivement.

‘« Attractive pour les enseignants qui n’en font pas, un bon moyen de lutter contre la parcellisation des connaissances pour donner plusieurs approches d’un même problème, pour les autres. »447

Pourtant, il n'y a pas d'accord explicite sur l'idée intégratrice du curriculum, le paradigme du développement. Dans l’ensemble, les premières discussions, engagées à l’occasion du passage à cinq ans, ne conduisent qu’à des décisions de faible portée, qui préservent les principes généraux : un curriculum centré sur l’étude du fonctionnement de l’exploitation agricole, une faible délimitation entre les enseignements et les mises en situation, des frontières peu marquées entre les disciplines. Les enseignants ne semblent pas prêts à critiquer le modèle de formation dans lequel ils se trouvent pleinement impliqués, d’autant plus que la décision, prise par la direction de l’école de porter la durée des études à cinq ans, ne remet pas en cause l’efficacité du programme de formation. Le C.E.R. fonctionne comme un lieu de régulation des rapports de pouvoir entre les enseignants et ceux-ci n’envisagent pas de nouvelles négociations. C’est en quelque sorte un filtre entre la direction et les enseignants, entre le monde professionnel et le programme de formation de l’ingénieur I.S.A.R.A.

Ayant restreint le champ des enjeux, la réflexion se poursuit sur l’organisation du cursus en cinq ans, à partir de cinq schémas envisagés par les secteurs. Ils diffèrent par :

Les enseignants se sont prononcés en faveur d’une formation polyvalente, durant les quatre premières années, afin de garder ‘« la capacité de nos élèves à s’adapter aux diverses situations du monde agricole »’ 448 et contre la spécialisation en année terminale, car elle risque de conduire à un certain cloisonnement entre les disciplines.

L’idée d’une spécialisation de l’établissement est rejetée car elle ne correspond pas aux orientations prises dans le cadre du C.E.R.E.F, expression de l’identité de l’école et de ses acteurs.

‘« Elle a pour inconvénient majeur de nous couper des préoccupations régionales, qui sont obligatoirement multiples. »449

La préférence s’est portée sur une option, placée en dernière année, d’une durée de trois mois et une formation commune pour les années précédentes. Les possibilités d’établir des liens et de développer les échanges avec les autres écoles d’agriculture ou centres universitaires ont orienté le choix. Par ailleurs, l’école décide d’élargir le recrutement en intégrant des étudiants, titulaires du D.E.U.G. ou d’un B.T.S., en deuxième et troisième années, pour ceux qui ont une expérience professionnelle de cinq ans. Il s’agit des premières ouvertures du curriculum. Ne mettant pas directement en jeu les intérêts symboliques, tel que le prestige des disciplines, elles ont été acceptées facilement. L’accueil en cours de scolarité d’étudiants, non formés selon les principes du code intégré, constitue à terme un facteur d’affaiblissement de celui-ci. Il laisse prévoir de futures transformations.

L’option doit consister en un approfondissement, dans un domaine donné, avant le mémoire de fin d’études. Les premières propositions pour définir les contenus sont, pour la plupart, étroitement liées à l’agriculture et à son développement : conseil technique en agronomie, communication, vulgarisation, développement local micro-régional, développement agro-rural, etc. Les débats sur les objectifs de l’option ne sont pas dissociés de la question du mémoire de fin d’études. La lecture des comptes rendus met en évidence la volonté de le conserver sous sa forme initiale.

‘« Ce n’est pas un stage, mais un travail original de contribution à une recherche appliquée. »450

Les nombreuses mises en situation, les travaux de groupe et le caractère concret de la formation sont jugées positivement car ils contribuent à l’acquisition de capacités appréciées par les employeurs. Ils sont perçus comme des éléments constitutifs de l’identité de l’ingénieur I.S.A.R.A.

‘« Les milieux professionnels reconnaissent à nos ingénieurs un certain nombre de qualités et de capacités : adaptabilité, ouverture, dynamisme, sens des relations et des responsabilités, aptitudes à remplir des fonctions très diverses... »451

La réflexion engagée au sein de l’école sera l’occasion de relier ces qualités au mode d’enseignement. Par conséquent, ‘« il faut maintenir un équilibre entre enseignements de masse, T.P. et T.D, activités spécialisées et pluridisciplinaires, travaux individuels et de groupe, stages en exploitations agricoles et entreprises... Il faut maintenir l’originalité d’activités telles que le Cas concret, l’étude socio-économique, le mémoire de fin d’études... » ’ 452

Pour les quatre premières années, les études se dérouleront selon le schéma suivant :

La question du rôle des sciences fondamentales et de leur rapport avec les autres disciplines, au delà de la première année, semble avoir été laissée en suspens. Par ailleurs, les enseignants n’envisagent pas de modifier de manière significative les contenus de troisième et quatrième années.

‘« Le contenu des années trois et quatre, c’est-à-dire connaissance de l’exploitation et de son environnement, n’a pas été remis en cause. »454

Le passage à 5 années d’études avec 80 élèves-ingénieurs par promotion fut décidé par le conseil d’administration, le 22 Février 1985.

L’allongement de la durée des études est une initiative de la direction de l’école, accueillie avec réserve par les enseignants. Malgré son importance (20% de temps supplémentaire), cette décision n’a pas entraîné de transformations radicales. L’identité de l’école et celle de ses ingénieurs apparaît fragile et a encore besoin d’être consolidée. Elle est trop récente pour que les enseignants soient disposés à revoir collectivement les principes du code intégré de l'I.S.A.R.A., d’autant plus que les étudiants trouvent assez facilement un emploi à la sortie de l’école. Les débats ayant trait à la pertinence des connaissances dispensées ont été évités. Le corps professoral a surtout voulu préserver le mode d’agencement des savoirs et exprimer ainsi son attachement à la structure du curriculum, même si ce maintien apparaît illusoire au regard des mutations de l’agriculture. Ayant exprimé la volonté de ne pas réviser le plan d’études, les travaux ont surtout porté sur l’organisation de la cinquième année. Cela ne signifie pas qu’il y ait nécessairement accord sur une question de fond : que sera l’ingénieur en agriculture des années quatre-vingt-dix et comment doit-on le former ?

Notes
442.

En 1983, quatre écoles de la F.E.S.I.A. sur cinq dispensent un enseignement sur cinq ans.

443.

I.S.A.R.A. : Compte-rendu du Conseil d’Administration, 1983.

444.

L’effectif de l’établissement passera de 4 x 60 à 5 x 80 étudiants.

445.

I.S.A.R.A. : « Passer à 5 ans, Pourquoi ? Comment ? », C.E.R., Juin 1984, 6 p.

446.

I.S.A.R.A. : idem, p. 2.

447.

I.S.A.R.A. : idem, p. 4.

448.

idem, p. 1.

449.

idem, p. 2.

450.

« Passer à cinq ans, réflexions, orientations », C.E.R., I.S.A.R.A, 1985, p. 3.

451.

« Missions de L’I.S.A.R.A. », Note interne, I.S.A.R.A, 1988, 8 p.

452.

Idem, p. 3.

453.

« Schéma de progression de l’enseignement », Journée Porte ouverte, I.S.A.R.A., 1986, 13 p.

454.

« Passer à cinq ans, réflexions, orientations », C.E.R., I.S.A.R.A, 1985, p.1.