2.2.1 - Des options qui ne font plus référence au paradigme du développement

Au cours de l’année 1987, le schéma de l’enseignement en cinq ans et les thèmes des trois options sont soumis au conseil d’administration. Pour la plupart, les administrateurs souhaitent que l'école ‘« échappe à la vision de généraliste »’ 461 et envisage une spécialisation plus pointue. D’autres attendent que l’I.S.A.R.A. s’intéresse davantage aux problèmes de valorisation et de commercialisation des produits, de façon à devenir l'école de l’aval de l’agriculture et de la valeur ajoutée. Le point de vue du conseil reflète pour partie les débats et les positions prises de la profession agricole, notamment par les chambres d’agriculture. Par la voie de leur représentant au conseil d’administration, les enseignants expriment leur attachement à la conception de l’ingénieur généraliste et précisent qu’ils n’envisagent pas de spécialisation pour les ingénieurs I.S.A.R.A. Ils préfèrent utiliser le terme « domaine d’approfondissement », car le volume horaire d’une option (350 heures) ne permet pas de parler de spécialisation. A l’issue de cet échange, il fût convenu que les ingénieurs I.S.A.R.A. resteraient des généralistes, appelés à travailler aussi bien en amont qu’en aval de l’agriculture.

Les futurs responsables des options, désignés par la direction, avaient pour mission de faire des propositions au cours de l’année 1989. En fonction des nouveaux besoins du marché et, tout en cherchant à garder une cohérence avec les axes d’études et recherche retenus dans le cadre du C.E.R.E.F., ils ont redéfini les profils des ingénieurs I.S.A.R.A.

‘« Le choix des options est stratégique, c’est une affirmation des orientations de l’institut en cohérence avec les orientations du C.E.R.E.F. »462

L'option « ingénierie de la production agricole » s’adresse à de futurs ingénieurs qui se situeront à l’interface des techniques de production et de l’utilisation du produit, des techniques de production et du maintien de l’environnement, des techniques de production et de l’utilisation de nouveaux intrants.463 Leur fonction consiste à élaborer des références et conseils techniques au sein de services de recherche-développement.

‘« L’option vise à approfondir les bases scientifiques des techniques de production à venir et étudier les effets de l’évolution des sources exogènes sur les produits agricoles et les techniques de production. »464

Elle cherche à étudier les exigences d’une filière et ses conséquences sur le produit agricole, le rôle des innovations de l’amont et de l’aval, celui des normes de qualité, etc. Elle aborde la réalité agricole sous ses aspects techniques, tout en prenant en compte les diverses évolutions de l’agriculture (compétitivité internationale, gel des terres et protection de l’environnement).

‘« Pour aborder ces évolutions, il faut mettre en oeuvre de nouvelles méthodes pour résoudre les problèmes complexes qui sont posés »,’ 465 car il ne peut y avoir une seule réponse, un seul modèle technique. Les apports théoriques, notamment analyse systémique et travaux de groupe, sont étroitement associés, tout au long de l’option.

Les méthodes en recherche-développement (références, enquêtes et expérimentation), l’environnement et l’agriculture, les exigences de la filière (conséquences sur des choix techniques), le traitement de l’information et aide à la décision en définissent les thèmes.

Cette orientation marque la rupture avec la période antérieure. Le futur ingénieur I.S.A.R.A. est appelé à agir pour diverses structures, en lien ou non avec la profession agricole, qui interviennent dans le secteur agricole et lui assignent un certain nombre de contraintes et de normes. Par conséquent, il doit être capable de ‘« proposer des modifications sur incitations de l’amont, de l’aval ou de l’environnement de l’exploitation, dans le cadre de contraintes définies par le respect de normes de qualité ou de pollution et de nuisances, d’évaluer les effets induits d’une innovation technique, d’une exigence de l’aval ou d’une décision politique sur une exploitation agricole... »’ 466

Son rôle se rapproche de celui d’un expert, expert en production agricole. Les orientations prises font perdre à l'exploitation agricole sa place centrale et fédératrice des enseignements scientifiques et techniques liés aux productions agricoles.

L’option « développement économique, aménagement du territoire, gestion de projet » a pour objectif la formation d’ingénieurs capables d’analyser une situation économique dans un territoire donné pour élaborer une politique de développement, monter de projets, mettre en oeuvre des programmes, en suivre et en contrôler l’exécution, en évaluer les effets économiques, sociaux et politiques. Elle concerne des étudiants qui se destinent en priorité au développement agricole et rural, à l’aménagement du territoire en France comme à l’étranger, mais elle peut également être considérée comme une ouverture, pour ceux qui envisagent une formation complémentaire.467 Le contenu s’articule autour de quatre points : formation fondamentale à l’économie du développement, analyse macro-économique des grandes transformations de la sphère agricole et agro-alimentaire, ingénierie de projet et diagnostic économique à l’échelon micro-régional.

‘« L’option relève principalement de l’analyse et de l’action économiques. »468

La formation proposée sollicite la participation active des étudiants et cherche ‘« à donner des premiers outils à des ingénieurs qui visent des responsabilités de « chefs de projet » dans le domaine du développement ».’ 469

L’analyse économique domine la réflexion sur le développement. La conception humaniste du développement, telle qu’avaient pu l’entendre les fondateurs, est délaissée au profit de l’analyse et de l’action économiques.

L’option « marketing, innovation et développement de l’entreprise » instaure un nouveau champ d'investigation. En réponse à l’évolution du marché de l’emploi, elle s’est fixé pour objectif ‘« la formation de personnes qui, s’appuyant sur une solide formation scientifique et technique, sont capables de prendre place au sein d’entreprises des secteurs agro-industriel et agro-alimentaire, d’en saisir les diverses fonctions et la logique d’ensemble, de participer à l’élaboration et la mise en oeuvre des stratégies, et capable d’évoluer vers des fonctions de direction de petite ou moyenne entreprise. »’ 470

Le contenu est défini à partir de quatre thèmes clés : la connaissance du marché et de son environnement , l’adaptation des activités et des produits aux évolutions du marché et de l’environnement, l’innovation et la maîtrise de la qualité en agro-alimentaire, la construction et la mise en oeuvre du plan d’action commerciale.

La mise en place de cette option constitue sans doute le changement le plus attendu par les étudiants. Elle leur donne la possibilité d’envisager des fonctions dans les entreprises des filières agro-industrielle et agro-alimentaire, particulièrement au sein des P.M.E., au sein desquelles la formation pluridisciplinaire, permettant une approche globale des problèmes qui s’y posent, trouve tout son intérêt.

Le choix des contenus repose sur une évaluation du marché de l’emploi. Allant au-delà d’un simple réajustement, l’élargissement du champ cognitif remet en cause la pertinence des finalités initiales et révèle les nouveaux enjeux de la formation de l’ingénieur I.S.A.R.A.

L’exploitation agricole a perdu sa place centrale. L’orientation prise par l’option « développement » opère une rupture avec l'idée intégratrice du curriculum : la conception humaniste du développement, en lui substituant une conception économique. Elle bouleverse la hiérarchie entre les disciplines, en particulier entre la sociologie et l’économie. En privilégiant une approche économique du développement rural, dans l’année terminale, l’économie prend une place prépondérante dans la formation professionnelle de l’ingénieur I.S.A.R.A. Le degré de compartimentation entre les deux disciplines augmente. La sociologie voit sa contribution à la formation professionnelle de l’ingénieur se réduire, car elle ne fait pas partie des disciplines intervenant pour l’acquisition des compétences professionnelles, définies pour chacune des options.

Les permanences portent sur la forme de transmission des savoirs. Quelle que soit l’option, le mémoire de fin d’études garde les objectifs précédemment définis et se déroule de la même manière. Le partenariat, le tutorat et le travail d’équipe, jugés positivement pour la formation professionnelle des élèves-ingénieurs, seront conservés.

Les objectifs fixés par chaque option tendent à promouvoir un ingénieur essentiellement tourné vers l’action, qui n’a pas nécessairement à s’interroger sur les finalités de celle-ci. Les attentes de la profession agricole ne sont plus celles des années soixante-dix et l’ingénieur I.S.A.R.A. ne peut demeurer un agent du développement agricole. Il convient d’adopter un nouveau profil.

Notes
461.

Compte rendu du Conseil d’administration, I.S.A.R.A., Novembre 1987.

462.

Compte rendu du Conseil d’administration, I.S.A.R.A., Janvier 1989.

463.

Compte rendu du Conseil d’administration, I.S.A.R.A., 1990, p. 72.

464.

« Option : Ingénierie de la production agricole », Programme de l’enseignement, I.S.A.R.A., 1989, p. 66.

465.

« Option : Ingénierie de la production agricole », Document remis à la C.T.I., I.S.A.R.A., 1990, p.72.

466.

idem, p. 72.

467.

« Option : Développement économique - aménagement du territoire - gestion de projet », Programme de l’enseignement, I.S.A.R.A., 1989, p. 70.

468.

idem, p. 2.

469.

ibidem.

470.

Plaquette de présentation, I.S.A.R.A., 1990, p. 23.