2.2.3 - Les premières inquiétudes : des étudiants moins nombreux à s’intéresser à l’agriculture

Si les mesures prises, en 1984, par le ministère de l’Agriculture, à l’égard de l’enseignement supérieur privé, renforcent la position de l’école, la crise agricole génère des inquiétudes qui vont se traduire pour les enseignants par de nombreuses interrogations sur les choix effectués dans le cadre du passage à cinq ans. Un certain malaise s’installe. Le désintérêt d’une fraction importante des étudiants pour l’agriculture, notamment en année terminale, en constitue la manifestation la plus visible.

« Les élèves ont changé », tel fut le constat effectué par tous les enseignants durant les années quatre-vingts. La variation des origines sociales (augmentation du nombre d’enfants issus de catégories sociales plus élevées) et des origines géographiques (un recrutement plus régional, voire plus local) et l’augmentation du pourcentage de filles (proche de 50 %) provoqua diverses interrogations. L’augmentation du coût des scolarités a été l’un des arguments avancés pour expliquer le moindre recrutement parmi les catégories sociales plus modestes. A ces données s’ajoutait un élément plus inquiétant : les étudiants ne choisissaient pas l’I.S.A.R.A. en raison de leur intérêt pour le monde agricole, mais davantage parce qu’ils escomptaient une formation relativement accessible, leur permettant d’accéder à un statut de cadre.

‘« Du point de vue des étudiants, ce qui apparaît avant toute chose, ce n’est pas la maîtrise d’une technique, mais un statut, un statut de cadre polyvalent où on a un niveau de culture, niveau moyen avec une connotation technique, ce qui permet d’entrer dans une filière. »479 ’ ‘« Ce que l’on a vu passer au tout début, c’étaient des gens un peu incertains, mais qui derrière le mot agriculture mettaient quelque chose d’un peu noble. Après, il y a eu tout un passage d’élèves intéressés par l’écologie, la protection de la nature. Cela se rajoutait à l’agriculture, cela ne remplaçait pas, cela s’ajoutait. Puis, la population a vraiment évolué d’un coup. Il y a eu un choc brutal. Cela a fait très peur aux enseignants de voir des élèves qui, subitement, oui, l’agriculture, d’accord, mais ils s’intéressaient autant à l’agro-alimentaire. »480

Au sein de l’école, les étudiants expriment une certaine désaffection pour l’agriculture, en particulier en dernière année, au moment du choix des mémoires. Parmi les trois unités de valeur relevant du domaine agricole, celle qui portait sur l’étude des systèmes fourragers a été supprimée.

‘« Les étudiants ne s’imaginent plus travailler dans l’agriculture ou bien estiment en connaître suffisamment. »481

Les modalités d’admission n’ont pas changé. Toutefois, la question du maintien des entretiens a été mise à l’ordre du jour. L’évolution des attentes des candidats remet en cause le critère de motivation pour l’agriculture. Malgré les divergences d’opinions, les enseignants soulignent l’intérêt de l’entretien pour faire connaître l’école et éviter les erreurs d’orientation. La décision ne suffit pas à dissiper le malaise. En 1989, un compte rendu du C.E.R. évoque le décalage entre ‘« ce qui est proposé par l’école (une formation scientifique, technique, technologique, agricole et rurale) et ce que viennent chercher beaucoup d’étudiants (gestion, commerce, management) ».’ Cela aboutit à la suppression des entretiens. Néanmoins, la sélection des candidats sur le seul dossier scolaire n’a pas été jugée satisfaisante. Dès 1992, les modalités de celle-ci varieront selon la qualité du dossier scolaire : admission sur dossier, admission sur dossier et entretien, admission sur concours F.E.S.I.C.482

A la suite de ces premières transformations, la formation de l’ingénieur I.S.A.R.A. conserve son caractère généraliste et pluridisciplinaire. L’agriculture demeure l’entrée spécifique et privilégiée de l’enseignement. Le mode d’acquisition des compétences n’a pas varié et, au terme de son cursus, l’ingénieur I.S.A.R.A. sait lier théorie et pratique. Les enseignants souhaitent que ces qualités soient préservées, car elles fondent l’identité professionnelle de l’ingénieur I.S.A.R.A. C’est pourquoi le cursus se décompose en quatre années, plus une, consacrée à l'approfondissement d’un domaine. Toutefois, plusieurs glissements par rapport au modèle initial ont été opérés. L’introduction de nouvelles matières dans le programme d’études conduit à la mise en place d’un secteur dont le principe de délimitation est plus rigide. En dernière année, l’exploitation agricole n’a plus de rôle fédérateur des enseignements techniques et scientifiques. La formation professionnelle de l’ingénieur I.S.A.R.A. ne se réfère plus au paradigme du développement ou, en tout cas, ne lui donne plus le même sens. L’approche qui en est faite est à dominante économique. Le paradigme du développement est abandonné, sans que les raisons en soient explicitées. L’école conserve une structure faiblement hiérarchisée, mais celle-ci n’est plus directement reliée à une vision du rôle de l’ingénieur I.S.A.R.A. dans le développement de l’agriculture régionale.

Notes
479.

Entretien n°4, 1995.

480.

Entretien n°5, 1995.

481.

C.E.R., I.S.A.R.A., 1985.

482.

Plaquette de présentation, I.S.A.R.A., 1992, p. 26.