2.3.1 - La fonction fédératrice de la sociologie contestée

Au préalable, précisons que M. Manificat et P. Picut, ainsi que les vacataires en sociologie des instituts voisins, ont quitté l’I.S.A.R.A., dès le début des années quatre-vingts. Les débats pour définir le nouveau cursus en cinq ans se sont déroulés en leur absence.

Lors des premières négociations sur la réorganisation du cursus, la place de la sociologie a été parmi les sujets abordés et, souvent de manière conflictuelle, mais les comptes rendus n’ont pas laissé de traces des contenus précis des débats ; les critiques présentées sont celles qui ont été évoquées à plusieurs reprises.

De nombreuses remarques ont déferlé sur l’étude socio-économique, en particulier parce qu’elle génère des pertes de temps au moment où les étudiants analysent les entretiens et rédigent leur document (début de la quatrième année). De fait, le principe qui, à ce moment, définit l’association entre les unités de temps et leur contenu diffère radicalement de celui qui est habituellement retenu pour la plupart des enseignements. Il est basé sur la journée et non sur l’heure et postule l’autonomie. Cela modifie les rapports entre enseignants et étudiants et donne une réelle marge de manoeuvre aux étudiants pour organiser leur travail. L’utopie éducative pratiquée, aussi séduisante soit-elle, n’est pas toujours bien perçue intra-muros. A cela s’ajoute l’insuffisance des connaissances sur la méthodologie des enquêtes, observée en quatrième année lors des enseignements marketing ou bien en dernière année, pendant l’option « marketing, innovation et développement de l’entreprise », lorsque les étudiants ont à effectuer des études de marché. Le mode de transmission des savoirs, qui constituait l’une des particularités de la discipline dans le cursus, est jugé peu efficace.

Plus profondément, la remise en cause porte sur la place de la discipline et son rôle dans la formation des ingénieurs I.S.A.R.A. Elle reflète les tensions qui traversent la discipline : doit-elle en priorité viser l’acquisition d’outils opérationnels ou bien doit-elle donner la possibilité d’une réflexion critique ? Lors de la création de l’école, la sociologie a permis de concilier formation scientifique et technique et formation humaine en se référant à une conception humaniste du développement. Dès le début des années quatre-vingts, quelques temps après le départ des fondateurs, les enseignants de l’I.S.A.R.A. souhaitent prendre de la distance avec certaines images du passé : ‘« une école trop agricole pour certains, trop marquée par la sociologie, pour d’autres »’ 483 . Les réflexions internes, provoquées par le passage à cinq ans, ont dès lors constitué une opportunité pour refuser à la sociologie le rôle de guide de l’action. Les références jacistes, la promotion des initiatives collectives pour la promotion individuelle et l’organisation coopérative étaient perçues comme l’expression d’une idéologie qui ne pouvait plus servir de référence.

Les sociologues se rallient à cette position, car ils ont pu constater la difficulté de donner sens à l’action, notamment car la situation sociale et économique de l’agriculture était radicalement différente de celle des années soixante-dix et les thèmes de réflexion proposés ne trouvaient plus guère d’écho ni sur le terrain ni auprès des étudiants. En revanche, ils estiment que le travail de terrain trouve un intérêt dans la mesure où l’observation d’un milieu social débouche sur une réflexion critique, ce qui les entraîne à revoir les finalités de l’enseignement.

Notes
483.

Entretien n°5, 1995