Conclusion deuxième partie

Si, maintenant, nous récapitulons les variations et les permanences du curriculum, nous constatons que, parmi les premières, l'une des plus importantes est probablement le changement par rapport aux finalités. Les valeurs de l'humanisme chrétien ne sont plus des valeurs de référence, car elles ne servent plus à guider l'action de formation. De plus, en raison des mutations du secteur agricole, l’I.S.A.R.A. ne peut plus centrer son cursus sur l’étude du fonctionnement de l’exploitation agricole. L’élargissement de son champ cognitif appelle une recomposition des savoirs qui lui permet de se placer au service du développement technique et économique de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et du rural. Les valeurs et les normes qui guident la réorganisation du curriculum, lors du passage à cinq années d’études, relèvent du registre économique. En l'absence de modèle de remplacement, les finalités professionnelles se sont substituées aux finalités philosophiques.

Les enseignements du curriculum intégré se référaient à trois paradigmes : les sciences expérimentales, l'approche systémique et le paradigme du développement. Le nouveau curriculum s'est appauvri, dans la mesure où le modèle des sciences expérimentales est devenu le modèle unique. Cette variation semble de nature à modifier le sens donné au terme généraliste. Aujourd'hui, l'ingénieur I.S.A.R.A. est considéré comme généraliste, parce que le nombre de matières étudiées, portant sur des domaines variés, est élevé. (cf. annexe 3, documents 1 à 4.) Le mode d’évaluation et les coefficients ainsi que les règles de passage d'une année à l'autre n'ont pas varié, ce qui oblige les étudiants à s'intéresser à toutes les disciplines. La possibilité d'acquérir des compétences pointues dans un domaine donné se trouve concrètement limitée, du fait du faible développement des enseignements optionnels dans la partie tronc commun. Le nouveau découpage des savoirs se rapproche du modèle « deux années préparatoires suivies par le cycle ingénieur », mais l'école hésite à se prononcer.

La sociologie épouse les variations du curriculum. Sous la pression conjuguée de facteurs internes, le départ de sociologues fondateurs, et externes, la crise du référentiel professionnel et idéologique de l’agriculture, elle s'éloigne puis abandonne la réflexion normative. Son projet est de contribuer à la formation professionnelle des ingénieurs mais, sur ce terrain, elle se trouve de plus en plus concurrencée par des disciplines qui abordent la dimension non spécifiquement technique de la formation de l'ingénieur : marketing, économie, communication.

Les permanences sont moins visibles, mais non moins réelles. En dépit des transformations engagées à partir de 1986, l'école a conservé pendant quelques années, en raison notamment de la permanence de ses acteurs, certaines caractéristiques d'origine. Le degré de professionnalisation du dispositif et l'ouverture à des disciplines autres que les disciplines scientifiques et techniques restent très marqués.

Au total, la controverse sur les orientations à donner à la sociologie et à l’agronomie s’est traduite par une modification de la structure formelle du curriculum. Les sciences biologiques se trouvent revalorisées et s’imposent progressivement comme disciplines au coeur de la formation théorique de l’ingénieur. Le degré de compartimentation entre les secteurs d’enseignement augmente, car ils n’ont plus d’objet d’étude fédérateur. Les lieux d’application se trouvent étroitement associés aux départements ; par exemple le département « Entreprise et agro-alimentaire » s’intéresse peu à l’exploitation agricole. Les collaborations entre enseignants s’établissent principalement autour d’un groupe de disciplines réunies dans un département. Cette organisation ne facilite pas le travail pluridisciplinaire autour de thèmes tels que l’environnement ou la qualité, difficiles à rattacher à un département ou à un autre.

Pour participer à la formation professionnelle de l’ingénieur, la sociologie, tributaire des lieux d’application, se parcellise. Néanmoins, en raison du maintien du dispositif de recherche-action, sa contribution à la formation des ingénieurs I.S.A.R.A. est ambiguë.

Cette mutation apparaît étroitement liée à celle du secteur agricole. Les variations, qui ont affecté le réseau d’interdépendances dans lequel l’I.S.A.R.A. se trouve inséré (la profession agricole, le dispositif de l’enseignement supérieur, etc.), permettent de comprendre pourquoi le modèle fondateur a été déstabilisé. Elles forment des éléments constituants en dehors desquels il n’est pas possible de comprendre les marges de manoeuvre qui s’offraient aux acteurs et la manière dont ils les ont interprétées.