Pendant la phase de création et de développement de l’I.S.A.R.A., la sociologie joue un rôle fédérateur au sein du curriculum. Elle se déploie en fonction de finalités philosophiques et de finalités économiques, de telle sorte que les futurs ingénieurs en agriculture soient préparés à agir en faveur du développement des exploitations agricoles, sans que celui-ci s’exerce au détriment des agriculteurs. La formation d’ingénieurs cadres de l’agriculture ayant une conception humaniste du développement devient le projet de l’école. L’existence d’un consensus permet la construction d’un curriculum intégré, au sein duquel la hiérarchie et le degré de compartimentation entre les secteurs d’enseignement sont faibles. Le paradigme du développement entrelaçant analyse scientifique et interprétation philosophique lui donne une cohérence. Par l’intermédiaire d’un dispositif de recherche-action, la sociologie articule formations professionnelle et scientifique du futur ingénieur en agriculture. Solidarité, autonomie, initiatives et organisations collectives constituent les valeurs de référence qui animent le projet éducatif et confèrent une certaine originalité à la formation de l’ingénieur I.S.A.R.A.
La crise sociale, économique et politique du secteur agricole a incité les acteurs à revoir les programmes de formation pour une meilleure adaptation du cursus aux nouvelles orientations du marché de l’emploi. Lors de restructurations successives, ils ont remis en cause l’idée intégratrice du curriculum. L’objet d’analyse : l’exploitation agricole, autour duquel se rassemblaient les disciplines techniques et les disciplines des sciences sociales, a progressivement pris moins d’importance. La sociologie, dépourvue de ses finalités, est passée du statut de discipline fédératrice à celui d’une discipline marginalisée. Les variations de ses finalités peuvent être analysées comme le résultat de tensions entre facteurs philosophiques et facteurs économiques, ce qui correspond à la première moitié de l’hypothèse.
Confrontée aux objectifs difficiles à concilier que sont, d’une part, la formation de cadres capables de s’adapter aux réalités du marché du travail et, d’autre part, la formation à la pensée critique des ingénieurs, les sociologues ont opéré différents compromis. Dans cette troisième partie, il s’agit de poursuivre l’exploration de la seconde moitié de l’hypothèse sur la difficulté identitaire et les enjeux de la sociologie dans cette formation. Pour cela, nous nous demanderons quelles ont été sur elle les conséquences des variations de la place de la discipline dans la formation des ingénieurs ? L’analyse ne porte plus sur la substance du curriculum, telle qu’elle a été définie aux différentes périodes, mais sur une pratique qui génère un ensemble d’apprentissages et qui donne l’occasion de maîtriser de nouvelles connaissances537. L’ingénieur est à la fois homme de science et homme d’action, c’est pourquoi nous abordons la contribution de la sociologie à sa formation scientifique, puis à sa formation professionnelle.
Les deux premiers chapitres, centrés sur les résultats d’une pratique, étudient le curriculum réel. A partir de l’analyse du contenu des études effectuées de 1971 à 1994, le premier examine la problématique de la scientificité et tente de montrer l’intérêt et les limites d’un dispositif de recherche-action dans une formation initiale. Le deuxième, au moyen d’une enquête par questionnaire adressée aux anciens élèves et d’entretiens complémentaires auprès de partenaires professionnels de l’école, aborde la contribution de la discipline à la formation professionnelle des ingénieurs. Un troisième chapitre entame une réflexion sur les enjeux d’une discipline académique dans une formation supérieure professionnelle.
ISAMBERT - JAMATI (V.) : Les savoirs scolaires, Enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes, Editons Universitaires, Paris, 1990, p. 13.