- La rupture avec les présupposés

Pour parvenir à une connaissance scientifique des faits observés, l’observateur de la réalité sociale doit se dégager de ses prénotions, des préjugés et de ‘« l’illusion de la transparence »’. C’est ce que rappellent les auteurs du « métier de sociologue » pour qui ‘« le fait est conquis, construit et constaté »’ contre l’illusion du savoir immédiat.

‘« L’expérimentation vaut ce que vaut la construction qu’elle met à l’épreuve et la valeur heuristique et probatoire d’une construction est fonction du degré auquel elle a permis de rompre avec les apparences et, par là, de connaître les apparences en les connaissant comme apparences... La valeur d’un modèle formel est fonction du degré auquel les préalables épistémologiques de la rupture et de la construction ont été remplis. »542

La rupture avec les savoirs établis et la construction par des procédés appropriés constituent deux préalables incontournables pour produire des connaissances scientifiques. Ainsi, c’est en se référant à un modèle théorique que le sociologue peut éviter les pièges de la sociologie spontanée et accéder à une connaissance rigoureuse et objective.

Toutefois, la mise en oeuvre de la démarche scientifique ne se concrétise pas de la même manière dans le cas d’une recherche-action. Celle-ci comporte diverses spécificités, qui vont avoir une incidence sur les phases de rupture et de construction. Nous ne cherchons pas à situer la singularité de la recherche-action par rapport aux méthodes classiques de recherche en sciences sociales, mais à identifier certains traits caractéristiques, afin de pouvoir définir les critères permettant d’apprécier la scientificité des études socio-économiques.

En raison du principe de l’unité entre la recherche et l’action, ‘« l’élaboration de la connaissance requiert une transformation de la réalité à laquelle elle se réfère »’ 543. L’intention de recherche et la volonté de changement sont partagées au sein d’une même équipe. Le rapport entre la théorie et l’expérience se trouve inversé, car la pratique sociale constitue le point de départ et le point d’aboutissement de la recherche. Théorie et pratique se situent dans un rapport dialectique, ce qui modifie la manière d’opérer la rupture, celle-ci s’effectuant par oppositions et dépassements.

‘« Entre l’observation empirique et la connaissance commune, il n’y a pas rupture dans le sens où l’entendent Bourdieu, Chamborédon et Passeron, mais relation dialectique c’est-à-dire oppositions et dépassements. »544

C’est de la confrontation entre les données issues de la pratique sociale et une réflexion théorique construite sur des concepts que peut se développer une pensée dialectique débouchant sur la connaissance. Deux indicateurs ont été retenus pour juger de la rupture avec les présupposés : les données rassemblées (démographiques, sociales économiques, etc.) pour observer les collectivités locales ; les références bibliographiques des documents. L’analyse qualitative des 15 études socio-économiques a été sollicitée afin d’indiquer de manière plus explicite le contenu de l’observation de terrain et son mode d’analyse.

Notes
542.

BOURDIEU (P.), CHAMBOREDON (J.Cl.), PASSERON (J.C.) : Le métier de sociologue, Mouton Editeur, Paris, 1973, p. 83.

543.

LIU (M.) : « Vers une épistémologie de la recherche-action », Revue Internationale de Systémique, vol. n°6, 1992, n°4, p. 443.

544.

BARBIER (R.) : La recherche-action dans l’institution éducative, Gauthier-Villars, Paris, 1977, p. 33.