1.2.1 - La rupture avec les présupposés

La description de la phase de rupture est basée sur l’étude des bibliographies (cf. annexe 9  :  tableaux n°28 à 33, pp. 386-388), et des données contextuelles (tableaux n°7 à 10, pp. 381-382).

Un premier indicateur de la façon dont est traité le lien théorie-pratique est fourni par l’analyse du contenu des bibliographies, complétée par l’analyse qualitative des documents.

Les articles techniques ou économiques (56% des documents, tableau n°31, p. 387), constituent les références bibliographiques les plus fréquentes, et plus encore dans les documents plus récents (tableau n°48, Chi2 significatif, 17 articles et plus, p. 395). Viennent ensuite les données statistiques (37%), (tableau n°32, p. 388), puis les ouvrages sociologiques (22%), (tableau n°29, p. 387) avec, en moyenne, deux ouvrages cités, (le maximum est de six ouvrages). 18 études comportent à la fois ouvrages et articles sociologiques.

Les ouvrages de sociologie rurale de Placide Rambaud (cités 24 fois) et Henri Mendras (20) sont parmi les plus consultés. « Le Projet coopératif » d’Henri Desroche (13) constitue la principale référence bibliographique des études ayant trait au fonctionnement coopératif. Trois auteurs sont référencés de cinq à dix fois : Albert Meister (9), Maryvonne Bodiguel (5) et Roger Mucchielli (5) et treize se trouvent cités de deux à quatre fois.

En raison du nombre élevé de non-réponses, les variations du nombre d’ouvrages cités par promotion ne sont pas significatives. (cf. tableaux n°46, p. 394 et n°49, p. 395). La référence à des ouvrages sociologiques dans seulement une étude sur cinq illustre la difficulté, dans ce contexte, de relier approche théorique et données de l’observation empirique. L’analyse qualitative des documents apporte un autre éclairage sur le lien théorie-pratique.

Les premières études (1971) décrivent la vie d’une commune en reprenant les grands chapitres de l’étude monographique. Il s’agit d’une juxtaposition d’informations, sans projet d’analyse. (cf. annexe 10 : analyse comparative).

Dès 1974, les étudiants se réfèrent au texte « Etude monographique d’une commune rurale » de M. Jollivet et H. Mendras, qui sert de grille d’observation et de plan de rédaction. L’objectif de l’étude ne se limite plus à la description, mais vise la compréhension du fonctionnement du système social. Le sous-titre indique souvent le problème traité : « Campuac : une nouvelle unité. Développement autour d’un groupe » (cf. annexe 10, étude n°3, 1975). La démarche est celle d’une analyse sociographique ; elle décrit, selon une grille préétablie, des groupes humains dans leur particularité. Les entretiens sont analysés à l’aide de la « grille d’analyse des mentalités », rédigée par M. Manificat et P. Picut, ce qui permet une exploration de ceux-ci selon trois axes : les thèmes, les modèles et les clivages.

Pour analyser la prise de décision au sein des coopératives, le modèle théorique est celui que propose Henri Desroche. Le quadrilatère coopératif, utilisé comme figure explicative du fonctionnement, sert à découvrir les stratégies divergentes, voire contradictoires, entre les acteurs et les décalages entre l’idéal coopératif et la réalité : « Lorraine-Lait : idéal coopératif et réalités économiques » (cf. annexe 10 - étude n°4, 1978).

Les changements significatifs apparaissent au début des années quatre-vingts lorsque les demandes professionnelles conduisent à privilégier une analyse qui met l’accent sur la capacité de modernisation des agriculteurs, celle-ci étant définie principalement à partir de critères technico-économiques (annexe 10, étude n° 9, Saint-Maximin : quelle agriculture pour demain ? 1985).

Les références théoriques mises à la disposition des étudiants n’ont pas radicalement varié (Mendras, Desroche, Bodiguel, Jollivet), mais elles n’apparaissent plus dans les documents552. En raison des changements profonds qui ont affecté le métier d’agriculteur et les réseaux de sociabilité traditionnels, l’étude des collectivités locales prend de moins en moins d’importance. (cf. annexe 10, études n° 8 et 9, 1985 et 1988). Du coup, les références théoriques, qui permettaient de les décrire, sont moins utilisées et les études sont davantage centrées sur les problèmes à résoudre.

La seconde variation a lieu, au début des années quatre-vingt-dix, lorsque sont traités des sujets voisins des études de marché ou des enquêtes d’opinions. Les organismes agricoles ne sont plus les seuls commanditaires. Les études s’inscrivent dans un contexte où dominent les réalités économiques, mues par les technologies et le marché. Pour illustration, citons :

« Sport, culture, loisirs : le produit cheval vu par les comités d’entreprises en Ile de France » (Haras Ile-de-France -1994).

« Le pays du Picpoul : un projet de développement d’une route des vins » (S.A. Picpoul de Pinet - 1994).

« Les adhérents d’Orlac et le service de la rétrocession ».

Le contenu des études se rapproche de celui des enquêtes d’opinions.

Les données contextuelles permettent de savoir dans quelle mesure les étudiants parviennent à appréhender la réalité sociale dans la pluralité de ses dimensions et pas seulement en fonction de données techniques ou économiques. Globalement, pour l’ensemble des études, le contexte est décrit par des données de type socio-économique, (répartition par secteurs d’activités de la population, données sur l’emploi en agriculture, etc.), des données historiques, puis démographiques et techniques (cf. tableau n°8 : données générales, p.381). Les données socio-économiques constituent les informations mobilisées en priorité. Le plus souvent, ces données (socio-économiques, démographiques ou historiques) sont détaillées en annexe.

Les études monographiques (promotions 1 à 3) se distinguent par l’absence de références techniques et l’importance de l’analyse démographique. Celle-ci était effectuée en collaboration avec le P. Daille, de l’Institut de Sociologie. La variation la plus significative est l’absence de données de cadrage des études pour les promotions 19 à 24 (cf. tableau n°38, Chi2 significatif pour les non-réponses, p. 391, résultat conforté par l’absence de ces données en annexe, tableau n°41, p. 392). L’analyse qualitative du contenu des documents permet d’illustrer ces tendances.

Jusqu’à la fin des années quatre-vingts, la plupart des études débutent par une description de l’environnement, sous ses aspects géographique, historique, démographique et socio-économique. L’approche contextuelle est effectuée en vue de comprendre les contraintes et les marges de manoeuvre des individus, qui trouvent leur sens sur le fond de la totalité sociale où elles s’inscrivent. Ces données ne déterminent pas des comportements, mais, dans la mesure où elles définissent le contexte social de l’individu, elles les conditionnent. Certes, le contexte est parfois analysé de manière succincte, mais ce qui est significatif, c’est qu’il soit pris en considération pour comprendre les pratiques des acteurs. Au fil des années, seules les données jugées a priori essentielles à la compréhension du problème étudié seront prises en compte.

L’étude sur le devenir et la réorientation de l’agriculture, dans six communes du canton de Saint-Mamert (annexe 10, étude n°10, 1988), privilégie l’analyse du contexte viti-vinicole, considéré comme facteur explicatif des difficultés des viticulteurs et n’aborde que très brièvement le contexte local. L’analyse contextuelle revêt un caractère formel et reste, dans la plupart des cas, très limitée, comme le montre l’étude sur l’avenir agricole des coteaux Nord du Petit Lubéron (cf. annexe 10, étude n°12, 1989, quelques données techniques, principalement pédologiques servent à décrire le contexte).

Cette première exploration du contenu des documents montre que la démarche des études de terrain est de moins en moins guidée par un cadre théorique de référence. La méthode d’investigation n’a pas varié. Elle formule des hypothèses et les confronte à la réalité observée pour les valider. En se rapprochant de la démarche des sciences expérimentales (exploration du réel, élaboration de l’hypothèse puis contrôle et exploitation de l’hypothèse), la méthodologie devient en quelque sorte garante de la scientificité. (cf. annexe 10, étude n° 12 Avenir agricole des coteaux du Petit Lubéron, 1990). Les études apportent une connaissance du terrain, sans qu’il y ait de rupture avec les présupposés : les données techniques et économiques sont considérées comme les seuls déterminants des orientations de l’activité agricole. L’objet d’étude, fixé par la demande, n’est plus questionné, ce qui serait précisément la rupture épistémologique. Les dimensions sociales et culturelles, initialement prises en compte, n’apparaissent plus. Cela entraîne l’absence de théorisation ou, tout au moins, d’une ébauche de théorisation.

Notes
552.

Certaines études utilisent des références théoriques, sans que celles-ci figurent dans la bibliographie.