2.2.3 - Apprendre l’écoute

Savoir écouter dans des situations professionnelles complexes, cela constitue l’un des acquis mentionnés par 38 ingénieurs. ‘« L’écoute de l’autre », « l’écoute du terrain », «être à l’écoute dans une fonction de conseil auprès des agriculteurs », «  écouter pour comprendre », « nous avons appris l’écoute » ’sont parmi les expressions employées (45 fois) pour dire ce qui est utile dans une fonction.

Que l’on soit homme de diagnostic, prescripteur ou vendeur, la capacité d’écoute sert à mieux comprendre les attentes, les besoins et les comportements des personnes côtoyées.

‘« Je crois que c’est grâce à cette formation que je regarde le milieu dans lequel je vis et les gens avec qui je suis en contact avec un autre regard qui me permet une meilleure analyse et beaucoup plus de compréhension. » (n°12, promotion 4)’ ‘« Je pense que cette formation est un bon moyen d’apprendre à connaître le milieu dans lequel on intervient, d’apprendre à écouter, à respecter les interlocuteurs, et donc à mieux s’adapter » (n°48, promotion 16).’

Capacité d’écoute et conduite de l’entretien de type semi-directif sont fréquemment associées dans les réponses. La frontière entre savoir pratique et capacités relationnelles est délicate à situer : ‘« Les savoir-faire dans l’écoute et la compréhension, acquise par l’étude socio-économique » (n°45, promotion 15).’

‘« Oui, que ce soit conscient ou non, comme l’écoute, savoir interviewer quelqu’un, analyser ses propos sans le juger » (n°93, promotion 22).’

Elle est également rattachée à la capacité à appréhender un milieu ou un groupe, autre acquis important, évoqué précédemment (27 personnes).

‘« Ecoute du terrain, analyse des groupes de pression, analyse des conflits » (n°20, promotion 8).’ ‘« Compréhension des relations entre les agriculteurs, entre les exploitations, et avec leur environnement » (n°54, promotion 17).’

L’ensemble des réponses à cette question rappelle l’importance de la dimension humaine dans la fonction des ingénieurs, que celle-ci soit en lien avec la production agricole, la transformation ou la vente. Elle ne vient pas en plus, mais elle est l’une des composantes du métier, singulière, locale et irréductible. ‘« Parce que cela les fait passer d’une démarche où ils construisent une recherche à partir de données qu’ils vont chercher à une démarche où ils écoutent. Là, je pense que cela va au delà de la collecte d’informations. Ils apprennent une démarche où, effectivement, ce qu’ils vont savoir, c’est dans la tête des gens, ils vont le faire dire... C’est très différent de celui qui toujours construit, construit. Là, on écoute. Cette espèce de passivité dans l’écoute n’est pas de la passivité au sens habituel, c’est au niveau philosophique. C’est en écoutant que finalement on va construire le meilleur. »’ 586

Les techniques d’enquête, les capacités d’analyse et les capacités d’écoute apparaissent primordiales et étroitement liées ; elles ne peuvent se développer l’une sans l’autre.

Cela nous amène à conclure en reprenant les propos de Michel Crozier.

‘« L’écoute, l’attention portée au quotidien, constituent une priorité absolue dans tout effort de mobilisation des ressources humaines ou de modernisation de l’entreprise. Si l’on accepte que l’on ne peut changer les rapports humains par les ordres ou par les règles, ou même par un effort d’enthousiasme persuasif, la connaissance concrète des réalités vécues par les acteurs opérationnels devient indispensable (...).Cette connaissance n’a rien à voir avec celle que l’on tire de ces véritables caricatures d’écoute que nous offrent, de plus en plus, les sondages d’opinion. (...) La connaissance pertinente se différencie aussi de celle que peuvent faire émerger les études de motivations, car celles-ci nous renseignent davantage sur les problèmes personnels des individus, que sur ceux que leur posent la coopération avec autrui, le fonctionnement de l’entreprise et les jeux de pouvoir auxquels les hommes sont confrontés. La véritable écoute pertinente est celle de la vie relationnelle de tous les jours. Les enquêtes qualitatives, décrivant la façon dont cette vie est réellement vécue, nous en révèlent l’importance et nous en donnent les clefs (...) La connaissance tirée de l’écoute ne se réduit pas à l’enregistrement des réponses. Elle émerge de la confrontation de chacune des parties avec leurs rationalités diverses, parfois contradictoires. »587

De cette brève analyse, il ressort que la mise en situation trouve son sens et sa vigueur grâce à l’interdépendance entre formation humaine et formation professionnelle ; elle est considérée comme une expérience. Par ailleurs, l’acquisition de savoirs pratiques ne peut être envisagée en dehors d’un éclairage théorique. Il est indispensable que les outils d’analyse proposés soient rattachés aux concepts et théories qui les sous-tendent. Formation théorique et formation pratique ne peuvent être dissociées et doivent s’enrichir mutuellement. Le profil de l’ingénieur en agriculture est celui d’un ingénieur de terrain ou encore d’un ingénieur praticien. Son métier se situe entre connaissance et action. La sociologie peut contribuer à la formation de l’ingénieur en répondant à cette exigence : se situer entre théorie et pratique, entre connaissance et action. Toutefois, elle ne peut se désintéresser des processus qui lui permettent de passer d’un registre à l’autre, de la théorie à la pratique.

Notes
586.

Entretien n° 4, 1995.

587.

CROZIER (M.) : « L’indispensable besoin d’écoute », L’entreprise à l’écoute, InterEditions, Paris, 1991, pp. 206 - 208.