2.4.3 - Perception de la sociologie dans la formation

Pour tous nos interlocuteurs, les ingénieurs I.S.A.R.A. ont une sensibilité forte à autre chose que du technique, qui se traduit par des compétences assez bien identifiées : savoir travailler en groupe et animer une équipe, savoir analyser une situation complexe, et un ensemble d’aptitudes dans le domaine des relations humaines.

Il ne semble pas possible d’établir de liens entre ces compétences et aptitudes et une discipline ou une autre. Il s’agit plutôt d’un ensemble de matières‘. « Quand je leur pose cette question : quels sont les cours qui vous ont le plus marqué ? ils disent : on a fait du marketing, ça m’aide, de la gestion, ça m’aide à comprendre, de la sociologie, etc. Ils citent plusieurs matières. Ils disent : autour des matières techniques, on a un certain nombre d’heures de cours, d’approche qui nous aide à avoir une vision plus globale. Des matières qui ont un contenu plus généraliste : marketing, gestion, sociologie. » ’(entretien n° 5, entreprise)

La sociologie, en tant que discipline, apparaît davantage à travers les méthodes utilisées pour appréhender un problème.

‘« Des méthodes, des systèmes d’enquête pour essayer de comprendre des groupes, pourquoi ils réagissent ou ne réagissent pas. » (entretien n° 2, développement)’ ‘« Ils utilisent ces techniques, mais assez spontanément. Ils ne se rendent pas compte qu’ils utilisent telle ou telle méthode.. .Ils arrivent à comprendre comment fonctionne l’entreprise, quel est l’organigramme réel par rapport à l’organigramme formel. Quels sont les gens qu’il faut aller voir parce qu’ils détiennent les informations qui leur permettront de faire avancer le dossier. » (entretien n° 5, entreprise)’

La sociologie est plutôt perçue comme ‘« une manière de voir les choses et de les analyser »’ (entretien n° 5, entreprise), qui donne la possibilité de comprendre des groupes sociaux et les relations entre des individus et des groupes. Ainsi, elle trouve sa légitimité dans la formation des ingénieurs.

‘« Je parle plutôt de formation psychosociologique... ce qui me paraît le plus mobiliser dans la pratique, c’est le fonctionnement des petits groupes. » (’entretien n°2, développement)

Toutefois, la reconnaissance accordée à la sociologie dans la formation des ingénieurs est partielle. Elle n’est jamais envisagée pour elle-même, mais pour introduire autre chose qu’elle-même.

‘« Il y a quelque part à les préparer quotidiennement à la lutte qu’ils vont avoir à conduire quotidiennement avec l’opérateur (...) Mais dans le domaine de sociologie, c’est la communication, savoir écouter les autres, les avoir compris pour mieux expliquer ce que l’on veut faire. Vous le faites bien dans l’environnement rural, mais vous ne le faites pas dans l’environnement industriel. » (entretien n° 5, entreprise)’ ‘« Sur le plan pédagogique, c’est important qu’il y ait un travail d’enquête. C’est indispensable de mettre en pratique un enseignement, à la fois sur l’aspect utilisation des outils, validation des acquis, se confronter à la réalité. Ce sont des aspects essentiels dans la formation, notamment en sociologie. Il faut que cela reste le plus concret possible.... Je crois qu’il faut que cela soit un outil au service des autres activités, des autres enseignements. » (entretien n° 6, Coopération)’

La dimension critique de la discipline n’est pas souhaitée et les ingénieurs ne sont pas sollicités pour mettre en oeuvre la compétence du sociologue. Une orientation forte d’une école dans ce domaine risque de ne pas être très bien perçue.

‘« Sur le plan historique, au début de l’I.S.A.R.A, il y avait une connotation sociologie qui était un peu trop forte. L’I.S.A.R.A a certainement su se débarrasser, en terme d’image et peut-être d’enseignement, de cet aspect. Je crois que l’on reconnaît à l’I.S.A.R.A. qu’elle forme des ingénieurs généralistes et que la sociologie y contribue à sa bonne place. C’est à vérifier, je ne peux entrer dans le détail technique de l’enseignement. J’aurais tendance à dire que cela contribue à caractériser l’ingénieur I.S.A.R.A., mais d’une manière positive. On ne revient pas sur ce que l’on a dit, mais je crois qu’au niveau des entreprises, mais pas toutes, par exemple, au niveau d’une P.M.E., quand on recrute quelqu’un, on ne cherche pas forcément à comprendre toute sa formation. Je pense que par rapport à des personnes qui les amènent à avoir des visions plus globales, plus synthétiques, je réponds sans hésiter que les gens d’I.S.A.R.A. ont cette formation en sociologie, qu’ils ont pratiqué sur le terrain, ils ont mené un certain nombre d’enquêtes. Au niveau des relations humaines, ce qui est des points clés dans les entreprises et dans la société, on se dit, ce sont des gens qui sont préparés à gérer des relations humaines. » (entretien n° 6, Coopération)’

Une certaine polyvalence, le sens des responsabilités, l’aspect humain et la connaissance du terrain, constituent les principales qualités attribuées par les employeurs aux ingénieurs I.S.A.R.A. Les postes qui leur sont facilement confiés sont des postes d’interface, où ils sont amenés à traiter des problématiques complexes.

Les partenaires professionnels de l’I.S.A.R.A. ou les ingénieurs reconnaissent l’intérêt de la sociologie dans la formation initiale, mais sa position est fragile. Le risque majeur pour la discipline, dans la formation initiale des ingénieurs, est d’être considérée uniquement sur un plan pratique, ce qui est à l’encontre de sa spécificité originelle.

Les réponses des ingénieurs I.S.A.R.A. font ressortir la contribution du dispositif de formation sociologique à leur formation professionnelle. La sociologie, en tant que discipline académique, apparaît peu. Malgré les variations de ses finalités, la principale acquisition, exprimée par la capacité à analyser une situation, est restée, sinon au même niveau, du moins à un niveau assez proche. Elle se révèle l’axe central de la formation. En revanche, l’observation la plus intéressante, parce que la moins attendue, est celle qui porte sur la capacité d’écoute. Les ingénieurs l’ont citée parmi les savoir-faire utiles dans leurs fonctions et, par ailleurs, l’ont rapprochée de la formation sociologique. Toutefois, elle n’a plus la même importance, car, pour les plus jeunes, l’aspect instrumentation est plus facilement mis en avant. Ce résultat peut être rapproché de la dérive instrumentale mise en évidence par l’analyse du contenu des études socio-économiques. Cette dérive correspond à une compartimentation plus forte entre la méthodologie et la sociologie et menace la contribution de cette dernière à la formation professionnelle des ingénieurs. Les volumes horaires des disciplines n’ont pas beaucoup changé et les modes d’évaluation sont restés stables. En revanche, la variation tient essentiellement à la manière de relier les savoirs lors de l’étude de terrain. C’est en explorant la relation entre les savoirs d’une discipline académique et ceux d’une formation professionnelle, et non chacun d’entre eux séparément, que les fondateurs de l’I.S.A.R.A. avaient innové et réussi à sortir de l’opposition entre les savoirs d’action et les savoirs théoriques et à se maintenir sur la ligne de crêtes sans glisser vers l’utilitarisme ou vers l’académisme.

La mise en perspective des propos des partenaires professionnels et de ceux des ingénieurs fait apparaître un ensemble de lignes convergentes, qui ne peut être compris qu’à travers le curriculum. Au cours du temps, le métier de l’ingénieur en agriculture a varié, mais l’ingénieur I.S.A.R.A. est resté un ingénieur de terrain. L’expression des acteurs, ingénieurs et employeurs, rend les permanences du curriculum plus visibles que les variations, difficiles à mettre en évidence. Il semble que les transformations du curriculum formel n’aient pas encore porté atteinte à l’une des caractéristiques essentielles de la période fondatrice : l’ingénieur pluridisciplinaire et polyvalent. La sociologie fait partie de cette polyvalence. Toutefois, son horizon ne peut être celui de la professionnalité. Elle ne peut renoncer à l’analyse de la réalité des faits, sans risquer de perdre son identité.