- Une légitimité sociale pour les sciences sociales dans la formation des ingénieurs

De nombreuses études et recherches ont mis l’accent, de manière convergente, sur les transformations qui, vécues dans les entreprises (développement de l’instabilité et de l’incertitude, importance accrue de l’innovation, etc.), sont susceptibles de modifier le rôle des ingénieurs et cadres (accroissement des préoccupations commerciales dans la sphère technique, importance accrue des interfaces entre fonctions).611

Dans le travail d’un ingénieur, l’aspect technique n’occupe plus une place hégémonique, il tend à devenir secondaire, au profit d’activités de management des individus et des collectifs, écrit J.P. Le Goff dans un ouvrage récent612. Outre sa composante scientifique et technique, qui constitue l’une des caractéristiques incontournables de son activité, il est amené ‘« à exercer une responsabilité globale qui mobilise des compétences sortant du champ de la technique »’ 613. Celle-ci est sollicitée pour la conduite d’un projet ou bien dans le champ des activités managériales.

Toutefois, souligne J.P. Le Goff, ces deux domaines ne mettent pas en jeu le même type d’activités. Lorsqu’il exerce une activité managériale, l’ingénieur se trouve dans une position hiérarchique d’encadrement et est amené à assurer l’organisation du travail, l’arbitrage de conflits, etc. L’équipe avec laquelle il travaille est souvent de taille importante et peut associer des qualifications très diverses.

En revanche, la conduite de projet se situe sur un autre registre. L’ingénieur n’a pas de responsabilité hiérarchique, mais il est sollicité pour coordonner l’activité de personnes en vue de mener à bien, dans un délai défini, une activité précise. L’aspect technique de l’activité n’est pas nécessairement celui qui sera dominant, dans la mesure où son action met également en jeu des composantes organisationnelles, relationnelles, financières, etc. Chargé de la conduite du projet, l’ingénieur doit être en mesure d’appréhender ses multiples dimensions, de mobiliser des compétences différentes et d’obtenir le consensus de plusieurs groupes. Cette fonction fait appel à des capacités autres que celles qui relèvent du domaine scientifique et technique. Néanmoins, la technique reste l’élément de référence du métier d’ingénieur.

Les analyses du changement au sein des entreprises ou bien à un niveau plus général s’accordent sur le fait que l’ingénieur se trouve, un jour ou l’autre, confronté à des problèmes non techniques, recouvrant des domaines aussi divers que le marketing, le management, la gestion, le droit social, le droit des affaires, etc. Etre innovateur, capable d’anticiper les mutations technologiques, diriger une équipe, gérer un projet ou encore pouvoir travailler avec des hommes de culture différente constituent des éléments qui font désormais partie de son rôle.

Les transformations de l’organisation du travail et de la division des tâches au sein de entreprises ont montré la nécessité d’introduire des enseignements de base en sciences sociales.

Notes
611.

La formation des cadres, Etude des discours, Conférence des Grandes Ecoles, 1996, 87 p.

612.

LE GOFF (J.P.) : « Chap. 2 : ingénieur : un métier qui se perd ? », pp. 51 - 68, p. 51, Les illusions du management, Editions La Découverte, Paris, 1996, 137 p.

613.

LE GOFF (J.P.): op. cit., p. 52.