- Passer du registre des savoirs à celui des compétences : un premier enjeu pour la sociologie

Nous poursuivons la réflexion sur la présence d’une discipline académique, la sociologie, dans une formation supérieure professionnelle en prenant pour curriculum type celui de l’ingénieur chef de projet.

Outre l’importance donnée au travail de groupe et aux mises en situation, il se caractérise par une nouvelle approche des relations théorie pratique, concrétisée par des interrelations fortes entre mise en situation et enseignements. Le curriculum doit parvenir à créer des synergies entre les disciplines en les rassemblant sur des thèmes d’étude commun, tout en conservant leur spécificité. Cela implique que la hiérarchie et le degré de compartimentation entre les disciplines soient faibles et que le lien entre savoirs et compétences repose sur des mises en situation intégrées aux enseignements.

Selon les lignes directrices données par B. Decomps et G. Malglaive, les connaissances théoriques proviennent des savoirs formalisés des sciences fondamentales. Les connaissances technologiques associent des savoirs théoriques et des savoirs d’action. Elles sont constituées par les sciences pour l’ingénieur. Les connaissances méthodologiques sont liées ‘« à un vaste ensemble de disciplines, parfois en voie de constitution, appartenant soit aux sciences humaines comme l’économie, la sociologie, la psychologie, les sciences de la communication sans oublier l’étude du français et des langues étrangères, soit à ce que l’on pourrait appeler les sciences de l’action et de son contrôle. Il s’agit alors de logistique, de comptabilité, d’organisation, de documentation. »’ 623

Dans ce contexte, ces disciplines ne peuvent avoir pour seul objectif l’acquisition de savoirs. C’est en cherchant à conférer des compétences aux futurs ingénieurs que leur présence prend sens.

‘« En fait, les connaissances méthodologiques ne prennent sens que dans une culture générale tournée vers l’action, permettant de maîtriser des décisions en anticipant non seulement les conséquences régies par une rationalité univoque - comme le sont en première approximation les phénomènes techniques - mais en anticipant également les conséquences régies par des rationalités multiples... En ce sens, les connaissances méthodologiques plongent de profondes racines dans ce que nous appelons ci-après le savoir pratique. »624

Passer du registre des savoirs à celui des compétences, constitue un enjeu essentiel pour la sociologie dans la formation d’un ingénieur de terrain. L’ingénieur, appelé à conduire un projet, doit être en mesure de comprendre les logiques des groupes et des individus avec lesquels il est amené à travailler. La sociologie peut être utile à l’ingénieur en lui donnant la possibilité de découvrir la complexité des rapports sociaux, la multiplicité des acteurs, la diversité des savoirs et la multiplicité des rationalités, facilitant ainsi le dialogue avec d’autres acteurs, avec d’autres disciplines.

Comment la sociologie peut-elle passer d’un registre à l’autre ? L’analyse du curriculum de l’I.S.A.R.A. suggère plusieurs remarques.

La présence de la sociologie ne peut être raisonnée indépendamment de la place donnée aux autres disciplines, qui ne sont ni les disciplines scientifiques de base, ni les sciences pour l’ingénieur. Toutefois, le risque consiste à opposer les disciplines classiques (philosophie, droit, économie, sociologie) aux disciplines de la gestion administrative, économique et sociale (marketing social, communication, animation de groupe, gestion des ressources humaines, etc.), plus directement centrées sur l’intervention en milieu professionnel. Sollicitées depuis de nombreuses années pour la formation continue, elles tendent actuellement à prendre plus d’importance en formation initiale, au risque de submerger les disciplines académiques, dont la légitimité sociale est plus faible. Le plus souvent, les rapports entre ces deux groupes de disciplines, ainsi d’ailleurs qu’au sein d’un groupe, ont tendance à se placer sur le mode de la concurrence. La tension entre science et action, au coeur de la formation des ingénieurs, se transforme en un clivage.

La formation d’ingénieur chef de projet n’est pas construite selon la logique des disciplines, mais en fonction de profils de poste. Les études de cas et les approches thématiques, autour desquels se rassemblent plusieurs disciplines, caractérisent les curricula. Dans ce contexte, la sociologie ne peut circonscrire un thème qui lui soit propre, comme le montre l’expérience de l’I.S.A.R.A. dans sa phase initiale. En s’associant aux thèmes étudiés par les disciplines scientifiques et techniques, et en apportant son mode d’analyse spécifique, la sociologie peut contribuer à la formation scientifique et professionnelle des ingénieurs.

Notes
623.

DECOMPS (B.), MALGLAIVE (G.) : op. cit., p. 60.

624.

idem, p.61.