Conclusion troisième partie

Dans le modèle fondateur de l’ingénieur I.S.A.R.A., la sociologie se place comme facteur éclairant ou pouvant éclairer le débat de société et permettant de dépasser l’opposition entre les humanités et la culture scientifique. Le dispositif de formation a pour but de doter le futur ingénieur en agriculture d’outils d’observation et d’analyse appropriés à l’étude des possibilités de changement du milieu agricole et rural. Par une mise en situation organisée selon les principes de la recherche-action, il vise l’acquisition de savoir-faire, rassemblant des savoirs théoriques et une expérience pratique. De la sorte, la sociologie contribue à la formation scientifique et à la formation professionnelle et humaine des futurs ingénieurs. La référence au paradigme du développement élargit le champ de pensée des futurs ingénieurs. La démarche de recherche en sciences sociales, auquel il fait appel, leur permet de prendre du recul par rapport aux sciences expérimentales. Par ailleurs, par l’intermédiaire de la mise en situation, les étudiants apprennent une posture sociale qui n’est pas enseignée en tant que telle, mais constitue l’un des acquis jugés essentiels par les ingénieurs : la capacité à analyser une situation.

Lorsque les valeurs humanistes ont cédé le pas à une conception techniciste de l’action, tant à l’intérieur de l’école que dans son environnement professionnel, la contribution est remise en question. Sur le terrain, la thématique des études de terrain reste celle du développement, mais il n’est plus traité à l’échelon d’un territoire. Les demandes d’études se situent dans le cadre de secteurs de production ou de filières. A l’intérieur de l’école, l’évolution du curriculum confère une nouvelle place au paradigme des sciences expérimentales, qui devient la référence unique. Ces évolutions entraînent la dérive méthodologique du dispositif. Confrontée, d’une part, à une vision plus utilitariste de l’action et cherchant, d’autre part, à se rapprocher du modèle des sciences expérimentales, la sociologie se professionnalise et s’intrumentalise. Sa contribution à la formation scientifique disparaît, tandis que, sur le terrain, privée de sa dimension critique, elle ne se différencie plus d’une démarche d’ingénierie du social.

Les variations des finalités de la sociologie, dans le curriculum formel de l’I.S.A.R.A., se traduisent au niveau du curriculum réel. Elles révèlent sa difficulté identitaire dans une formation supérieure professionnelle. L’acquisition de compétences de type sociologique, avec une dimension critique, constitue l’enjeu essentiel, d’autant plus que cette dimension n’est portée par aucune autre discipline. Lors de la fondation de l’I.S.A.R.A. un ensemble de facteurs se trouvaient réunis pour que les tensions, entre dimension critique et action, entre la logique des sciences sociales et celle des sciences expérimentales soient fécondes. En dehors d’une telle conjonction, la construction des dispositifs de formation sociologique doivent répondre à plusieurs conditions.

La transformation de savoirs en compétences peut difficilement être envisagée en dehors d’études de terrain. Si toutefois, la sociologie est directement tributaire de demandes professionnelles, dans le cadre d’une formation initiale, elle n’est plus en mesure de faire prévaloir sa dimension critique. Une solution possible consisterait à l’associer à d’autres disciplines, portant les demandes professionnelles. Certaines, comme celles qui ont trait à l’environnement, à caractère pluridisciplinaire, donnent la possibilité à des élèves-ingénieurs, de traiter un problème dans toutes ses dimensions. A l’inverse, une mise sur le terrain, sans demande, placerait la discipline à côté de la formation scientifique et technique des ingénieurs et ferait disparaître la tension entre connaissance et action. Par ailleurs, l’alignement du raisonnement sociologique sur celui des sciences expérimentales est un risque important à éviter, comme le montre l’expérience de l’I.S.A.R.A. Des connaissances épistémologiques permettant aux futurs ingénieurs de comprendre les bases de leur savoir sont indispensables pour contourner cet écueil.

La contribution de la sociologie, dans une formation supérieure professionnelle, dépend de ses rapports avec les autres disciplines et des interrelations entre son enseignement et une mise en situation mais, au delà de la discipline elle-même, c’est la conception de la formation d’un ingénieur qui est interrogée.