2. Le Fonctionnement De La Liberté

La liberté est définie comme « le pouvoir que nous avons de décider de nos actes »22, en référence ultime à notre conscience, ayant au préalable exercé nos facultés de discernement. Ainsi, c’est bien grâce au recul de l’intelligence, et consciente des influences multiples qui la guident, que la personne pourra opérer un choix déterminé. La notion de liberté envisagée à PRH s’apparente donc au libre arbitre plus qu’à une liberté de spontanéité.

Cependant la personne peut être aliénée à des avis extérieurs, ou à la prédominance d’un pôle dans sa personnalité ; c’est pourquoi la liberté nécessite un long et difficile apprentissage, qui est au fond celui de l’autonomie (capacité de se donner à soi-même ses propres lois) et de la conquête de l’identité véritable.

De façon plus précise nous pouvons distinguer trois types de fonctionnements se rapportant à la liberté : le fonctionnement libre, le fonctionnement d’aliénation et l’indécision

Le premier définit le fonctionnement de la personne qui prend le temps et les moyens nécessaires à son discernement lors d’une prise de décision. Précisons que ces catégories demeurent des paradigmes établis par le fondateur et ne décrivent en aucun cas une réalité vécue parfaitement. Celui-ci reconnaît d’ailleurs que de pareilles distinctions ont un but pédagogique et tendent à aider les personnes à éduquer leur conscience afin qu’elles s’affranchissent peu à peu des entraves à leur liberté. Ainsi personne ne fonctionne totalement librement et n’est en capacité de vivre la difficile entreprise du discernement dans les conditions idéales décrites par André ROCHAIS.

En effet , de nombreux paramètres entrent en jeu lors d’une prise de décision. Selon la théorie PRH, ‘« la liberté se trouve sollicitée par cinq pôles dont certains parlent plus fort que d’autres, et dont les préférences sont parfois contradictoires »’ 23. Ces cinq pôles sont : les quatre instances de la personnalité définies par André ROCHAIS (sensibilité, corps, être, moi-je) et le dernier pôle est le rapport à autrui. La méthode PRH préconise d’accorder une attention toute particulière à la dimension de l’être, aussi bien dans le travail du discernement que dans la relation aux autres. C’est pourquoi il est conseillé de la prendre en compte en priorité lors d’une prise de décision :

« Il faut que l’être soit d’accord, car la décision doit lui permettre d’actualiser ses potentialités. Donc, le pôle être est prioritaire dans la consultation. Il faut aussi que la conscience profonde soit d’accord. Cette conscience profonde est un lieu de synthèse où on tient compte des cinq pôles (...) mais avec une préférence pour l’être. La référence ultime c’est donc la conscience profonde que nous situons très près de l’être » 24 .

Une fois la décision prise, les deux critères pour vérifier le bien fondé de la décision sont les suivants : si la personne est en paix avec elle-même après avoir posé son choix elle peut déjà penser se trouver sur la bonne voie ; d’autre part, si elle se sent d’avantage elle même, elle peut également considérer que la décision est constructrice de sa personnalité.

En outre, elle reconnaît avoir agi en toute liberté si sa décision n’a pas été dominée par un pôle de sa personnalité :

« Elle n’a même pas à être dominé par l’être bien que l’être soit le pôle le plus important . En effet, celui-ci doit tenir compte des autres pôles, car la décision doit tenir compte du bien de toute la personne et pas seulement de l’être » 25 .

Ce fonctionnement ajusté de la liberté se met en place lentement et imparfaitement, à mesure où la personne prend conscience de ses nombreuses dépendances et du travail entrepris pour sortir de ses aliénations.

L’être humain réunit en lui le paradoxe de tout créature vivante : il porte à la fois la marque de son engendrement et de sa filiation, manifestant par là son immense dépendance et le poids de ses déterminismes, mais il dispose également d’une capacité unique de se donner des pouvoirs et de travailler à la conquête de sa liberté :

« nous naissons aliénés aux autres, parce que trop démunis pour agir de manière autonome, mais nous sommes appelés à devenir libres » 26 .

De façon schématique nous pouvons distinguer deux grandes formes d’aliénation : l’aliénation aux autres, que cette altérité soit une personne physique, une entité sociale ou morale et l’aliénation à une instance de sa personnalité :

« On peut être mené par sa sensibilité. On peut subir la tyrannie de son corps. On peut être enfermé dans ses idées et ses principes. On peut vouloir à tout prix être soi, sans tenir compte ni des autres ni des forces de son corps, ni des besoins de sa sensibilité ni d’une certaine cohérence de vie. Cette aliénation à ce qu’on appelle « son être » peut guetter certains débutants en PRH qui ayant vécu très aliénés, bousculent tout, en revendiquant le droit d’être eux mêmes. Ils mélangent les aspirations légitimes de leur être, avec l’exubérance de leur sensibilité qui, longtemps étouffée veut vivre, et avec le désir de prendre sa revanche sur ceux qui ont été vécus longtemps comme des oppresseurs » 27 .

Les causes des aliénations sont d’ordre divers : elles découlent d’une part de la finitude et de la fragilité de la nature humaine, mais sont amplifiées très souvent par le pouvoir du milieu familial et social qui peut empêcher la personne de vivre selon sa volonté propre et la modeler uniformément en lui enseignant l’obéissance à l’ordre établi et la soumission aux forces dominantes.

Or, la conquête de la liberté demeure une entreprise difficile, comportant des risques et nécessitant courage, détermination et volonté :

« Il y a deux risques : le risque de se tromper dans ses choix. Mais choisir en référence à son être et à sa conscience profonde s’apprend, et le risque de ne pas être approuvé par l’entourage. Quand on a vécu dans le nid sécurisant de l’approbation des autres, quitter le nid demande du courage et une capacité de vivre seul. Pour exister ainsi par soi même, dans une certaine solitude, il faut que l’être soit suffisamment émergé et solide. D’où l’importance d’une formation axée sur la croissance de l’être. Il faut aussi être motivé. C’est à l’intelligence de trouver des motivations » 28 .

C’est pourquoi il est fréquent de se trouver dans une situation d’impuissance face à un choix à faire et de vivre une sorte de paralysie de la capacité à décider :

«  Ce n’est pas que la décision à prendre soit complexe, dans ce cas il serait normal (...) de connaître des hésitations devant le choix à faire. C’est la liberté qui ne fonctionne pas.
Quelqu’un ayant vécu ce phénomène d’indécision écrivait, après en être guéri : d’une certaine manière, toute décision à prendre entraînait une souffrance.(...) Je me sentais comme prisonnier, enfermé dans une pièce dans laquelle il n’y avait pas d’issue, ou plutôt deux issues dont l’une s’appellerait le oui et l’autre le non. Ce fonctionnement s’accompagnait toujours de peurs : peur de me faire avoir, peur de faire mal, peur d’un danger mal élucidé. Au niveau de ma sensibilité, je remarquais aussi une sorte d’hésitation grandissante, faisant naître un malaise d’inconfort et d’insécurité, une sensation d’impuissance, relayée dans le corps par un abattement, une fatigue et, en même temps, une sorte d’agitation provoquant souvent de l’insomnie »
29 .

Selon PRH, ‘« à la racine de cette indécision il y a une zone d’atonie au niveau de l’être. Cette atonie peut avoir deux causes : - soit dans la zone concernée par la décision, l’être n’a pas encore assez de relief. Dans ce cas, cela disparaîtra avec une émergence plus grande de l être ; soit, il y a blessure dans le passé. Dans ce cas, il faut chercher à en guérir »’ 30.

Mais il faut remarquer également que la liberté seule semble bien impuissante dans l’entreprise de mise en oeuvre des décisions. Elle doit s’appuyer sur des énergies concrètes puisées dans la volonté de la personne.

Notes
22.

Note d’Observation, La liberté et ses fonctionnements, Poitiers, PRH, 1989, p. 1.

23.

ibid., p. 1.

24.

ibid., p. 2.

25.

ibid., p. 2.

26.

ibid., p. 3.

27.

ibid., p. 3.

28.

ibid., p. 3 et 4.

29.

ibid., p. 4.

30.

ibid., p. 4.