2. Une Mission D’éducateur

Il devine que ses dons personnels se réaliseront désormais davantage auprès des adultes. Il se sent éducateur plus qu’enseignant et désire se former dans un art d’éduquer qui, selon le philosophe Jacques MARITAIN, consiste ‘« à instruire, inspirer, discipliner et émonder, à enseigner et éclairer de telle sorte que dans l’intimité des activités de l’homme, le poids des tendances égoïstes diminue et que grandisse au contraire celui des aspirations propres à la personnalité et à sa générosité spirituelle »’ 102.

Cette définition semble bien s’appliquer au travail d’André ROCHAIS qui a voulu être et a été, de fait, un véritable éducateur, au sens de celui qui est au service du déploiement de l’humanité dans l’homme et dans la société. Il continue alors sa recherche, passionné davantage au fur et à mesure qu’il est amené à côtoyer des publics plus âgés, comme celui des futurs instituteurs :

« J’étais heureux, j’aimais beaucoup flamber d’enthousiasme avec ces futurs instituteurs. J’aimais beaucoup mes élèves. J’essayais de les aider pour qu’ils deviennent des hommes. Ma vocation d’éducateur prenait du relief. J’aimais plus l’éducation que l’enseignement » 103 .

Il pressent que la plus grande manière d’éduquer et d’apprendre est bien celle qui conduit les personnes à la liberté et à l’autonomie ; le paradoxe de l’éducateur qui se doit d’éveiller les consciences tout en garantissant le respect des personnes ne lui échappe pas. PRH deviendra plus tard un outil d’autoformation destiné à tous ceux qui désirent librement prendre en main leur croissance.

Il s’inspire de ce qui lui semble utile et bon dans l’esprit des pédagogies actives mais ne cesse jamais d’en confronter les différents apports théoriques avec les résultats de ses observations pratiques.

C’est donc dans les années 50 qu’il commence à poser les bases de sa future pédagogie, les TPA (Travaux Personnels d’Analyse). Ceux-ci sont inspirés en effet par la conception de l’autoformation présente au coeur des pédagogies actives, et fondés sur la conviction profonde que l’être humain doit être le premier artisan de sa croissance.

En 1948, André ROCHAIS qui a 27 ans est nommé directeur d’école primaire aux Sables d’Olonne en Vendée. Son statut lui permet de se pencher plus activement sur sa recherche :

« Il remarquait que les enfants étaient abîmés. Une question le préoccupait, que faut-il faire avec les parents pour que l’enfant arrive à l’école le plus disponible possible pour l’enseignement » 104 .

En bon éducateur religieux, il souhaitait ardemment préserver les enfants et ne pas les déprécier, mais se rendait à l’évidence que le contexte familial et culturel relevait d’une puissance très influente sur eux. De fait, ceux-ci arrivaient souvent fort perturbés par leur vie extra scolaire et peu disposés à recevoir la culture dispensée par l’école.

André ROCHAIS commence alors à multiplier les réunions de parents afin d’aider ceux-ci à prendre conscience des attitudes éducatives fondamentales à adopter avec leurs enfants. Plus tard, il créera une session spéciale pour les parents intitulée : « Aider mes enfants à exister », signe que ce problème demeurera très important à ses yeux. Il organise dans le même mouvement des réunions de professeurs, désireux de créer une cohésion au sein de l’établissement afin que des finalités éducatives communes puissent être mises à jour et constituent le point de départ d’un travail pédagogique efficace. Il a l’intuition qu’il est destiné à être éducateur d’adultes :

« J’expérimentais alors que les adultes m’inspiraient plus que les jeunes... j’avais l’impression qu’on ne faisait pas du définitif avec les enfant. J’avais envie de faire du définitif et de faire vite. Je trouvais qu’avec les adultes, c’était plus sûr, c’était plus radical » 105 .

Par la suite, André ROCHAIS se rendant compte de la lenteur nécessaire à toute démarche éducative, devra nuancer cette première analyse. Nous percevons cependant à travers ces propos un désir peut être un peu idéaliste de trouver un moyen d’aider les personnes adultes à se transformer en vue d’une réalisation personnelle et collective efficace, fondée sur une anthropologie personnaliste.

Il profitera néanmoins de toutes les occasions qui s’offriront à lui pour favoriser la responsabilité des personnes adultes et les inviter à se prendre en main personnellement.

Ayant ainsi cerné d’avantage son créneau d’action spécifique, il va orienter sa propre formation dans ce sens là. Il lui faudra néanmoins patienter encore quelques années avant de pouvoir concrétiser ses intuitions, et de trouver le lieu de son accomplissement personnel.

Notes
102.

Jacques MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, Paris, Fayard, 1969 (nouvelle édition revue et complétée, préface de Marie-Odile METRAL), p. 49.

103.

Cité par Michel LAMARCHE, ibid., p. 7.

104.

Marie-Anne LE GUYADER, entretien, décembre 1991.

105.

Cité par Michel LAMARCHE, ibid., p. 8.