4. Un Formateur En Recherche: Une Expérience Fondatrice

Il remarque, au cours de cette période intense d’animation de groupe, à quel point les publics qu’il côtoie sont avides de connaissances nouvelles. Mais il observe dans le même temps que bien souvent les gens ne retiennent pas véritablement l’enseignement qu’il leur dispense. Au cours de Week-end de formation avec le MCC119, André ROCHAIS tentait d’introduire son public à l’intelligence de la doctrine sociale de l’église qui, juste après le Concile Vatican II, avait été profondément modifiée et méritait d’être comprise car porteuse de ‘« valeurs humaines essentielles et universelles »’ 120. Or André ROCHAIS, constamment soucieux d’améliorer le contenu et la pratique de ses enseignements, demandait aux participants au début de chaque séance ce qu’ils avaient retenu de la précédente. Le plus souvent les gens ne retenaient rien, bien qu’ayant jugé le cours fort intéressant. ROCHAIS se pose alors la question : est-ce moi qui suis vraiment un mauvais pédagogue ou bien d’autres éléments d’ordre concret et existentiel ne les envahissent-ils pas au point que leur mémoire « organismique », pour reprendre une expression de ROGERS, ne fonctionne pas véritablement ? Certes leur intelligence intellectuelle semble comprendre les concepts et les contenus énoncés par André ROCHAIS mais ils ne peuvent les retenir car ceux-ci sont par trop éloignés de leur vie concrète, de leurs expériences immédiates. Voilà une des premières observations d’importance.

La seconde date de l’expérience de la confession que ROCHAIS venait de découvrir depuis peu en tant que confesseur. Il remarque en effet que beaucoup de personnes ne s’accusent pas de péchés ni de fautes, mais de dysfonctionnements121 humains d’ordre psychologique, dans lesquels leur liberté n’est pas forcément engagée. Certes ces personnes dénonçaient des comportements nuisibles mais se révélant la conséquence de dépendances et de blessures psychologiques inconscientes dont ils n’arrivaient pas à sortir malgré le pardon accordé par le prêtre et malgré des efforts humains authentiques.

André ROCHAIS désirait depuis longtemps aider l’homme à jouir d’une liberté pleine et totale, à la mesure de la guérison des blessures du passé et de leurs conséquences. Ainsi, au cours de cette formation avec le MCC, fort de ses observations précédentes, il tente une expérience qui s’avérera fondatrice de toute la pédagogie spécifique à PRH.

Depuis longtemps il gardait en lui nombre de questions sans réponse, à partir des nombreuses observations et expériences qu’il avait entreprises. Partant de la constatation de semi-échec des enseignements non intégrés par son public, il leur propose un travail d’un ordre totalement différent. En effet, André ROCHAIS, tout en désirant faire participer au maximum ses stagiaires, suivait encore le schéma classique de l’enseignement. Ce jour là, il les invite à un travail tout à fait personnel. Il leur demande de répondre à la question suivante : «  Comment je me vois aujourd’hui ? ». Il leur propose d’écrire tout ce qui leur vient à l’esprit sans censure ni tri préalable. Il les invite ensuite à classer leurs découvertes en trois colonnes distinctes :

  1. Ce que je sens que je suis,

  2. Ce que je sais que je suis (sans le ressentir),

  3. Ce qu’on dit que je suis (en identifiant si possible qui est « on »).

Il leur pose alors une autre question : Pourquoi est-ce que je garde les éléments de la troisième colonne en moi alors que je ne m’y reconnais pas ?

Ce jour-là est amorcé un travail sur l’image de soi, essentiel dans PRH, et que l’on retrouve entre autres dans la première session de base intitulée « Qui suis-je ? ». Le premier « travail personnel d’analyse » était né. Cet exercice qui conduit les personnes à s’observer elles-mêmes plaît beaucoup. La fois suivante les stagiaires demandent à nouveau une séance de ce type. Leurs réactions sont unanimes. Tous font remarquer à quel point les exercices vécus ensemble les ont aidés dans leur vie quotidienne à comprendre les situations et à déchiffrer leurs comportements. La pédagogie mise en oeuvre par André ROCHAIS les avait, de fait, mis en état d’observation de leur vécu et rendus plus conscients d’eux-mêmes.

Marie-Anne LE GUYADER, formatrice PRH nous disait ainsi, à propos de cette anecdote : ‘« La justesse des questions qu’il posait avait aidé les gens à se déchiffrer avec justesse »’ 122. On retrouvera la même simplicité et la même perspicacité dans les TPA qui crées par la suite.

Cette première expérience du questionnement personnel inventé par ROCHAIS dénote bien ses qualités de créateur et de pédagogue. Il sait en effet sentir les besoins d’un groupe et s’adapter à ceux-ci. Il apprend en effet à déceler, derrière la maladresse du besoin manifesté, les aspirations profondes qui se cachent. A cette époque il aménage les contenus de sa pédagogie en référence à ses connaissances et à ses observations des autres et de lui-même, mais il manque d’éléments conceptuels pour comprendre les fonctionnements de l’être humain et pour fonder une pratique pédagogique méthodique et finalisée. ROGERS va lui apporter la notion théorique fondamentale qui va le propulser dans sa recherche et accélérer le processus qui le mènera à la création de PRH.

Notes
119.

MCC : Mouvement des Cadres Chrétiens.

120.

Marie-Anne LE GUYADER, entretien, décembre 1991.

121.

Dysfonctionnements : mauvais fonctionnements de compensation, instinctifs car provoqués par une réaction disproportionnée à une blessure du passé qu’il a fallu colmater et compenser.

122.

Marie-Anne LE GUYADER, entretien, décembre 1991.