2. Les Facteurs Pédagogiques Et Leur Cadre

a) Le Rituel De La Pédagogie

Qui dit pédagogie évoque inévitablement un ensemble de processus méthodologiques, qui trouvent leur cohérence dans un cadre concourant à créer une sorte de rituel d’abord involontaire, qui devient ensuite la marque de fabrique de l’outil et participe à l’établir dans son statut propre.

Le rapport au temps étant significatif du rapport au réel, et pouvant contribuer à ritualiser les stages, nous avons souhaité mesurer si celui-ci était ressenti différemment dans une session PRH, ou si au contraire les sujets ne constataient aucun changement majeur dans leur perception temporelle.

La quasi unanimité des sujets (dix-huit) a confirmé l’hypothèse selon laquelle cette dernière différait en effet de façon très marquée de leur perception habituelle du temps et de son écoulement.

De façon générale, il semble que la manière dont les sujets perçoivent le temps dépende de la teneur de leurs expériences intérieures. En effet le temps d’une session « entièrement consacré à l’introspection peut sembler s’écouler rapidement quand on est dans une dynamique de croissance, ou au contraire s’étirer lentement si l’on traverse des moments difficiles psychologiquement, ou encore si le thème de la session ne correspond pas aux attentes des personnes » (p. 15 analyse des réponses). C’est ainsi que huit sujets ont analysé leur rapport au temps au cours d’une session PRH :

« Il y a un phénomène de rupture par rapport à mon rythme quotidien, c’est sûr (...)En même temps ce travail d’analyse de soi, d’observation de son vécu se situe un peu en dehors du temps d’une certaine façon...La plongée dans son monde intérieur te coupe du temps. C’est très différent d’une session à l’autre en fonction des difficultés que je rencontre, des prises de conscience que je fais qui sont plus ou moins difficiles à intégrer. C’est vrai que si je suis plutôt sur une axe de développement, de croissance personnelle, de dynamisme ça passe très vite. Au contraire si je fais de prises de conscience difficiles à intégrer, j’ai l’impression que ça n’en finit plus ; que le temps est long, forcément ! » (M. 15).

En revanche, une donnée constante pour tous est une prise de conscience du temps souvent plus aiguë du fait de la mise à disposition d’un espace consacré à soi-même pendant une semaine : elle se traduit autant par une sensation de vide ou d’ennui que par une impression de vie en plénitude, et ce en fonction du vécu psychologique de la session et de la manière dont les sujets occupent leur temps habituellement.

Parfois les personnes très actives présentent des difficultés à centrer leur attention sur leur vie intérieure et à n’occuper leur journée en aucune activité productive. La confrontation avec soi, dans cette inactivité apparente peut alors réveiller des angoisses qui influent sensiblement sur la perception temporelle.

Pour certains, (quatre), ce moment particulier, un peu en dehors de la vie quotidienne paraît s’écouler rapidement ; il est ressenti comme un instant privilégié de rencontre avec soi-même :

« Globalement j’ai l’impression que ça passe vite, que c’est extrêmement dense. (...) à chaque fois ça ouvre tellement de nouveaux champs d’exploration qu’on pourrait continuer » (M. 7).

D’autres (trois) apportent une nuance à cette analyse en insistant sur le sentiment de plénitude que procure cet « arrêt » provisoire du temps, vécu comme un sabbat, presque sur le mode de la retraite spirituelle où l’introspection devient contemplation de son histoire, et prend un caractère sacré :

« Je dirais un temps qui s’arrête. Un temps mort. C’est bizarre d’utiliser ce terme là parce que c’est tout le contraire, c’est un temps vivant(...) mais c’est une rupture avec la vie quotidienne pour se mettre en retrait et pour redémarrer un temps de l’ordre du sabbat, de la contemplation de quelque chose qui s’opère à l’intérieur de soi et qui permet de repartir » (M. 5).

D’autres encore (deux) mettent en avant la prise conscience de l’histoire de vie personnelle qui donne au temps une autre saveur et permet d’en apprécier la densité :

« Ce que je peux dire c’est que le temps se remplit,(...) ce n’est pas du temps qui passe c’est une sorte de plénitude. Je parle toujours du poids d’existence, c’est pas au sens de pesant mais de plénitude. Souvent on voit d’avantage ses manques, tout ce qui cloche en soi et de revoir du plein, y compris dans le temps qui coule, ce n’est pas du temps qui fuit c’est du temps qui est plein » (M. 18). ’ ‘ « C’est un moment privilégié où je sens le temps qui s’écoule, où j’ai pleinement conscience toute la journée du temps qui passe. Des minutes, des heures et des journées, c’est très très particulier. Un moment de grande conscientisation et donc y compris du temps » (M. 2).

Enfin deux sujets insistent sur la lenteur des journées, due au peu d’activités qu’elles comportent et au manque de diversité de la méthode, que renforcerait le décalage entre le mode d’utilisation du temps en session et dans la vie quotidienne :

« C’est beaucoup plus lent qu’à la normale. Beaucoup plus relax aussi. Durant ma première session j’avais l’impression qu’on ne faisait rien, la journée se passait, on faisait deux ou trois TPA, peut être plus, quatre. Et puis je me disais c’est tout bon, je vais avoir cinq fois ça. Cela me paraissait un peu creux, mais pendant et surtout après il se passe plein de choses. Mais sur le coup cette sensation de lenteur, presque d’ennui à certains moments me faisait dire « que se passe-t-il ? » (M. 20).

Le rythme d’une journée type paraît finalement très semblable d’une session à l’autre, la méthode de base étant la même quelque soit le thème de la session. A la lumière des réponses des sujets, nous pouvons affirmer qu’une session est un moment rituel et exceptionnel, et que la manière dont ceux-ci en perçoivent la durée renforce le caractère quasiment religieux du processus d’introspection proposé à PRH. Nombreux sont les sujets qui affirment avoir éprouvé l’étrange impression que le temps s’arrêtait, et que leur vécu intérieur paraissait un peu  « hors du temps ». Certains évoquent ces moments d’éternité où la vérité et l’intensité des émotions et des relations relativisent la durée objective d’une session. Ils analysent ainsi le paradoxe d’un temps qui semble éternel au point de s’étirer à l’infini, mais qui à la fois passe à la vitesse de l’éclair :

« Les moments de vie j’ai toujours l’impression que c’était une éternité. (...) Je crois que c’est parce qu’on vit une intensité avec son être et que je vis ce présent. Ce présent c’est cette profondeur de la relation à soi, à l’autre » (M. 13). ’ ‘ «Le temps me semble long parce que dense, et en même temps cela passe extrêmement vite, j’aimerais que cela dure beaucoup plus longtemps les sessions ! Le temps a une densité autre que la vie quotidienne, j’ai l’impression qu’il ne me file pas entre les doigts de la même manière parce que j’y suis présente » (M. 15).

C’est effectivement la capacité de présence à l’instant dans ce qu’il a de plus fort ou de plus insignifiant qui caractérise ces moments d’éternité. La sensation de vivre pleinement parce qu’en totale adéquation avec son ressenti, avec sa vérité, donne aux sujets l’impression d’éprouver presque physiquement la sensation du temps qui passe, mais ne lasse pas ! Une session PRH peut aider les sujets à retrouver l’état de congruence dont parle ROGERS et qui est souvent l’apanage de l’enfance. Or, cette présence à sa propre réalité intérieure, qu’elle soit positive ou douloureuse, rend aux personnes la possibilité d’intégrer leur passé et de cesser la lutte épuisante que constitue tout refus d’accepter son histoire. Le temps n’est plus alors ressenti comme un tourbillon ou comme un vide, mais prend une autre saveur. La possibilité est rendue de goûter pleinement les heures, les minutes, les secondes dans ce qu’elles ont de plus réel et de plus fort.

Une autre personne émet une comparaison pertinente entre la sensation du vécu d’une session PRH et celle d’une retraite spirituelle dans un monastère, signifiant par là le mode rituel et répétitif du cadre, positif dans la mesure où ces rites sont autant de médiations pour entrer dans la méthode proposée, et de mises en conditions pour vivre cette rencontre privilégiée avec soi même :

« C’est un phénomène qui m’a toujours frappé. C’est à dire que moi il n’y a que deux endroits dans lesquels je vis ce genre de sensation : c’est les monastères quand je fais une retraite chez les moines et les sessions PRH. Le côté rituel je suis complètement d’accord, c’est exactement ça, c’est à dire que chez les moines la cloche sonne et on sait que l’on est convié à un endroit et on y va. Il y a une sensation de repos lié à ça qui est une autre manière de vivre le temps, une mise à disposition, une gratuité » (M.11).

Le choix de prendre une semaine de disponibilité pour se consacrer à soi uniquement requiert une certaine motivation et implique également d’accepter de « perdre du temps ». Les sujets ne sont jamais certains que les « résultats » soient à la hauteur de leurs investissements et de leurs attentes préalables. C’est pourquoi la notion de gratuité précédemment évoquée demeure fondamentale. Il importe en effet de consentir pleinement à ne rien connaître à l’avance du vécu d’une session et d’accepter de se laisser surprendre, voire déranger par ses propres découvertes intérieures, en se laissant guider par la méthode proposée. Paradoxalement cette attitude demeure une condition essentielle pour vivre sereinement le stage, et préside à toute découverte inédite sur soi. Tout se passe comme si l’impatience et le volontarisme empêchaient l’émergence de la nouveauté en maintenant les sujets dans une crispation intérieure qui bloque l’accès aux sensations susceptibles de les conduire vers des domaines inconnus d’exploration personnelle.

Cette mise à disposition gratuite du temps permet en effet aux réalités psychiques de s’exprimer et aux résistances individuelles de s’estomper.

De même, la dimension de rupture avec la vie quotidienne, précédemment évoquée dans le chapitre sur les relations, vaut également pour la perception du temps en sessions. Cette coupure est délibérément accentuée par le fait que les sessions se donnent pour la plupart en résidentiel, dans un cadre protégé afin que les sujets se sentent en sécurité pour plonger en eux même de façon efficace, renforçant ainsi le caractère inédit de l’expérience.

Mais le temps n’est pas l’unique élément rituel d’un stage PRH. D’autres paramètres importants entourent la méthode et donnent à la pédagogie ses contours propres et son identité.

Dix-sept sujets ont ainsi énuméré les facteurs contribuant au rituel PRH, repérables plus spécifiquement dans le cadre d’un stage de formation. Nous insisterons sur les trois premiers éléments les plus cités par nos sujets et évoqueront plus brièvement les autres.

La méthode des TPA, ainsi que le déroulement systématique de la pédagogie d’une session ont été cité douze fois par nos sujets. Ceux-ci ont considéré en effet que cette méthode présentait un aspect rituel marqué dans la mesure où les TPA constituent le passage obligé de tout stage et en sont les outils fondamentaux. De plus, la structure d’une journée type dans une session traditionnelle (exception faite des sessions centrée sur l’expression plastique ou corporelle), est établie de la manière suivante : une alternance de TPA, écrits puis partagés en groupe, d’apports pédagogiques du formateur, et de lecture approfondie des documents PRH (les notes d’observation), permettant d’assimiler le contenu de la journée en intégrant les analyses théoriques PRH :

« Il y a le rituel de l’avancée en progression avec les questions, avec le milieu de semaine , en général le jeudi, où tout le groupe est pas bien et c’est lourd (...) » (M. 13). ’ ‘ « Le fait que le questionnement soit progressif et te fasse aller toujours de plus en plus loin au fil des jours me semble aussi assez rituel. Aussi dans le dévoilement des personnes (...) J’ai aussi trouvé un état de fatigue générale au bout du troisième jour, tout le monde est épuisé et une envie de se défouler qui monte » (M. 15).

Ce déroulement est rompu exceptionnellement par des temps de petits groupes, dans certaines sessions, et par des temps libres de pause.

Plusieurs sujets ont évoqué également l’application presque scolaire avec laquelle ils écrivaient les questions dans leurs premières sessions. Aujourd’hui les TPA sont écrits sur une feuille dactylographiée, mais à l’époque le fait de recopier la question que le formateur dictait et écrivait au tableau était vue comme un moyen nécessaire à la personne pour intégrer le questionnement, la mettant déjà dans un état propice à l’introspection. Ce temps d’écriture accentuait la ritualisation de la méthode :

« Ces histoires de TPA qu’on copie au tableau. C’était rigolo, on avait nos petits exercices, je me demandais toujours,  « tiens pourquoi ils nous filent pas une photocopie ». Non, on copiait avec un feutre, en délié...et je comprends, ce berger (le formateur) il va jusqu’au bout, même quand il trace ses traits sur le tableau. C’était un peu les rites cette écriture des TPA » (M. 18). ’ ‘ « La question que j’écris le mieux possible, le plaisir de faire un beau cahier bien propre. (...) Le fait de bien écrire lisiblement par exemple je l’ai retrouvé à ces sessions là, comme un plaisir de gamin, et vachement plus qu’à n’importe quel moment ici où j’écris à toute allure pour mettre mes idées sur le papier » (M. 11).

De même sept sujets estiment que la présentation des participants, précédée invariablement d’un TPA sur les attentes et les appréhensions de ces derniers a une dimension très rituelle puisque revenant systématiquement au début de chaque stage :

« Il y a le rituel de la présentation, du tour de table mais je ne vois pas très bien comment on pourrait faire autrement » (M. 13). ’ ‘ « Bien sûr il y a des classiques. Les premiers TPA de session sont toujours les mêmes : « pourquoi vous êtes inscrits, appréhensions, attentes » » (M. 15).

En outre, la manière dont les formateurs introduisent le thème d’une session présente des caractéristiques qui contribueraient à ritualiser la méthode pédagogique.

Ces deux premières catégories de réponses mettent particulièrement en avant cette dernière, qui comme toute méthode dispose de limites et de contours forgeant son identité. Cette observation ne semble pas spécifique à PRH mais est bien l’apanage de tout modèle éducatif, forcément répétitif dans les outils qu’il se donne et dépendant de processus parfois rigides dans leur immobilisme et leur aspect systématique.

Pourtant, la formation PRH ne s’entoure pas délibérément de rites, et la sobriété du cadre et de la méthode peuvent surprendre. En effet, cette dernière aurait plutôt pour défaut d’être monolithique, puisque reposant essentiellement sur le travail des TPA, petites questions précises et pertinentes à la formulation simple et au traitement très classique. Aucune méthode n’est transmise aux participants dans les premières sessions concernant la bonne marche à suivre pour répondre de façon efficace à ces questions. Il leur est juste conseillé d’être à l’écoute de leurs sensations intérieures et de ne pas répondre avec leurs idées préconçues ni avec leur intellect pur. Le but n’est pas de donner une réponse, mais de découvrir des éléments inédits. Pour cela il est conseillé de se laisser surprendre par l’interrogation, et de guetter les sensations nouvelles qui s’éveillent à partir de là. Par la suite, les sessions spécifiques d’introduction à l’analyse PRH, que nous évoquerons plus tard, proposeront une méthode très balisée pour apprendre à analyser les sensations à contenu psychologique et éviter de se laisser mener par des arguments rationnels qui entraînent les personnes loin de leur vécu psychique.

Ainsi, si un rituel inévitable s’est créé à PRH, il n’a pas été élaboré volontairement par le fondateur, et on ne peut soupçonner les formateurs de mettre en place une structure qui conditionne les gens au point de les manipuler et de les faire entrer dans leur propre logique.

En revanche, pour exprimer les concepts explicatifs qu’il a créé, André ROCHAIS a inventé des termes spécifiques ou donné aux mots un sens particulier, uniquement compréhensible dans le cadre de son système explicatif, se référant pour la plupart au schéma de la personne qu’il a lui même construit (voir glossaire en annexe). Ce langage imprègne inévitablement les formateurs ainsi que les utilisateurs assidus de PRH. C’est pourquoi cinq sujets ont évoqué « le rituel terminologique du vocabulaire PRH », qui au départ peut choquer voire inquiéter les participants en leur donnant l’impression d’être contraints de passer par une sorte de rite initiatique, l’apprentissage du langage, avant de pouvoir véritablement entrer dans l’intelligence de la méthode. Nous verrons plus tard en quoi l’apprivoisement de ce vocable original reste une aide ou devient une entrave à l’évolution des personnes :

« Le rituel qui m’exaspérerait aujourd’hui c’est le rituel terminologique et ce langage où il y a quand même un vocabulaire assez...C’est le propre de toutes les écoles psy, elles ont chacune le leur » (M. 17). ’ ‘ « La manière, le langage des TPA, (...) utilisés par ceux qui ont l’habitude de PRH et qui y répondent, pas au « Qui suis-je ? » bien sûr mais aux autres sessions, qui sont une sorte de rite » (M. 14).

Nous ne nous attarderons pas sur le rythme propre aux sessions (cités quatre fois), dans la mesure où nous l’avons étudié en détails en analysant le rapport au temps.

La décoration et le positionnement dans la salle ont été noté par trois personnes comme un facteur contribuant à créer un climat propice à l’intimité et la bienveillance immédiates des échanges. Ces derniers éléments ont d’ailleurs aussi été cités trois fois également et sont diversement jugés par nos sujets :

«  ...C’est le spontanément plus ou moins tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, voire éventuellement ce qui m’a énervé tout le monde est chrétien, ça me donne des boutons, voire tout le monde est catho (...) Ça c’est des rituels, des a priori que je ne supporte pas. (...) Les rituels aussi de comportements interpersonnels, c’est comme s’il y avait une sorte de moule, aujourd’hui j’ai changé mais à l’époque ça me sécurisait quelque part. Il y avait un moule d’a priori où on s’aimait tous on était tous supers...Ce genre de rituel, de tutoiement » (M. 17).

Nous retrouvons ici les caractéristiques du type de relations que nous avons analysé auparavant. Ces comportements sont mentionnés eux aussi comme étant les produits d’un rituel plus ou moins conscient dans lequel tout participant se coule sans s’en rendre compte. Il semble que l’espèce d’angélisme reproché par certains de nos sujets à la formation PRH renforce l’impression de pénétrer dans une démarche très méthodique, s’entourant de rites à différents niveaux, notamment relationnel.

Il existe une manière de se vivre en relation aux autres dans une session, induite par la méthode PRH et par le formateur. Le tutoiement systématique en est un des éléments révélateurs. Nous avions en effet remarqué qu’à une exception près les sujets interrogés avaient adopté le tutoiement à notre égard spontanément, sans que nous les y invitions, et alors même que nous rencontrions certains d’entre eux pour la première fois. Notre statut d’utilisatrice de la formation nous plaçait d’emblée sur le même registre relationnel et le même terrain que nos sujets, rompant ainsi avec la traditionnelle distance de protection que des personnes dressent entre elles au début d’une rencontre.

Comme le précise notre sujet, si cette intimité et cette chaleur relationnelle aident la personne à se sentir dans un climat de sécurité, elles peuvent aussi la maintenir dans l’illusion que ce type de relations est idéale alors qu’il évacue en réalité l’agressivité et le conflit de façon évidente.

Enfin, le statut du formateur, la référence systématique au schéma de la personne et la fête qui a lieu parfois en fin de session ont été évoqués une seule fois chacun comme des éléments qui reviennent de manière récurrente et participent au maintien d’un système ritualisé à PRH.

Après avoir fait un tour d’horizon des facteurs rituels qui entourent PRH, nous avons tâchés de discerner l’importance de ceux-ci dans le fonctionnement général de la méthode, et d’observer la manière dont ils sont perçus par les sujets. En effet, cet ensemble de rites alourdit-il le déroulement des sessions ou contribue-t-il au conditionnement nécessaire lors d’un travail sur soi et à une bonne intégration de l’outil, en produisant les effets souhaités par la formation PRH ?

Quinze sujets estiment que ces rituels sont plutôt positifs et favorisent l’intégration de la méthode, sans alourdir le contenu des journées ni donner à la formation un aspect sectaire :

« (...) De fait je crois vraiment qu’il y a un rituel et que ce rituel est important, doit être respecté si l’on veut que ça produise des effets...des effets machins quoi. Je suis sûr de ça. D’ailleurs je me rappelle à ma deuxième session PRH je me suis fait engueuler parce que j’écrivais les questions trop vite ! » (M. 11). ’ ‘ « C’est tout un rituel dans la démarche pédagogique mais pour moi c’est pas une entrave. Au contraire c’est une recherche de ce chemin, même si j’ai fait cette session c’est toujours une autre marche, un autre GR à prendre ! » (M. 13).

Une majorité pense en effet que ces facteurs rituels sont une aide pour entrer progressivement dans la méthode PRH. Chaque session a ses particularités et entraîne les personnes dans une aventure intérieure spécifique, parfois enthousiasmante, parfois éprouvante. Or PRH, qui prétend au titre d’auto formation, donne ainsi des outils aux participants pour continuer seul le travail entrepris en session et propose des repères sur le chemin de croissance personnelle qu’ils amorcent. Cet apprentissage devient possible grâce à la structure rigoureuse de la méthode pédagogique. Les rites permettent alors d’intégrer ces outils. Comme l’analyse un de nos sujets, ‘« si on dit que PRH est un outil d’auto découverte, ce rituel, ce cadre permet à la personne de l’avoir suffisamment expérimenté, d’avoir des réflexes pour s’en servir elle même, si on juge que c’est aidant pour que la personne puisse faire un travail indépendamment de la session ou du formateur qui est là »’ (M. 5).

Si la plupart des personnes admettent la présence du rituel qui entoure la méthode PRH et le considère comme un passage obligé plutôt positif, quelques unes (cinq) en soulignent toutefois les risques constitutifs.

En effet les rites que nous avons énuméré précédemment auraient tendance à accentuer l’aspect scolaire et discipliné de la formation PRH. Une des limites de cette dernière est de laisser peu de place à la spontanéité et à l’inattendu, tant le déroulement des sessions est déterminé par leur contenu méthodologique et par l’animation du formateur. Ainsi, le rite de l’écriture des TPA envisagé tout à l’heure dans sa positivité, paraît pour certains sujets inutile voire particulièrement parasitant :

« Pour moi le rituel c’était l’animateur qui allait écrire les questions au tableau(...) il y avait ce côté là qui m’énervait prodigieusement parce que c’était un contexte qui me rappelait trop le contexte scolaire en fait. D’ailleurs je pense que pour beaucoup de gens cela ne doit pas aider non plus à se mettre dans une situation d’apprentissage par exemple pour les gens qui ont été en situation d’échec scolaire. Pour moi ça allait parce que ça a plutôt bien marché à l’école mais ça fait appel et ça fait marcher des manières d’être justement bon élève, donc ça c’est un rituel » (M. 20).

Si PRH a pour ambition d’être une méthode accessible à tous, quel que soit le niveau culturel et social des personnes, il faut reconnaître qu’elle fait appel à des processus mentaux particuliers et nécessite un minimum de familiarité avec l’écriture et la réflexion. Certes la formation se donne dans des pays du tiers monde avec des publics analphabètes et est transmise par voie orale de façon tout à fait satisfaisante, mais elle utilise généralement le support de l’écrit et présente donc une limite constitutive, conséquence des moyens qu’elle se donne pour parvenir à ses objectifs.

En outre, la rigueur du fonctionnement, renforcé par les éléments rituels qui le composent, peuvent donner une impression de monotonie et de lourdeur aux journées, et donc amoindrir l’efficacité de la méthode :

« Spontanément j’ai plus d’attirance pour les sessions où on a plus de liberté, beaucoup de fantaisie possible. Donc les sessions plus d’analyse (...), les sessions peinture où on a beaucoup de liberté, donc il y a moins de rituel. Les sessions très méthodiques du genre « Conduire sa vie »(...) même si j’y trouve largement mon compte je peux pas dire que ce soit une partie de plaisir, je peux pas dire que j’y aille de gaieté de coeur (...) Il faut dissocier le rite de ce qui est méthodique, ce n’est pas tout à fait la même chose. Les sessions méthodiques font encore plus rentrer dans le rite, je peux pas dire que c’est ce qui m’attire le plus » (M. 14). ’ ‘ « Il y a sûrement un rituel, il y a un rythme, alors que dans d’autres sessions les choses sont plus spontanées, plus induites par les participants. Là les choses sont induites par les TPA et par l’animateur. Oui, (...) c’est toujours la même pédagogie, le même fonctionnement. C’est beaucoup plus ritualisé que les autres. Même si on regarde la pédagogie, les questions sont très proches les unes des autres » (M. 1).

Non seulement le rituel inhérent à PRH peut alourdir le vécu du groupe et stopper la spontanéité des participants, mais il est encore suspecté d’induire un rythme lent dans les journées et d’entacher le dynamisme de la pédagogie. De plus il favorise la rupture avec le monde extérieur en accentuant la nature exceptionnelle du vécu de la session, et risque de déconnecter les personnes de leur réalité au lieu de les aider à intégrer celle-ci plus harmonieusement.

Cependant, ces risques attribués à l’ensemble des éléments rituels de PRH ne l’ont été que par cinq de nos sujets, et la satisfaction du plus grand nombre nous invite à conclure que c’est d’abord la méthode PRH, (notamment à travers les TPA et l’analyse des sensations) qu’il nous faut observer pour comprendre les processus favorisant la réussite de cette auto formation, et détecter éventuellement les pièges du système pédagogique en place. Le rituel de la formation accompagne les personnes dans le mouvement d’introspection qu’elles vivent à PRH, et oeuvre à une mise en condition satisfaisante, mais n’en demeure pas moins secondaire en regard de la méthode proposée.