1. Le Schéma De La Personne Comme Fondement Du Système Explicatif

Seize sujets admettent l’importance de disposer d’un système explicatif de l’homme quel qu’il soit, trois jugent cela d’une importance relative, et un autre dénie toute valeur à une quelconque synthèse théorique de la psychologie humaine.

Nous sommes donc en présence d’individus pour qui la compréhension de l’être humain est une valeur importante, et qui éprouvent tout particulièrement la nécessité d’analyser leurs comportements :

« Comme tout mystère, il a besoin d’être initié. Je ne vois pas pourquoi on chercherait pas à expliquer l’homme » (M. 10).

Douze d’entre eux considèrent qu’un système explicatif satisfaisant se doit de proposer une grille explicative de la psychologie de l’homme et de ses fonctionnements :

« J’ai un esprit synthétique et visuel et j’aime voir les choses représentées, schématisées, mises en relation les unes avec les autres (...) Ça rend des services à condition de savoir qu’il (le système explicatif) a des limites » (M. 11).

Nul doute que leur connaissance du système PRH a fortement influencé leur réponse. Six sujets prétendent ainsi qu’un système explicatif est nécessaire afin de disposer de repères simples et sécurisants dans un début de cheminement, définition qui caractérise tout spécialement le schéma de la personne PRH :

« Dans un premier temps cela permet d’avoir des repères. Et quand on est pas bien dans un début de cheminement, parce qu’on comprend pas tout ce qui arrive, ce repère permet de se sécuriser » (M. 1). ’ ‘ « J’en avais besoin parce que ça me sécurisait, cela me permettait de figer quelque chose, cela me donnait des repères » (M. 17).

Deux sujets pensent en revanche que « tout système explicatif est par essence déformant et limité », et doit être utilisé avec beaucoup de réserve et une très grande prudence :

«Je suis pour des systèmes explicatifs, à condition que chaque fois on soit bien conscient des limites de chacun » (M. 11). ’ ‘ « J’ai appris à me méfier de tout système explicatif parce qu’il est par essence limité et déformant » (M. 17).

Il est intéressant de remarquer qu’à cette question générale, les sujets ont exprimé la nécessité de disposer d’un système explicatif de l’être humain, alors qu’ils ont immédiatement nuancé leur propos quand l’interrogation a porté sur la pertinence du système PRH en particulier. En effet, si dix d’entre eux affirment catégoriquement que ce dernier a été éclairant dans la compréhension de leur propre psychisme, notamment grâce à la topologie du psychisme humain, les dix autres sujets, sans en dénier l’importance, ont tenu à émettre des réserves quant à la positivité de son influence. Une grande expérience de la formation PRH leur a permis en effet d’évaluer la justesse et l’efficience de ces facteurs théoriques, et de nous donner une appréciation précise et mesurée de ses atouts comme de ses limites.

Pour la grande majorité des sujets (seize), le système explicatif PRH, par sa présentation d’une topologie originale du psychisme, permet une visualisation des instances psychologiques de la personne, et propose une grille interprétative intéressante des fonctionnements humains, tout en donnant la parole à chacune des instances :

« Ça me permet de savoir où j’en suis, d’avoir un peu une photographie (...) Ce schéma (me permet), de raccrocher les choses, face à la jungle des émotions, des sensations, de savoir comment ça fonctionne » (M. 19). ’ ‘ « Il a été ma base de référence en matière de lecture intérieure en fait, de grille d’explication à mes comportements et à ceux des autres (...) C’est sûr qu’au départ le schéma a une telle cohérence qu’il est non seulement séduisant mais en plus il produit du sens quand même. Donc ça m’a beaucoup aidé. Pouvoir quand je vivais quelque chose qui me surprenait, qui m’interrogeait (...), voir comment ça pouvait avoir sa place et trouver une explication à travers ce système a été important » (M. 11).

Il a donc une fonction heuristique évidente, et une portée symbolique non moins importante. Tous apprécient sa clarté et sa simplicité, tant dans les termes utilisés, (que d’aucuns trouvent plus parlants et plus imagés que les concepts psychanalytiques), que dans son application aux fonctionnements psychologiques de l’homme. En effet, le schéma ne renvoie pas aux mêmes réalités psychiques que la psychanalyse traditionnelle, et ne fait pas apparaître les tendances psychopathologiques de l’être humain. De plus, comme l’explicite Michel LAMARCHE, ‘« toute cette importance capitale de l’instance psychique appelée « l’être » à PRH n’a pas son homologue ni dans la première topique Freudien ne (Inconscient, Préconscient, Conscient), ni dans la seconde (Moi, Ca, Surmoi). De ce fait, la perception de la dynamique de la personne n’est pas identique.(...)La psychanalyse relève explicitement du domaine de la psychothérapie, PRH du domaine de la formation. Ce qui explique que la théorisation dans le registre psychopathologique et psychothérapique soit beaucoup plus poussée dans l’approche psychanalytique qu’en PRH »’ 229 .

C’est pourquoi la formation PRH, à travers sa vision d’un homme fondamentalement sain et tourné vers autrui, offre des repères axiologiques qui sous-tendent tout son système théorique et se démarquent de façon très nette de la problématique psychanalytique héritée de FREUD.

Au terme de notre étude, nous serons amenés à discuter la précédente affirmation concernant l’identité de PRH, et nous verrons précisément en quoi nos conclusions nous conduisent à la confirmer, la nuancer, ou la contredire.

Il est vrai que le schéma de la personne aide les sujets à se représenter leurs mouvements psychiques, à en analyser les composantes et à comprendre également les fonctionnements psychologiques des autres :

« D’avoir un schéma cela permet aussi, quand j’écoute quelqu’un, (...) de sentir à quel niveau de son corps il est. C’est un repère intéressant » (M. 1). ’ ‘ « Cela m’arrive de l’utiliser face à des adultes auxquels je suis amené à parler un peu du fonctionnement de l’être humain. Ça a été très important cette compréhension des différentes instances de la personne, leur situation dans le schéma de la personne » (M. 14).

D’autre part, comme le confirment cinq personnes, la dimension de l’être, lieu préservé des perturbations de la sensibilité et réservoir des potentialités, donne confiance en la possibilité d’évolution et de transformation de l’être humain, et conforte un pari pris par de nombreuses méthodes ou structures d’éducation et de formation, celui de « l’éducabilité » :

« Tu comprends finalement que ton être profond il est pas forcément blessé (...). Cela permet de relativiser et de se dire, attends là, c’est ma sensibilité qui est blessée, c’est pas si grave que ça, on va s’appuyer sur l’être et puis lui donner les moyens de grandir (...)C’est pas parce qu’on a vécu ça dans l’enfance qu’on s’en remettra jamais » (M. 19). ’ ‘ « A travers la dimension de l’être c’était quand même toute cette dimension d’infini qu’on m’avait jamais fait pressentir» (M. 18). ’ ‘ « Dans le cadre de ma croissance, ce qui me parle le plus, ce que je retiens le plus, c’est le roc d’être. Avec toutes les potentialités qui émergent ce sont des choses que je vis, tout ce qui me constitue » (M. 7).

En outre le schéma ouvre des pistes de compréhension non seulement des sensations mais des actions que la personne mène, et dont elle ne saisit pas toujours les raisons d’être. Se sentant parfois dépendante des mouvements qui l’habitent, elle cherche à devenir d’avantage consciente de son ‘« vécu intérieur global’ 230  » et maîtresse de ses actes. Le système explicatif PRH permet alors à la personne d’en analyser l’origine, de discerner de quelles instances elles partent, et d’envisager leurs répercussions sur l’ensemble de la personnalité. Un des quatre sujets qui a souscrit à cette explication explique ainsi :

« Ça a un peu ordonné les choses en moi, ça m’a aidé à comprendre d’où partent les réactions, les actes. De mieux comprendre à quel niveau je me situe quand je vis telle ou telle chose » (M. 3).

Une seule personne a mis en avant la place importante de la notion de conscience, envisagée comme un point de référence qui permet de créer une unité entre les différentes instances de la personne. La découverte de cette instance suprême de discernement a pour fonction majeure d’éclairer l’utilisateur dans ses prises de décision :

« ...Le point central de référence de la conscience fait appel aux instances pour pouvoir faire une synthèse » (M. 14).

Enfin, pour un autre sujet le schéma est éclairant car il semble correspondre parfaitement aux découvertes faites au cours d’une session. Il n’est pas imposé de l’extérieur mais il explicite de façon adéquate des expériences psychiques internes, et s’adapte tout à fait à la réalité pratique :

« C’est un système (...) qui n’est pas catapulté mais qu’on découvre en soi. (...) Certains pourront dire que c’est de la manipulation mais ce que je veux dire c’est que c’est quelque chose qu’il est facile de s’approprier. Qui répond à des choses que l’on prend et que l’on connaît de soi » (M. 20).

Après avoir analysé l’influence positive du système explicatif PRH, essentiellement envisagé sous l’angle du schéma de la personne, certains sujets ont tenu néanmoins a exprimer en quoi ce schéma est limité dans sa portée heuristique.

Tout d’abord, 3 sujets ont noté ses manques constitutifs, dans la mesure où il n’intègre pas les dimensions spécifiques de la sexualité et de l’inconscient, et où il ne semble pas suffisamment situé au niveau anthropologique :

« Ce schéma est tellement exclusif et unique dans cette pensée qu’il est très difficile de s’en désaliéner...Selon moi il est incomplet et pas suffisamment situé » (M. 5). ’ ‘ «  J’ai vu que ce système était limité et ne prenait pas en compte d’autres réalités comme la sexualité dont on parle pas à PRH. Toute la vie émotionnelle, même pour une part la vie affective. Quand je vois les sessions de couples j’ai envie de dire, c’est d’une naïveté ! » (M. 17).

Au demeurant, une personne a émis une hypothèse, fruit de ses propres observations, quant à l’universalité du schéma et de la méthode PRH. Il aboutit à la conclusion que ce schéma serait davantage parlant pour des personnes ayant plutôt une approche AKV (auditive, kinesthésique, visuelle). En outre la méthode, trop monolithique dans les moyens qu’elle se donne, ne pourrait prétendre à l’universalité puisque privilégiant certains processus au détriment d’autres :

« Le fonctionnement PRH correspond (...) beaucoup mieux à des gens qui sont des A. K. V. Ça ils ne s’en sont jamais rendu compte (...)Aujourd’hui c’est une donnée scientifique connue, la PNL en parle, d’autres systèmes en parlent, c’est une évidence pour tous (...) Peut être que la famille PRH se reconnaît à ce qu’ils sont tous A. K. V. Et du coup les autres sont un peu des marginaux, des exclus (...)La méthode PRH est universelle en termes de pays mais pas en termes de processus. Ils laissent de côté les gens qui ne sont pas structurés sensoriellement comme eux » (M. 17).

Nous reviendrons plus tard sur ses limites spécifiques quand nous étudierons la pertinence des différentes instances qu’il représente.

En effet, nous avons ensuite souhaité tester l’application concrète que les sujets font du schéma de la personne, en leur demandant s’ils reconnaissent personnellement dans leur expérience l’existence de chacune des instances.

Douze sujets affirment les reconnaître toutes, tandis que 8 autres les reconnaissent partiellement.

Les premiers constatent qu’ils ont globalement pu vérifier la présence de ces instances en eux, parce qu’ils en ont fait l’expérience intime :

« Il est simple et plein de bon sens.  Ce schéma est éclairant parce qu’on sent bien cette circulation moi-je sensibilité. On pourrait rajouter des instances mais je reconnais bien celles-ci » (M. 18). ’ ‘ « Instances ? Je suis prêt à signer ! » (M. 7). ’ ‘ « Oui, pas forcément dans cette simplification mais comme éléments constitutifs de ce qu’est un être humain, ses différentes dimensions y sont certainement » (M. 5).

Au demeurant, quatre sujets ont tenu à analyser pourquoi ce schéma produit du sens, et en quoi la détermination et la définition des instances de la personne qu’il propose se justifie.

Il semble déjà que cette représentation visuelle du psychisme humain, par sa sobriété et sa facilité d’accès, touche un grand nombre de sujets. Il n’est pas rare de voir des gens s’illuminer à la présentation de ce schéma, tant celui-ci semble ouvrir des perspectives inédites de compréhension d’eux mêmes et de leurs comportements. En effet, même si les termes qui décrivent les instances sont entendus dans des acceptions très particulières, ils ont d’emblée une force d’évocation symbolique évidente, puisqu’ils s’appuient sur des images très fortes et compréhensibles par la majorité des personnes.

C’est ainsi que l’on parle du « roc d’être », que la sensibilité est envisagée comme un « fluide », porteur d’influxs positifs et négatifs, et que le « moi-je » renvoie à une formulation courante très usitée. Un des sujets nous propose son analyse des différentes instances, et en montre bien toute la clarté et l’intelligence :

« C’est un schéma qui a une force de prégnance extrême, qui a beaucoup d’éléments positifs, parce que de fait je crois que présenter le corps comme une interface c’est excellent, présenter la sensibilité comme un fluide c’est très bon, présenter le moi-je comme une instance de contrôle c’est pas mal, présenter l’être comme un jaillissement et à la fois comme un soubassement c’est pas mal trouvé. (...)Ce qui m’a intéressé beaucoup c’est l’aspect de la sensibilité comme milieu qui transmet des ondes dans lequel circulent des influes avec des zones douloureuses, enkystées, et puis des zones fluides où les choses transitent bien. (...) Ce qui m’a aidé aussi, mais dont je me suis aperçu plus vite des limites, c’est le fait de mettre les instances un peu plus cérébrales, le pôle intellectuel, et la volonté dans une instance plus observatrice,(...) et puis dans un premier temps le schéma de l’être en bas . Je suis d’accord avec une instance intériorisée et positive, socialisée en son principe et puis ouverte aux influx d’une transcendance » (M.11).

Nous sommes amenés à constater que le concept de sensibilité semble très évocateur pour la majorité des sujets, y compris chez ceux qui manifestent le plus de réserves quant à la pertinence du schéma. En effet, si une personne exprime sa perplexité quant aux réalités auxquelles renvoient l’être, ‘« L’être je n’ai jamais très bien compris »’ (M. 1) tandis qu’une autre s’interroge sur le bien fondé de déterminer la place de la liberté et de la volonté dans le moi-je, ‘« Le moi-je, je sais pas ce qu’il veut dire, j’ai pas compris, le lieu de la liberté, de la volonté et de l’intelligence »’ (M. 2) toutes reconnaissent la finesse et la justesse de la notion de sensibilité qui, rappelons le, ne peut s’assimiler à la dimension du « ça » freudien .

Une dernière personne a précisé qu’elle reconnaissait ces instances intellectuellement mais avait du mal à en voir l’application concrète dans sa vie.

Nous pouvons alors nous demander sur quels éléments précis portent les critiques émises par ces huit personnes, au sujet de la pertinence et du bien fondé des différentes instances.

La première réponse, sept fois citée, évoque le caractère simpliste du schéma, qui, mal interprété, laisserait croire que l’homme est réductible à cinq instances autonomes et aurait tendance à nier le caractère pulsionnel de la nature humaine, ainsi que la dimension de l’inconscient :

« L’être humain ne peut être identifié à cinq instances localisées en fonctionnements autonomes, c’est trop (...) mécanique ! » (M. 4). ’ ‘ « Je suis amené à ne penser qu’en fonction de ces 5 instances, et dans (...) un cadre qui est (...) la grande découverte de l’humanité » (M. 5).

PRH considère en effet que les différentes instances fonctionnent de façon indépendantes, bien qu’en constante interaction les unes avec les autres.

Il est ainsi affirmé que ‘« Les instances sont des centres à la fois autonomes et en constantes interactions, en convergences d’intérêt ou de besoins ou en opposition (...) Celles-ci jouent chacune un rôle particulier dans la croissance de la personne. Elles n’ont pas toutes la même importance, une hiérarchie existe »’ 231

Cependant, à prendre cette représentation schématique de zones de la personne comme une description scientifiquement exacte du psychisme humain, les utilisateurs courent le risque d’opérer des distinctions théoriques arbitraires et par trop sommaires concernant l’être humain. En outre, les apports de la physiologie ne sont pas forcément intégrés et PRH tendrait à séparer ce qui par nature est indissolublement lié :

« Je ne comprends pas tellement dans le schéma le lien entre l’intelligence, le corps et les sensations. Parce que lorsque tu lis un peu des choses sur le cerveau tu vois bien par exemple que tout ce qui a trait à la mémoire a quand même une base physique, des stimulations, des neurones, du système nerveux. Donc tout ça est quand même plus imbriqué que le schéma pourrait le donner à penser. En fait, la sensibilité elle est dans le corps, je trouve qu’il y a une manière de figurer cela qui peut laisser penser que tout est un peu séparé et puis tout à coup je parle de mon moi-je, je parle de mon corps. Alors il me semble que ce schéma est trop simple. (...)L’autre chose (...) c’est que n’apparaît pas l’inconscient, les choses par rapport à l’inconscient, sur lesquelles on a tous (...) des expériences à travers des actes manqués, des lapsus » (M. 20).

Notons toutefois que PRH, bien conscient des erreurs d’interprétation du schéma a tenu à préciser dans son livre que ‘« Cette topologie n’est évidemment pas à prendre au premier degré comme une réification de la vie psychologique de la personne (...) Pour clarifiante qu’elle soit, elle ne permet pas toutefois de rendre compte des influences permanentes de ces instances entre elles et de leurs liens ontologiques (...) Pour avoir une perception plus juste du fonctionnement de la personne, il ne faut jamais oublier de l’appréhender dans sa globalité »’ 232.

Quant à la négation de l’existence d’une dimension inconsciente à part entière, selon nos sujets, elle ouvrirait la porte à une vision quelque peu idéale de l’être humain ; en effet, les pulsions originelles, expressions du désir de vie comme du désir de mort, n’apparaissent pas sur le schéma. Si à PRH sont évoqués les « besoins fondamentaux de la personne », et ses « aspirations profondes », il n’existe en revanche aucune réflexion sur la notion de désir, envisagé comme un mouvement dynamique qui se nourrit des pulsions, pour les orienter vers un but qui peut être aussi bien constructeur que destructeur.

A PRH, agressivité et pulsion de mort sont uniquement vues comme des conséquences néfastes des blessures du passé, participant à créer des défenses en vue de se protéger de l’agression d’autrui.

Pourtant, s’il est dit dans ‘« La personne et sa croissance » que « l’aspiration la plus archaïque chez un être humain est l’aspiration à exister et, par conséquent, à protéger son existence de ce qui le menace. Ce n’est pas celle de détruire. (...)»’ 233... une note de bas de page objecte que ‘« l’homme ne naît ni bon ni mauvais, il naît avec un potentiel plus ou moins vaste de capacités. Il est déjà marqué à sa naissance par son histoire intra-utérine. Le fond positif latent de sa personnalité ne se révélera que s’il trouve les éléments nécessaires à son développement dans son milieu environnant : sécurité, reconnaissance, amour (...), Si cet homme rencontre un milieu néfaste ou s’il refuse de mettre en oeuvre ses potentialités, l’énergie que contient ses aspirations à exister risque d’être déviée vers des comportements défensifs, destructeurs ou autodestructeurs »’ 234.

Cependant, nul trace de définition de la notion de désir, et des raisons qui poussent un homme à « refuser » librement d’actualiser ses richesses individuelles. Pourquoi « l’énergie que contient ses aspirations » entraînerait-elle dans ce cas de telles impulsions négatives ? En effet, si nous reprenons la définition du glossaire inclus dans le même ouvrage, nous voyons que l’aspiration est décrite comme un ‘«phénomène ressenti par la personne sous formes de dynamisme et d’élan, exprimant le mouvement d’une potentialité de l’être qui cherche à se manifester »’ 235

Elle est donc bien circonscrite par un champ d’action qui vise à donner la parole à « l’être » de la personne, et ne permet pas une compréhension plus approfondie de l’origine de la violence chez l’homme. En revanche, peut-être nous rapprochons nous d’avantage du concept de désir, grâce à la définition de « l’aspiration à exister », entendue comme un ‘« désir viscéral de vivre et d’être soi. Correspond au dynamisme le plus fondamental, le plus profond et le plus archaïque chez une personne »’ 236  

Si nous croisons cette définition avec celle du « besoin normal et du besoin d’être reconnu », nous arrivons à une description qui approche le thème du désir sans pourtant parvenir à l’expliciter tout à fait :

« Besoin normal : ce que toute personne attend de recevoir pour que les différentes instances de la personnalité connaissent une forme d’équilibre et de satisfaction, et puissent de ce fait remplir leur rôle au service de la croissance de la personne.
Besoin d’être reconnu : besoin fondamental à partir duquel tout individu attend des personnes importantes pour lui qu’elles lui donnent le droit d’exister tel qu’il est »
237 .

Ces notions semblent l’une comme l’autre faire d’avantage référence à des phénomènes infantiles, alors que la notion de désir exprime quant à elle aussi bien une recherche de plaisir qu’un mouvement vers une action. Comme le spécifie le Vocabulaire technique et critique de la philosophie , ‘«  le désir est une tendance spontanée ou consciente vers une fin connue ou imaginée »’ 238.

C’est pourquoi il nous semble que le schéma PRH offre une image de l’homme quelque peu tronqué d’une de ses caractéristiques essentielles, être un réservoir insondable de désir. En tant que source de vie, celui-ci s’inscrit au coeur des pulsions, qui elles mêmes s’enracinent dans la sexualité de l’homme. Or, c’est bien le désir qui fait de ce dernier un être de relation, tourné vers autrui, ce désir également qui l’invite à dépasser la satisfaction infantile de ses besoins primaires. Nous avons observé que ni la notion d’aspiration, ni les différentes définitions des besoins ne suffisaient à couvrir la signification du désir. Il y a donc certainement un manque dans ce système théorique, qui aurait tendance à tout analyser selon une vision individuelle de la psychologie, ne prenant pas suffisamment en considération les forces pulsionnelles fondamentales de l’homme, et minimisant la place de la relation à l’autre et au monde, comme nous l’avions déjà suggéré dans notre chapitre sur les outils méthodologiques. Nous reviendrons sur ces différents thèmes quand nous mettrons en perspective le système PRH avec quelques concepts clefs hérités de la psychanalyse.  

C’est ainsi que trois sujets trouvent le schéma limité dans la mesure où ce dernier n’intègre pas suffisamment la dimension de psychologie de groupe et ses implications (groupe familial, professionnel), ainsi que la notion d’inconscient collectif :

« J’ai un grand vécu de groupe familial parce que je faisais partie d’une grande famille, et il y a toutes ces perceptions de vécu de groupe que je n’arrive pas à situer » (M. 6).

PRH a certes étendu son champ de recherche à des domaines variés, qu’il s’agisse des relations de couple ou de famille, de la vie d’entreprise, ou de la vie en groupe. Cette dernière notion n’est donc pas évacuée. Mais la formation ne prend pas suffisamment en compte l’influence des structures sur les personnes. Tout est vu à travers le prisme de l’individu, et les apports de la sociologie et de la psychologie des groupes sont relativement peu intégrés dans les analyses du système explicatif :

« Il n’y a pas de dimension sociologique, c’est à dire que tout part de la personne, de son histoire, de son individualité, et tout est explicable à partir de ça » (M. 5). ’ ‘ « On ne parle pas de tout ce qui est lié à l’inconscient collectif, et puis aux contextes et aux conditionnements sociaux, non pas au sens conditionnement social de ta famille parce que là je pense que c’est très bon, mais des conditionnements culturels qui sont beaucoup plus larges » (M. 20). ’ ‘ Nous avions déjà précisé que PRH n’a pas la prétention de tout inclure ni de tout expliquer à travers son système explicatif. La recherche psychologique de ROGERS demeure la référence et l’influence fondamentale de la formation PRH, et le fondateur, en désaccord avec certains des fondements anthropologiques de la psychanalyse, souhaitait se démarquer nettement de la topologie freudienne. Cependant, les remarques précédentes ont une certaine pertinence, puisqu’elles pointent une des limites de la formation.

Deux sujets ont quant à eux précisément exprimé que la dimension de l’être était porteuse d’ambiguïté, et que sa matérialisation en une carrière de ressources humaines individuelles pouvaient induire une conception prédéterminée de l’homme et du monde :

« Ce qui me pose énormément problème moi c’est la matérialisation de l’être comme une espèce de carré, on parle de rocher...Ca veut dire comme une espèce de carrière dans laquelle on va puiser des ressources (...), dans laquelle un tas de choses sont comme inscrites à l’avance je ne suis plus d’accord avec ça du tout » (M. 11).

Nous pressentons alors à travers cette remarque combien le concept d’être pourrait laisser croire en la nature essentiellement positive de l’être humain, et en sa détermination génétique. Nous analyserons plus spécifiquement cet aspect du système explicatif PRH quand nous aborderons la conception de la vocation, telle que la formation la comprend.

Nous avions déjà remarqué auparavant que la définition de certaines instances (l’être, le moi-je), semblait entrer en contradiction avec l’expérience des sujets, soit parce que ceux-ci étaient dans l’incapacité de mettre une réalité derrière le concept, soit parce que les référents théoriques présentés se heurtaient à leur propre conception du psychisme humain.

Deux sujets critiquent ainsi le schéma, se refusant à admettre que la liberté, notion transcendante et universelle soit uniquement située dans l’instance cérébrale de la personne, représenté par le moi-je à PRH :

« Je dénonce le fait que la liberté soit une instance du moi-je (...) Après on dit il faut bien lire les notes d’observation, on se rend compte que la liberté elle est au niveau de l’être, elle est profonde ; pourquoi on l’a pas écrit ? Si la liberté n’est pas à la racine de la personne dans ce qui la fonde le plus profondément, il y a un vrai problème » (M. 11).

De même, le peu de place faite dans le schéma à la relation en tant qu’élément structurant de la personnalité, risquerait, selon deux sujets, d’induire une attitude consommatrice de la relation à l’autre, renforcée par l’importance que PRH accorde au ressenti individuel :

« Je ne suis pas d’accord sur la force symbolique de « l’oeuf » (le schéma de la personne), et sur le peu de place qui est faite à la relation en tant que structurante même. On a beau dire tout se passe dans la relation, d’accord, mais tout est filtré par le filtre de la coquille et tout est médiatisé par l’être en fait. (...) Je crois que ça induit une attitude consommatrice de relations (...) C’est à dire que ça ne met pas les personnes devant la radicale incomplétude (...) il y aura toujours quelque chose qui traîne au niveau de l’inconscient de la complétude à retrouver ou à entretenir, ou à développer (...) PRH est dans une philosophie de l’un qui se constitue, qui se laisse être mais ne donne pas réellement accès dans ses fondements à la dimension relationnelle » (M. 11).

Une des dérives de PRH, comme nous le verrons plus tard, serait bien de se fixer sur la dimension de l’être au point que ce dernier imposerait ses impératifs en faisant fi des autres dimensions de la personne, et des besoins d’autrui. Il faudrait « prendre soin de son être » en priorité, au risque d’envisager les autres comme des moyens d’accéder à une plénitude personnelle, dans une perspective quelque peu utilitariste.

Une personne quant à elle dit ne pas reconnaître pour elle même la place et la réalité de la dimension de transcendance, ‘« J’ai toujours eu un peu de mal à reconnaître intérieurement une transcendance »’ (M. 6) ...et trouve en outre que le schéma ne permet pas d’expliquer des perceptions comme le doute ou la morosité :

« Sont moins claires les perceptions comme le doute, la grisaille intérieure, je n’arrive pas bien à situer ces troubles » (M. 6).

Un dernier sujet enfin nous partage son analyse du statut de la loi et du langage, qui, insuffisamment évoqué à PRH, tendrait à renforcer le caractère englobant du schéma, et donc induirait une vision idéale des relations humaines, excluant les vertus de la confrontation :

« La caractéristique de l’être humain c’est (...) d’être mis en incapacité fondamentale de se construire dans une complétude à lui tout seul. C’est la loi qui barre, c’est l’interdit, c’est le père, c’est le dialogue, c’est la parole qui signifie ce qui manque (toute la théorie psychanalytique), (...) Dans PRH, quel est le statut du langage comme structurant ? Il n’y a pas une grosse réflexion là dessus, quel est le statut de la loi ? Il n’y a pas une grosse réflexion là dessus non plus, comme constituant de la personne » (M. 11).

Lors des entretiens de notre pré-enquête, nous nous sommes aperçus que certains des défauts imputés au système théorique PRH tenaient à un manque d’intégration de notions psychologiques générales communément admises, dont les concepts PRH, soit disant équivalents, ne parvenaient pas à dégager tous les signifiants.

C’est pourquoi nous avons ajouté des questions non prévues à l’origine, et proposé une mise en perspective des référents théoriques PRH avec quelques concepts clefs de la psychanalyse.

Notes
229.

Michel LaMARChe, « La Formation PRH, sa valeur, ses limites », courrier spécial PRH, Poitiers, PRH, septembre 1989.

230.

Définition du Vécu intérieur Global synthétisé à partir de l’ouvrage, La Personne et sa croissance, op. cit. : différents mouvements coexistent à l’intérieur de soi, les aspirations, qui propulsent en avant pour vivre qui l’on est et ce pour quoi on est fait ; les besoins normaux mouvements qui partent vers l’autre pour en recevoir quelque chose, avec une attente relative à la croissance ; les besoins en creux, qui manifestent une forte attente et une soif insatiable d’être comblés (...) on prend l’autre pour satisfaire ses manques. Les différents mouvements précités coexistent à l’intérieur de soi, souvent dans une certaine confusion. Il importe d’apprendre à les démêler pour savoir ce qui est à la racine des actes qu’on pose. V. Schéma en annexe 3.

231.

La Personne et sa croissance, op. cit. p. 49.

232.

ibid., p. 53 et 54.

233.

La Personne et sa Croissance, op. cit. , p. 46 et 47.

234.

ibid., p. 46 et 47.

235.

ibid., p. 286.

236.

ibid., p. 285.

237.

ibid., p. 285.

238.

André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, octobre 1988.