3. Les Dangers Du Schéma

Huit catégories de réponses ont été données par nos sujets, explicitant chacune les risques et les dangers potentiels, non seulement du schéma, mais de l’ensemble du système explicatif PRH.

Précisons tout d’abord que si quatre sujets expriment leur incertitude quant aux éventuels risques du schéma, alors que deux autres répondent fermement par la négative à cette interrogation, une bonne majorité (quatorze sujets) affirme sans hésiter qu’une référence exclusive et littérale à ce schéma comporte nécessairement des dangers, qu’il importe de bien repérer afin de tenter de les éviter.

Il ne s’agit pas en effet d’assimiler le psychisme humain à la topologie PRH, mais d’en cueillir toute la portée symbolique, afin d’éprouver la pleine efficience de ce modèle spécifique. Il est vrai que certains utilisateurs assidus de PRH en arrivent parfois à limiter leur compréhension d’eux mêmes et des autres à cette grille d’analyse de l’être humain, qui ne prétend pourtant pas contenir l’immense mystère de la condition humaine. Le système PRH trouve sa justification et sa raison d’exister quand il est mis en résonance avec une problématique qui, comme nous l’analyserons plus tard, tient à la fois de la philosophie de l’éducation, de la pédagogie pratique, et de la psychologie de l’adulte.

En aucun cas il ne se veut une réponse à toutes les interrogations portant sur le devenir de l’être humain. Or, les personnes qui font de ce système un absolu, aboutissent fatalement à un attitude dogmatique, et à une conception réductrice de l’homme, courant le risque de s’enfermer dans une modélisation simpliste et totalitaire, comme l’analysent quelques sujets :

« Il y a déjà le piège du fait que ce n’est pas un schéma complet, donc si on s’y tient on se limite. Moi j’ai vu des gens qui me semblaient relativement piégés, notamment en sessions, ils sont dans une logique qui est confortée par l’animatrice (...) de vouloir trop ramener les choses au schéma de la personne ce n’est pas bon non plus » (M. 19). ’ ‘ « Le piège ? Se limiter à ce référentiel là à l’exclusion de tout autre (...) Avoir un seul schéma de référence c’est rassurant, c’est simple. Mais du coup ça a tendance à faire rentrer tout le monde dans ce moule » (M. 17). ’ ‘ « Le piège très clair pour moi (...) c’est que ce schéma est trop bien fait, trop lisse, qu’il roule trop bien pour aider les personnes à relativiser un ressenti ou une analyse sur elle mêmes. C’est à dire qu’on trouve des personnes complètement enfermées dans cette grille de lecture et qui sont incapables d’ouvrir même un espace de questionnement au delà de ce qu’elles auront compris et analysé et placé dans cette grille pour elles mêmes et pour les autres (...) Je suis pas sûr que ce soit un schéma ou une méthode globalement qui mette en garde contre la propre incomplétude de son schéma » (M. 11).

A la suite de cette analyse, comme pour la compléter, trois sujets ont également évoqué un risque inhérent au système PRH, que nous avons partiellement observé auparavant : celui de vivre dans un fantasme de recherche d’une unité perdue, et d’une société non conflictuelle. Cette illusion peut en effet être plus ou moins induite par PRH, non exclusivement par le schéma, mais par les valeurs qui le sous-tendent. Nous avions repéré la caractéristique principale des relations des personnes entre elles lors d’une session, et l’atmosphère exceptionnelle de bienveillance et de compréhension qui régnait alors. C’est donc non seulement dans sa description psychologique de l’homme que PRH devient potentiellement dangereux, mais dans ses repères axiologiques, dans la mesure où l’espèce d’idéalisme qui l’anime est entendu comme une vérité à atteindre, et non comme un souhait tenant lieu de finalité et d’éthique de la relation à autrui.

En outre, deux sujets ont précisé que PRH, comme tout mouvement éducatif, n’échappait pas au piège du sectarisme et de l’enfermement dans une idéologie établie en vérité absolue. Ce danger guette en priorité les inconditionnels de PRH qui croient avoir trouvé dans cette méthode la solution à tous leurs maux, voire le salut universel, et sont alors tentés de « convertir » quiconque à ce remède miraculeux. Précisons toutefois que cette attitude à la limite du « fanatisme » concerne essentiellement les personnes qui n’ont pas expérimenté d’autres formations et qui éprouvent par conséquent une reconnaissance sans mesure envers l’outil qui leur a permis de vivre mieux. Toutefois, dans le contexte actuel de prolifération des méthodes de développement personnel, ces cas de figure tendent à se raréfier. Face à des offres aussi alléchantes que trompeuses, l’esprit critique des utilisateurs, soumis à rude épreuve, s’aiguise de plus en plus. PRH, dépris de l’aura de ses jeunes années, doit diversifier son offre de formation pour résister à la concurrence et fidéliser une « clientèle » souvent très fluctuante. L’organisme est aujourd’hui en proie aux remarques critiques d’un nombre croissant d’utilisateurs, qui, s’appuyant sur une connaissance et une expérience plus vastes des moyens de formation, dispose d’éléments suffisants pour comparer et évaluer la pertinence et l’efficacité de l’outil PRH. C’est pourquoi ce danger d’ostracisme est en voie de disparition, même si une attitude de vigilance doit bien évidemment contrôler toute entreprise de ce type.

Deux autres en revanche évoquent un risque beaucoup plus subtil et pernicieux, qui est le revers d’une attitude recommandée à PRH pour accélérer le processus de croissance individuelle : donner la priorité à l’être dans ses choix quotidiens. Un sujet analyse cette erreur qu’il a lui même commise, et les conséquences qu’elle a eues :

« Le piège principal c’est de croire qu’il y a un truc en nous qui tout d’un coup va sortir à coups de TPA. Il peut y avoir une crispation sur l’être, sa vocation, son agir essentiel. Voilà ce que j’ai pu vivre à certains moments » (M. 20).

La remarque précédente renvoie à une interrogation plus large, d’ordre philosophique, quant à la part d’inné et d’acquis de la personnalité d’un individu. Nous verrons dans le chapitre suivant comment une mauvaise interprétation de PRH pourrait laisser croire que toute vérité sur soi même se découvre par l’introspection, et qu’il suffirait de puiser dans le réservoir de ses potentialités pour trouver le sens de son existence et le lieu d’une réalisation professionnelle en adéquation avec les aspirations d’un « être » qui émerge progressivement. Comme le montre bien le même sujet :

« Dans ce schéma, par rapport à cette dimension de données génétiques, il manque quelque chose. C’est un peu théorique mais est-ce que le truc est contenu et se déploie, ou est-ce que chemin faisant les choses se donnent et génèrent le déploiement ? » (M. 20).

Les quatre autres catégories de réponses ont été citées chacune une fois par nos sujets. Nous nous contenterons de les exposer brièvement sans les étudier en détails, certaines rejoignant des remarques longuement analysées auparavant, ou relevant d’avantage d’une réflexion sur les facteurs axiologiques du modèle PRH.

C’est ainsi qu’une personne réitère un constat déjà formulé dans notre chapitre sur les outils praxéologiques : pour les gens très cérébraux, le piège réside dans la satisfaction d’une compréhension intellectuelle du système, dont la cohérence et la clarté séduisent, mais qui n’implique en rien des changements concrets dans les comportements ni une évolution psychologique effective.

Dans un sens très différent, il arrive que les personnes qui suivent des sessions sans poursuivre un accompagnement individuel, rentrent dans des réactions « adolescentes » et se révoltent par rapport aux contraintes extérieures et aux difficultés de l’existence. Un risque possible est de voir s’exprimer une volonté brutale de rompre avec le passé et les relations conflictuelles ou problématiques de leur vie, allant à l’encontre de l’objectif d’unification et d’harmonisation que propose PRH. La personne se fixe alors dans un comportement réactif au lieu de s’acheminer vers une acceptation profonde de sa réalité, signe de maturité affective.

Un sujet s’interroge quant à lui sur la nature du concept « d’être », qui lui semble réunir des notions tout à la fois psychologiques, philosophiques, et spirituelles :

« Cette dimension d’être, moi elle me posait quand même question, c’est une dimension un peu philosophique, il y a quand même une espèce de mélange entre des notions philosophiques et psychologiques. Cette notion d’être je la sentais, je crois qu’elle vise à montrer l’au-delà de la personne. Moi ça a été la révélation de PRH : j’ai beau avoir un corps déterminé, il y a un au-delà de moi même. Je crois que c’est surtout cette dimension de transcendance qui est importante » (M. 18).

Nous analyserons précisément ces concepts dans notre troisième partie, et pourrons alors tenter de décrypter les différents aspects de leur nature.

Enfin, il est dit une fois encore que la dimension de la relation à autrui est peu mise en valeur à PRH, et que si l’outil tient ses objectifs en ce qui concerne le développement de la personnalité, il gagnerait nécessairement à approfondir son analyse de la personne en relation, et à valoriser le passage à l’action et à l’engagement, en tant que moteurs puissants de croissance et d’épanouissement personnel.