Conclusion Sur Les Facteurs Théoriques Et Leur Influence

Au regard de cette analyse du système explicatif PRH, essentiellement considéré à travers le prisme du schéma de la personne, nous ne pouvons apporter qu’une conclusion en demi teintes concernant la pertinence et l’efficience de ce modèle théorique particulier. En effet, nous n’avons pas étendu notre étude à l’ensemble de la théorie psychologique PRH, donnée dans les notes d’observation et synthétisée dans l’ouvrage « La personne et sa croissance »250. Il nous aurait fallu traiter une par une l’ensemble de ces notes, et avoir accès aux fiches pédagogiques de chaque session, ce qui nous était matériellement impossible, et nous aurait éloigné de notre objectif principal : mesurer l’efficience du modèle pédagogique PRH et sa pertinence théorique.

Nous avons toutefois étudié en détails les fondements théoriques essentiels sur lesquels repose la méthode PRH ; nous aurons l’occasion de revenir sur d’autres concepts importants (la croissance, la mise en ordre, la guérison) quand nous aborderons les conséquences de la formation sur les utilisateurs.

A certains égards, la forte prégnance de ce schéma nous semblerait s’enraciner dans ses dimensions les plus originales, (notamment l’être, la dimension de transcendance, et la conscience profonde ), en décalage voire en opposition à d’autres schémas de référence. Or, s’il est vrai que la topologie PRH se démarque nettement de la topologie Freudienne, évacuant des réalités importantes du psychisme humain, (le désir par exemple) elle présente néanmoins un atout majeur : considérer a-priori l’être humain comme fondamentalement sain. La formation a le mérite de s’adresser à un homme en bonne santé psychologique ; elle propose à ce dernier des outils pédagogiques diversifiés, afin de l’aider à prendre conscience de ses dons personnels et de les réaliser. Si une personne a été entravée dans son développement, PRH lui donnera les moyens pratiques de s’en libérer. Mais elle ne la réduira pas à sa névrose temporelle. Bien au contraire, son objectif sera de l’aider à retrouver des points de stabilité et de solidité, et d’avoir sur elle le regard créateur et éducatif que tous les grands éducateurs ont porté sur l’homme à travers les siècles251. C’est bien en regardant au delà de la réalité positive perceptible et des faiblesses de la personne, que le médiateur pourra s’approcher de ses potentialités ignorées, et en favoriser l’émergence. Cela signifierait-il qu’il existe un « lieu »252 en la personne où ses richesses s’enracineraient ? Au contraire, l’homme ne serait-il qu’un pur produit de l’environnement culturel, un disciple façonné à l’image de son maître et calquant sa personnalité sur lui ? Ce n’est pas le postulat de PRH et ce n’est pas non plus le nôtre. Nous préférons dire avec MOUNIER et MARITAIN253, dans une perspective personnaliste, que rejoint le fondateur de PRH en de nombreux aspects, que la personne comporte un mystère qui la dépasse, et la rend irréductible à toute tentative d’enfermement et de définition. La personne demeure éminemment libre et digne au delà de ses chaînes, et ce postulat de confiance uniquement lui donne la possibilité d’advenir à elle même. Comme l’énonce clairement MARITAIN dans son ouvrage Pour une philosophie de l’éducation, ‘« Dire qu’un homme est une personne c’est dire que dans la profondeur de son être il est plus un tout qu’une partie et plus indépendant que serf »’ 254.

Certes, nous avons repéré les nombreuses limites de ces référents théoriques, dont l’idéalisme sous-jacent contribuerait à maintenir les personnes les plus fragiles dans l’illusion d’un avenir meilleur d’où toute confrontation, toute agressivité et toute souffrance seraient évacuées. Mais si ces risques existent, et si effectivement PRH pourrait sans doute tirer profit d’une mise en perspective ouverte avec d’autres écoles psychologiques, (et pas uniquement avec la psychanalyse Freudienne ), le système en place doit impérativement préserver sa spécificité, et continuer de donner à la dimension de l’être et à celle de conscience leurs lettres de noblesse.

Nous poursuivrons l’analyse des concepts théoriques PRH au cours de notre troisième partie, qui sera fondée sur l’étude d’un corpus de textes théoriques d’André ROCHAIS tiré des notes d’observation. Nous aurons alors le loisir de mettre en résonance les notions héritées du schéma avec des concepts philosophiques empruntés essentiellement aux philosophes personnalistes.

Enfin, nous avons observé à quel point étayages théoriques d’ordre psychologique et valeurs axiologiques allaient de paire, les dernières donnant du sens aux premières. C’est pourquoi il nous importe d’aller chercher dans les fondements axiologiques, voire philosophiques de la méthode, pour proposer une analyse équilibrée de notre modèle, et continuer d’en vérifier la valeur.

Au demeurant, si notre hypothèse a été confirmée de façon très nette pour le pôle praxéologique de PRH, il semble bien que les contradictions, les dangers et les limites que nous venons d’évoquer pour celui des étayages scientifiques, contribuent à expliciter les défaillances actuelles de l’organisme en matière d’accompagnement individuel, et d’ouverture à des publics divers. Il serait d’ailleurs plus juste de dire que PRH, de plus en plus conscient de l’immobilisme et du décalage croissant entre sa pédagogie et les besoins du public, a déjà amorcé un virage important, tant dans son entreprise de communication externe que dans une remise en cause de la formation des formateurs.

Néanmoins, c’est bien la simplicité de son schéma de référence et sa positivité qui donne à celui-ci une telle portée symbolique et heuristique et donc une réelle efficacité.

Notes
250.

La personne et sa croissance, op. cit.

251.

Ainsi le philosophe Jean Lacroix exprime à propos de MOUNIER : « Je dis «  MOUNIER éducateur », comme Nietzche disait Schopenhauer éducateur, comme nous disons Nietzche , Dostoïevski, Péguy ou Bernanos éducateurs. Toujours, mais spécialement dans les temps troublés, une grande pensée est une pensée éducatrice, une pensée pédagogique. Au XVI ème siècle, Rabelais et Montaigne sont des éducateurs : maîtres à penser et maîtres de vie. Au XVIII ème siècle Rousseau rénove l’art de gouverner les hommes et les enfants comme l’Encyclopédie est un mouvement de pensée et d’éducation, et MOUNIER fondant Esprit aimait comparer son ambition à celle des Encylopédistes », in Jean Lacroix, « MOUNIER éducateur », n° spécial Revue Esprit, décembre 1950, p. 839.

252.

Dans La personne et sa croissance, op. cit., p.23. , il est précisé en effet que : « (...) on peut dégager trois présupposés anthropologiques qu’André ROCHAIS s’attachera à vérifier :

- « Où rejoindre » induit l’existence chez l’homme d’un « lieu », qui, si on le rejoignait, permettrait un développement et une mise en ordre de la personne. D’où une hypothèse de topologie du psychisme humain

- Le « processus de croissance » apparaît dans cette hypothèse comme un phénomène humain naturel, susceptible de se déclencher à partir d’un lieu précis dans la personne. Il y a là les prémisses d’une conception dynamique de l’homme, dont l’émergence de la personnalité est évolutive ».

253.

V. infra dernière partie, mise en perspective des valeurs axiologiques et des finalités de PRH avec MARITAIN et MOUNIER.

254.

J. MARITAIN, Pour une philosophie de l’éducation, Paris, Fayard, 1969. (nouvelle édition revue et complétée. Préface de Marie-Odile Métral).