C. Les Facteurs Axiologiques

1. La Vision De L’homme

Notre souhaitions tout d’abord déterminer si les sujets partageaient la même vision anthropologique de l’homme et du sens de sa vie, que celle qui sous-tend PRH dans son ensemble. Nous avions indiqué dans notre interrogation quelques éléments permettant aux sujets de répondre sur une base commune. Il était ainsi précisé que cette vision anthropologique de l’homme avait pour caractéristique principale sa positivité et son optimisme, et que les finalités humanistes et sociétaires de l’organisme visaient une ‘« humanisation de la société par une humanisation des personnes et des relations humaines »’.

Nous présupposions que les personnes interrogées avaient toutes perçu des éléments de l’anthropologie PRH, et qu’elles étaient en capacité de les expliciter, voire d’en déterminer les atouts et les limites.

Or, il s’est avéré que la totalité des sujets avaient non seulement eu accès aux valeurs et aux conceptions anthropologiques de PRH, mais que beaucoup avaient aussi analysé de façon approfondie leurs différentes facettes, conscients à la fois des forces et des faiblesses de ces repères axiologiques.

Ainsi, si huit d’entre eux partagent la vision de l’homme propre à PRH, onze en reconnaissent certains aspects, tout en s’opposant à d’autres. Une personne seulement avoue désapprouver totalement cette conception de l’homme et du monde.

En effet, la plupart des sujets (quinze) admettent la présence en tout homme d’un lieu originellement positif, participant à l’établir dans son identité profonde. Au demeurant, l’humanisation de la société ne trouverait son avènement que dans la personnalisation des individus. Seule la transformation de l’homme, notamment à travers le déploiement de ses potentialités, permettrait l’évolution des relations humaines vers une plus grande « convivialité »255, et ouvrirait la porte à une mutation sociale à plus grande échelle. Certes, le caractère utopiste de cette conception, nous le verrons, n’a pas échappé à nos sujets, qui en critiquent l’irréalisme. Mais ils s’accordent pourtant à reconnaître l’impact des transformations personnelles sur des changements sociétaires, à plus ou moins grande échelle :

« Oui je me reconnais. Je crois vraiment qu’il faut passer par l’homme ; j’aurais été finalement beaucoup moins efficace si je m’étais embarquée au parti socialiste ! Pour moi, l’unité c’est le seul chemin. Tant que je ne suis pas en ordre je sème du désordre. Comment je peux vivre des relations saines dans mon parti, dans mon équipe de travail si moi même je ne sais pas ce que c’est qu’aimer et si je me vis complètement tyran ou aliéné face à telle personne ? » (M. 9). ’ ‘ « Je suis de plus en plus convaincue, par mon expérience et par ce que j’observe autour de moi, de l’impact de certaines personnes sur le groupe ou sur moi. Et de l’impact que je peux avoir aussi sur des groupes, en particulier le groupe d’adultes dont je m’occupe cette année. Je vois bien que la manière dont je vis n’est pas indifférente à la manière dont se font les relations à l’intérieur des membres du groupe » (M. 14).

Dans le même sens, trois sujets prolongent cette réflexion en précisant que tout homme gagnerait à accéder à son intériorité, en vue de connaître et de développer ses potentialités. PRH s’inscrirait alors dans cette perspective, envisagé comme un moyen d’aider les personnes à rentrer en contact avec le plus intime d’elles mêmes, et à découvrir des aspects parfois inédits de leur personnalité :

« Je suis convaincue que cela ne peut passer que par le travail personnel de chaque être humain qui fait avancer le reste de la société. C’est ceux qui ont fait un petit bout de chemin qui font levain autour d’eux, et ça fait boule de neige » (M. 14). ’ ‘ « Je suis persuadée que c’est en misant sur le dynamisme positif de chacune des personnes que des changements durables peuvent se produire et dans la personne et dans la société. Je partage les idées humanistes et je collabore aux idées de l’organisme sur la transformation sociale. Je les fais miennes, à ma petite mesure, dans le micro milieu où je vis » (M. 15).

Enfin, deux autres personnes trouvent que PRH propose un modèle de compréhension et d’identification intéressant dans un début de cheminement, les valeurs auxquelles il se réfère et les finalités qu’il vise contribuant à créer un cadre rassurant pour les utilisateurs :

« Aujourd’hui je dirais que cette approche est moins une approche anthropologique qu’une approche pédagogique, didactique, qui est plus adaptée à une introduction à un bilan personnel qui, par des mécanismes simples, par la schématisation qui est proposée, permet à la personne de commencer à se comprendre et à se mettre en route » (M. 5).

Nous ne pouvons citer tous les sujets, mais nous constatons que l’expérience d’un bon nombre semble valider le repère axiologique qui fonde la pratique PRH : la mutation de la société ne va pas sans la transformation de chaque personne, en vue d’un engagement plus efficace. Celui-ci ne trouve sa condition de possibilité que dans le travail intérieur de chacun, pour une plus grande prise de conscience de ses potentialités, et une libération progressive de ses blocages et de ses souffrances.

Nous poursuivrons dans notre troisième partie l’analyse de cette généreuse idée, qui se situe à la frontière de l’idéal utopique et du rêve, considéré comme catalyseur d’énergies et de bonnes volontés.

C’est d’ailleurs dans la mince frontière qui sépare l’objectif (qui vise à finaliser une action), de l’utopie (qui maintient les gens dans le rêve au lieu de les pousser à s’engager), que nos sujets prennent leur distance par rapport à la vision de l’homme propre à PRH.

Trois d’entre eux en effet suspectent ce dernier d’irréalisme, dans les moyens préconisés pour transformer la société. PRH semble espérer la suppression des conflits, alors que, d’après nos sujets, l’évolution passe par une dialectique permanente qui se vit sur le mode du conflit, doublée d’une maturité pour gérer celui-ci :

« J’ai longtemps cru qu’humanisation de la société ça voulait dire suppression des conflits et je crois que PRH s’est engouffré dans un travers personnel, dans un problème par rapport au conflit. Mais aujourd’hui j’ai radicalement changé d’opinion. L’humanisation de la société est liée directement à une dialectique qui ne peut se vivre que sur le mode du conflit. Simplement, notre humanisation c’est aussi d’avoir une capacité adulte de les gérer. C’est pas PRH qui m’a aidé à le voir ! » (M. 11).

Dans le même registre, deux sujets ont distingué la portée individuelle de la formation PRH, qui paraît incontestable, de sa portée sociale, à l’efficacité plus incertaine ; le discours qui lui est attaché paraît en effet teinté d’idéalisme et par trop éloigné des réalités économiques et politiques du monde :

« La vision de PRH au niveau politique je sais pas trop. (...) Autant humainement cela apporte une très grande évolution chez les gens, mais je ne vois pas la portée économique » (M. 6).

C’est pourquoi, pour deux autres sujets, la visée sociétaire de PRH a des allures de souhait utopique, ne semblant pas suffisamment prendre en compte la volonté de puissance et de destruction de l’homme :

« Je pense que le mal gratuit est possible, et qu’il n’est pas simplement le fruit de blessures, de choses désajustées et vécues dans le passé. (...) je pense que (...) la liberté c’est une liberté qui est très radicale, qui n’est pas simplement la liberté de suivre son moi-je, de suivre son être ou de réagir en fonction de sa sensibilité » (M. 20).

Deux personnes ajoutent même qu’elles ne partagent pas la vision optimiste de PRH sur la nature humaine, dans la mesure où celle-ci ne prendrait pas en compte les facettes plus sombres de la personnalité d’un individu :

« Je crois que l’homme c’est les deux, positif et négatif ; je crois que c’est pas les blessures, je crois que c’est quelque chose d’inhérent à lui cette tendance à la destruction, et que l’humanisation passera par un travail psychologique et par un travail spirituel » (M. 1). ’ ‘ « C’est juste le fondamentalement bon...quand on voit la société, on a le droit de se dire, est-ce vraiment cela ? » (M. 8).

Au demeurant, pour les catholiques pratiquants, c’est le concept de pêché originel qui est remis en cause par PRH. Il existerait donc une profonde dichotomie entre l’anthropologie chrétienne et l’anthropologie PRH, raison pour laquelle l’organisme a reçu de sérieuses mises en garde de la part de l’Eglise catholique. Deux sujets ont également abordé ce point spécifique :

« L’homme fondamentalement bon, là où ça me dérange chez eux c’est que cela fait abstraction, en tout cas dans mon éducation chrétienne, du péché originel » (M. 4).

Enfin, une personne évoque la vision PRH concernant la vocation du couple et ses mystères, qui selon lui serait empreinte de l’idée d’une prédétermination :

« Dans la première session de couple, ça a quelque chose d’abominable quand on y pense que d’évaluer cette dimension de vocation de couple ; dans le fait de dire que la personne qui nous est réservée de toujours à toujours, de toute éternité. Il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas beaucoup de chances de trouver cette personne. Là selon moi, dans l’histoire humaine et dans l’histoire des sociétés c’est faux » (M. 5).

Ce sujet affirme en outre que l’approche globale de PRH est par trop sectaire et totalitaire. Cette conception, dont PRH se défend aujourd’hui, rejoint de façon évidente sa vision de la vocation et de ce qu’il nomme « l’agir essentiel », repère axiologique qui nous semble très prégnant dans l’anthropologie PRH et qu’il nous a semblé opportun d’analyser, tant dans la perception que les utilisateurs en ont, que dans les comportements positifs ou négatifs qu’il peut induire.

Notes
255.

V. en annexe 3, note d’observation Société de rapports de force, société conviviale.