III. Les Effets Généraux De La Pédagogié Et Leurs Conséquences Sur Les Utilisateurs

A. Les Processus De Transformations Psychologiques Et Leur Déclenchement

1. La Croissance

Un chapitre entier du livre La Personne et sa croissance 258 est consacré à ce que PRH nomme  Le phénomène de la croissance. Cette notion tient donc une place fondamentale dans l’anthropologie PRH, et a déjà été évoquée à de nombreuses reprises au cours des analyses précédentes. Avant de nous lancer dans la définition du terme telle que PRH la détermine, nous avons voulu savoir, pour chacun des sujets interrogés, quelles réalités recouvrait ce terme, afin de vérifier si ce concept entendu à PRH dans un sens bien spécifique signifiait sensiblement la même chose pour les personnes.

Nous avons ainsi répertorié six catégories de réponses, aussi diverses que complémentaires, ne dénotant aucune contradiction les unes par rapport aux autres. Un sens cohérent se dessine autour de cette notion, prenant des contours différents pour les personnes interrogées.

Pour huit d’entre elles, le terme de croissance symbolise l’évolution dynamique et permanente de l’être humain vers le déploiement de ses capacités, et vers un bonheur qui se vit en relation à autrui et au monde :

« Je la définirais comme une dynamique d’avancer, un développement personnel qui est sans fin, une émergence de plus en plus grande de qui je suis et de comment je me déploie et du coup une avancée vers plus de bonheur et d’épanouissement » (M. 15). ’ ‘ « Il a signifié quelque chose c’est évident. Il a signifié cette dynamique, cette évolution permanente de l’être humain, ce mouvement de la vie » (M. 4).

En outre, cette évolution dynamique ne trouverait ses conditions de réalisation que dans l’acquisition progressive d’une solidité identitaire, passant par la découverte de soi même et le développement d’une nouvelle maturité affective. Six sujets ont souscrit à cette définition :

« PRH peut participer à la croissance des personnes parce qu’il leur permet de se prendre en charge et de devenir participants de leur propre processus de croissance, par exemple en les aidant à expliciter leurs mécanismes psychologiques, prendre conscience de leur manière de vivre par exemple » (M. 5). ’ ‘ « Les prises de conscience permettent la découverte de cette notion positive de la personne, et donc la dynamique que cela a enclenché » (M. 4).

Un sujet a tenté de réunir en une métaphore fort éloquente les différents niveaux de signification de ce concept, et deux autres ont confirmé la même idée. Nous avons ainsi regroupé les trois réponses en une seule catégorie, en reprenant la définition du premier sujet, autour de la symbolique de l’arbre. En effet, un processus de croissance comporterait trois phases distinctes mais tout aussi nécessaires les unes que les autres. Il s’agirait ainsi de : développer les racines (approfondir son histoire), de renforcer son tronc (se structurer), et de développer le feuillage (porter du fruit) :

« Le plus simple c’est de revenir à la métaphore de l’arbre. Croître c’est développer une racine, c’est renforcer le tronc et développer le feuillage. Ça veut dire continuer à m’approfondir tout en continuant à porter du fruit à l’extérieur, et en se structurant. C’est biologique et mesurable par exemple à l’échelle de la maturité. Plus je vais vers mon autonomie, plus je croîs, plus je porte du fruit autour de moi » (M. 17).

Dans une vision plus universelle, trois sujets ont insisté sur la dimension sociétaire de la croissance, qui vise l’humanisation de l’homme et de la société, et implique un développement accru de la conscience individuelle. L’objectif ultime serait de faire reculer l’inconscience et les souffrances, pour tendre vers une sagesse et une sérénité plus grandes :

« Ça signifie qu’on a jamais fini d’avancer, de progresser, de devenir plus humain, plus juste, plus conscient des choses donc moins inconscient. C’est tout ça que j’appelle la croissance. C’est un état qui n’est pas stable. Ça permet d’avancer et de faire reculer l’inconscience, le malheur, la désorganisation, la désunité dans ma vie » (M. 2). ’ ‘ « C’est la recherche de mon humanité, c’est l’avancée vers plus d’humanisation. Je m’intéresse beaucoup à (...) l’homme préhistorique, comment il a évolué (...) Par exemple l’amour qui naît pour la première fois » (M. 14).

Enfin, les deux dernières catégories de réponses ont été citées une seule fois chacune par nos sujets. Dans le prolongement de la réponse précédente, la première évoque l’importance de réussir à poser des actes en référence avec sa conscience, valorisant le passage à l’action, signe d’une croissance psychologique effective :

« Croissance ça veut dire évoluer (...) ça veut dire décider en référence à soi (...), la personne qui se réfère à un centre intérieur parce qu’elle se connaît, parce qu’elle a l’expérience de ce qui est bon pour elle, de ce qui est sa personnalité » (M. 9).

Une dernière personne considère au demeurant que la croissance consiste à faire grandir les forces de vie en soi, et à leur accorder du crédit, afin de leur donner la possibilité de se développer.

Le processus de croissance est donc entendu de façon plus générale et synthétique, comme ‘« Le mouvement naturel de développement global de la personnalité d’un individu, et plus particulièrement la dynamique d’émergence toujours possible de son être, sa conscientisation, son affirmation et son actualisation (...) La croissance est considérée comme une transformation, une maturation progressive de la personne, un processus de personnalisation, d’autonomisation et d’ouverture, en un mot, un processus d’humanisation et d’insertion sociale. Elle fait passer l’individu d’un état d’instinctivité, d’indifférenciation, de dépendance et d’inconscience à sa dimension d’être humain de plus en plus personnalisé, « en ordre », conscient, capable d’exercer son libre arbitre et de prendre sa vie en main, reliée à autrui et aux réalités qui le transcendent »’ 259.

Cette longue définition présente un intérêt dans la mesure où elle regroupe tous les éléments exposés par nos sujets dans le paragraphe précédent. Il est donc bien admis que la croissance est une notion commune qui renvoie aux mêmes réalités pour tous les sujets, et que notre évaluation de son efficience part de bases solidement établies.

Nous ressentons toutefois combien ces multiples définitions renvoient à l’expérience personnelle de chaque sujet. C’est pourquoi notre seconde interrogation portait sur la manière dont le processus de croissance s’était déclenchée et développée chez nos sujets, au cours de leur formation avec PRH.

Tous bien sûr ont vérifié ce phénomène dans leur expérience, même si sept catégories de réponses ont été données, dénotant la diversité de leur vécu et de leurs appréciations des effets de PRH. Nous retrouvons dans les réponses à cette question bon nombre d’éléments analysés au début de cette partie, au cours de notre évaluation du degré de satisfaction de nos sujets par rapport à l’outil, et aux transformations effectives que celui-ci avait provoqué dans leur vie. C’est ainsi que nous nous attarderons davantage sur les points nouvellement apparus, nous contentant d’évoquer plus brièvement ceux qui furent déjà diversement étudiés auparavant. Cette précaution sera valable également pour les autres thèmes de ce chapitre, préférant l’épure démonstrative à une exhaustivité par trop répétitive.

Pour sept sujets, ce processus de croissance s’est déclenché grâce à la prise de conscience progressive de leur identité, et des éléments positifs et négatifs qui la composent, et ce par l’outil des TPA et de l’analyse de sensations :

« Il y a un moment où dans la session on nous proposait de signer, de ratifier quelque chose de soi même et ce moment reste pour moi un moment d’acceptation, de mise en lumière d’un ensemble de choses de moi même, à la fois dans les aspects bons et moins bons de moi, qui m’a permis de me prendre en charge » (M. 5). ’ ‘ « Dans des prises de conscience très fortes au niveau de mon identité, ça a été un moteur dans ma croissance, un dynamisme très grand a été libéré » (M. 15).

C’est donc d’abord la didactique PRH qui est mise en valeur dans sa capacité réelle d’aider les personnes à enclencher une véritable mise en mouvement intérieure.

Six sujets ont quant à eux évoqué l’importance de la découverte de leur intériorité, et notamment de la dimension de l’être, qui a été fondamentale dans la prise de confiance en eux et dans l’appréhension du sens de leur vie :

« C’est cette prise de conscience de tout ce beau qu’il y avait en moi, c’est dans la contemplation de la beauté, je revois ce dessin (schéma de la personne) avec ces rochers, les choses tangibles sur lesquelles on pouvait s’appuyer, je crois qu’il y a un effet extraordinaire. On peut dire qu’on ne fait que chatouiller le narcissisme, mais dans des périodes de souffrance heureusement qu’on peut travailler là dessus pour retrouver un peu de forces » (M. 18). ’ ‘ « Je suis sortie progressivement de l’inconscience à la conscience de mon existence et du sens de ma vie » (M. 9).

C’est donc plutôt la portée heuristique du schéma de la personne et des référents théoriques qui sont valorisés dans ce type de réponses.

Le développement de la maturité affective et de l’autonomie a été noté par trois sujets comme un autre signe effectif de croissance, rendu possible notamment grâce à l’éclairage des accompagnateurs PRH dans une relation d’aide individuelle :

« Il (le processus de croissance) s’est amorcé par plusieurs choses : par des découvertes dans ma vie ; je mettais le doigt sur des endroits où je dysfonctionnais et où je n’étais absolument pas mâture d’un point de vue affectif, et dont je n’avais absolument pas conscience. Et c’est ma prise de conscience (...) et l’éclairage de personnes compétentes qui m’ont permis de faire reculer cette inconscience et donc de devenir plus conscient de ce que je vis » (M. 2).

Dans le même sens, la croissance a pu s’enclencher pour deux sujets à partir du moment où ils ont perçu les causes psychologiques de leurs blocages relationnels et de leurs souffrances du passé, et qu’ils ont pu amorcer un processus de guérison. La théorie PRH paraît alors s’inverser, puisque dans ces cas c’est d’abord la libération des souffrances, donc un travail thérapeutique, qui a permis à la vie de s’éveiller et aux personnes de commencer à se développer :

« Je me libère, je comprends quelques fils conducteurs, les choses qui me freinent, je comprends certains blocages. Et la croissance je la perçois aujourd’hui plus en regardant en arrière et en sentant ce que je suis » (M. 19).

Les trois autres catégories de réponses, citées chacune une fois, évoquent tour à tour une rencontre spirituelle décisive, qui a redonné sens à l’existence, l’apprentissage progressif d’une hiérarchie des priorités, ouvrant sur l’essentiel, et enfin l’importance des sollicitations de l’environnement et des autres, qui ont rendu possible une réalisation personnelle au travers d’engagements concrets répondant à un désir d’investissement individuel.

Cette dernière réponse sort des schémas PRH habituels, puisque dans ce cas c’est d’abord l’extérieur qui a suscité une mise en mouvement intérieure, et non l’inverse. PRH paraît alors relégué au second plan :

« PRH m’aide bien à voir qu’il y a aussi des choses à l’intérieur qui ont envie de vivre, mais en même temps PRH m’aide très peu sur tout ce qui est de l’engagement, du fait que lorsqu’on se lance dans la vie, dans des actions, il y a des réponses de l’environnement et des circonstances de la vie, des hasards, si on y croit » (M. 20).

Quant aux manifestations principales du déclenchement de cette croissance psychologique, elles offrent des facettes très diverses, que nous nous contenterons de citer.

Tout d’abord, neuf sujets témoignent des changements opérés dans leur vie à partir du démarrage de ce processus de croissance, qu’ils soient physiques, professionnels ou relationnels. Ils se manifestent également par une affirmation plus grande de la personnalité, et plus particulièrement par une prise de parole affirmée, et une confiance plus grande en leurs dons personnels :

« Ce qui a été très manifeste, c’est sur le lieu où je travaillais, je m’impliquais, j’ai pu m’affirmer dans ce que j’étais et dans ce que je croyais, petit à petit, tout en respectant les autres. Mais ne pas tout accepter. J’ai énormément amélioré la qualité de mon travail. Ça m’a coûté des ruptures parce que je m’affirmais plus dans ce que je suis » (M. 8). ’ ‘ « J’ai même changé physiquement. Il y a quinze jours on a fait une rencontre de promo de l’école où j’étais à Lyon, vingt ans après personne ne m’a reconnu (...) Le fait de se sentir bien dans sa peau il y a des répercussions sur la manière de s’habiller, ça forme un tout » (M. 7).

Au demeurant, neuf sujets évoquent aussi une diminution des dysfonctionnements de leurs comportements, possible grâce à une prise de confiance en leur identité profonde, et par l’apprentissage d’une maturité affective (précédemment évoquée), les ouvrant sur une nouvelle manière d’être en relation :

« Sur certains axes de ma vie, je pourrais parler de maturité affective, c’est vraiment un axe où j’ai grandi et où je suis plus mature par rapport à ma femme, mes enfants, aux femmes, aux autres. Dans mes transferts et contre transferts » (M. 2). ’ ‘ « Le changement psychologique que j’ai constaté le plus fortement c’était une nouvelle capacité d’attention dans la relation aux autres (...) Après (...) ça a été une prise d’autorité sur des fonctionnements, par exemple j’avais des fonctionnements imaginatifs très forts (...) Petit à petit j’ai appris à repérer, isoler, à cadrer pleins de choses qui ont fait qu’il a eu de la place à l’intérieur » (M. 11).

La vision optimiste de PRH sur l’être humain aurait en outre aidé particulièrement six personnes à repérer le positif non seulement dans leur vie et dans leur personnalité, mais aussi dans celle d’autrui :

« Le regard sur l’autre. Ce qui m’a beaucoup marqué c’est de voir cette beauté de vie chez les gens avec qui j’étais ( en session ) (...) Donc, de me dire qu’à chaque fois que je croiserai quelqu’un, il y aurait ce trésor qui était là et qui pouvait sortir, ça a révolutionné mon regard » (M. 18). ’ ‘ « C’était plus un mouvement de rééducation : (...) m’obliger à tourner mon regard vers ce qui était positif en moi, moi qui ne voyait que le négatif » (M. 14).

Enfin pour trois sujets le démarrage du processus de croissance a commencé par la prise en compte de toutes les instances de leur personne, et ce plus particulièrement dans les prises de décisions quotidiennes :

« Une plus grande prise en compte de ce que je suis, une prise en compte corporelle par exemple. Il y a pleins de situations où je ne tenais pas compte de mon corps, de ma fatigue, de tout ça » (M. 6).

Dans le même sens, pour trois sujets également, la formation PRH a favorisé la découverte d’une liberté et d’une autonomie plus grandes, donnant la possibilité aux personnes de conduire et de gérer leur vie de façon responsable :

« Ça a aidé à poser des choix qui étaient mes choix, je dirais que c’était un apprentissage de l’exercice de ma responsabilité (...) Par exemple dans ma vie professionnelle (...) dans mes choix de lieux de vie, dans mon couple (...), un certain nombre de choses sont dues à cet apprentissage (...) d’une certaine liberté » (M. 5).

Quant à la dernière réponse, donnée par deux sujets, elle exprime des transformations radicales, dans la mesure où PRH aurait contribué à une restauration profonde de leurs dynamismes fondamentaux. En effet, ces deux sujets ont évoqué l’apparition d’une capacité nouvelle d’apprécier les bonheurs du quotidien, possible dans la mesure où le mal de vivre, les angoisses existentielles ou pathologiques qui les habitaient disparaissent, ou diminuent de façon conséquente. C’est donc à la fois les bienfaits de la croissance qui sont manifestés, mais aussi les effets d’un processus réussi d’évacuation de souffrances :

« Ça me donne un plus grand goût de ma vie. (...) Il y a une présence au temps, aux choses simples, car je suis quelqu’un de simple » (M. 9). ’ ‘ « J’ai mis le doigt sur mon histoire personnelle (...) où là j’ai pleuré ce que je n’avais pas pleuré quand j’avais 4 ans. A partir de ce moment il s’est déblayé toute une piste, et la relation d’aide et les sessions m’ont aidée a m’axer sur mon passé » (M. 13).
Notes
258.

Op. cit. p. 152 à 185.

259.

La Personne et sa croissance, op. cit., p. 153 et 154.