2. La Mise En Ordre

Ce terme très ambiguë produit pourtant du sens pour la quasi unanimité des sujets (dix-neuf). En revanche, il ne recouvre pas les mêmes réalités pour tous, et offre des contradictions intéressantes à analyser.

En effet, pour une dizaine de sujets la mise en ordre équivaut à un repérage des différentes instances de la personne et de leur hiérarchie, préalable nécessaire à la rééducation de leurs fonctionnements respectifs. Le but ultime de cette « réorganisation » est de privilégier l’être afin d’accélérer la croissance :

« Un premier élément de mise en ordre ça a été de prendre conscience que tout en moi ne venait pas des mêmes instances, tout ne parlait pas avec la même voix, et que si je devais tenir compte de tout, je ne devais pas en tenir compte en mettant tout sur le même pied d’égalité (...) PRH m’a fait entrer dans la place des instances respectives. (...) Et puis après, la mise en ordre, c’est beaucoup dans mes fonctionnements » (M. 11). ’ ‘ « J’entends repérage. Mise en ordre au sens où je repère comment ma liberté fonctionne. Je repère comment ma sensibilité fonctionne, je repère différents rouages de la mécanique de la psyché, comment cela fonctionne (...) C’est une mise en ordre dans ma tête » (M. 17). ’ ‘ « Mise en ordre c’est vraiment la priorité à l’être, ce qui ne veut pas dire la tyrannie de l’être (...) Cela veut dire du coup une attention à toute ma personne » (M. 9).

Pour quatre autres sujets, la mise en ordre du psychisme, puisque c’est de cela qu’il s’agit, passe par une bonne maîtrise de la méthode PRH (TPA et analyse de sensations), qui aide la personne à déterminer les priorités de sa vie, et à poser les pas concrets correspondant à cette organisation interne :

« Ça signifie se lire avec une très grande franchise et une très grande analyse de soi, pour pouvoir mettre en ordre les choses avec précision, pouvoir poser les pas qui correspondent à ce dont on a besoin pour évoluer » (M. 6).

Jusque là, point de contradiction apparente entre les deux définitions. Mais la suivante, tout en cernant bien les caractéristiques de ce concept, en pointe déjà les risques éventuels.

C’est ainsi que quatre autres sujets jugent que la mise en ordre à PRH revient à une tentative de classification artificielle de la vie, doublée d’une volonté de perfection et de normalité, qui peut pousser les personnes à s’identifier au modèle d’homme idéal forgé par PRH :

« Il y a quelque chose qui me gêne c’est qu’il faut ramener les choses par rapport à une normalité. Un peu comme un arbre qui pousse de travers et qu’on corrige (...) J’ai en arrière fond une volonté parentale d’avoir un enfant parfait (...)Je sais aujourd’hui que ce qui compte c’est que la vie de l’enfant pousse, mais qu’elle pousse bien droit ça c’est pas bon, les enfants ne connaissent pas leur créativité (...) Moi je me méfierais d’une remise en ordre, j’aurais peur qu’il y ait une volonté de séparer le bon grain et l’ivraie, et de couper l’ivraie un peu trop vite, couper les ailes à des gens » (M. 17). ’ ‘ « Je trouve que ça fait un peu phobique ! (...) Cela me paraît caricatural, évidemment qu’on a besoin de mettre en ordre, autant ses papiers que ce qui se passe dans sa tête, mais pas pour faire des classifications, ce que je n’ai jamais beaucoup apprécié à PRH » (M. 1).

Il est intéressant de remarquer que cette notion d’ordre renvoie d’emblée à une conception normative de l’homme, ce qui n’est pas surprenant si l’on considère que PRH présente les atouts et les limites de toute pédagogie. Dans ce cas précis, les critiques portent sur le caractère très idéal de « la personne en ordre » telle que PRH la définit :

« La personne a acquis une conscience déjà développée de ses richesses d’être et de leurs limites (...) Elle fait face aux turbulences de la vie, même si elle peut en être éprouvée, parfois durement.

Il n’est donc pas étonnant que certaines personnes aient perçu cette image idéale et aient souhaité inconsciemment lui correspondre :

« Il allait avec une tension vers un idéal, donc il y avait forcément mise en ordre (...) C’était trop lié à la projection dans un idéal dans lequel j’étais. Cela n’a pas été bon pour ma croissance » (M. 4).

Enfin, pour quatre autres personnes, la mise en ordre à PRH relève davantage d’une étape préparatoire au travail de guérison, dans la mesure où, grâce au schéma de la personne elle lui permet de sortir de la confusion dans laquelle la plonge la souffrance, afin d’ordonner dans un deuxième temps les priorités de sa vie :

« Tout le questionnement de PRH est un questionnement de mise en ordre. J’appréciais beaucoup ce type de questionnement, toute cette rigueur de cheminement. (...) Il y a plein de choses en soi qu’on vit de façon anarchique (...) Quand on est en souffrance on est dans le tohu-bohu, on ne sait plus distinguer, un petit événement prend des proportions dingues, tout change d’échelle quand on est dans le mal être  » (M. 18).

Enfin, un dernier sujet considère que ‘« mettre en ordre ma vie c’est être cohérent avec les valeurs qui sont les miennes »’ (M. 10).

C’est ainsi que ce concept recouvre à la fois pour les personnes un processus de clarification de leur état psychique, l’apprentissage d’une hiérarchisation de leurs instances (privilégiant l’expression de l’être) et une notion de cohérence éthique, d’adéquation entre leurs actions, leurs valeurs et leurs aspirations.

La mise en ordre s’appuie donc de façon très claire sur le schéma de la personne, et sur la description des fonctionnements et dysfonctionnements de ses différentes instances. Au demeurant, elle se réalise grâce à la méthodologie qu’offre la formation PRH.

Ce « processus » serait donc davantage la conséquence logique et directe d’une bonne utilisation de PRH, comprenant les phénomènes de croissance et de guérison, qu’une étape indépendante.

Cette hypothèse se confirme tout à fait dans les réponses données par nos sujets à la question suivante, qui portait sur les conditions d’apparition de ce processus.

Une bonne majorité des personnes (dix-sept), confirme la réalité de ce processus, et en constate par la suite les différents effets, alors que trois sujets ne l’ont pas vécu.

Les catégories de réponses ont été relativement difficiles à constituer ; nous étions en effet confrontés à une double difficulté : regrouper des réponses aux tonalités identiques ou proches, tout en ne perdant pas les petites informations plus originales que nos sujets évoquaient. Nous pouvons donc légitimement penser que leurs différentes conceptions de ce concept les ont orienté dans de multiples directions. C’est pourquoi, si le processus de croissance et celui de guérison sont très clairs pour tous les sujets, celui de mise en ordre devrait être mieux explicité lors des sessions, afin de donner des repères plus nets aux utilisateurs. La description fouillée qui est en proposée dans le livre La Personne et sa croissance devrait permettre cette explicitation.

Pour sept sujets, la mise en ordre de leur personnalité a été le fruit de le prise de conscience des incohérences de leur vie, les invitant à donner la priorité à leur être ; et à ordonner leur psychisme :

« Je trouvais des incohérences entre les priorités de ma vie que je sentais en moi et les priorités effectives que je donnais à ces choses dans ma vie. Quand je suis devant le constat de cette incohérence, la remise en ordre s’impose. Sinon je ne suis pas fidèle à moi » (M. 15). ’ ‘ « Par un désir de vivre plus harmonieusement, plus légèrement, avec plus de vérité » (M. 8).

Quatre autres sujets ont en outre précisé que cette mise en ordre était légèrement postérieure à la mise en route de la croissance, dans la mesure où l’identité personnelle devait être suffisamment solide pour que la personne choisisse consciemment d’améliorer ses relations et de mettre en ordre les priorités de leur vie :

« Il y a eu une émergence...un moment où je me suis sentie suffisamment solide pour avancer dans ma liberté intérieure ; du coup me désaliéner de ce qui m’entravait » (M. 15). ’ ‘ « La mise en ordre n’est pas venue tout de suite (...) elle a été plutôt postérieure, (je te parlais de déblayage), il a fallu le temps » (M. 19). ’ ‘ « Il faut d’abord une certaine confiance personnelle » (M. 8).

Trois personnes constatent que cette mise en ordre, effective, a été plutôt la conséquence de processus de croissance et de guérison, et qu’elle s’est donc opérée progressivement, presque à leur insu :

« Ça passe inévitablement par des phases de libération et de guérison » (M. 15). ’ ‘ « C’est quelque chose qui se fait un peu à l’insu de moi, je n’ai pas à travailler de moi-même volontairement à la mise en ordre (...) C’est pas par là que j’ai commencé, c’est le résultat, la conséquence du travail » (M. 14).

Quatre sujets ont observé en revanche que ce processus s’était mis en place conjointement à celui de croissance :

« Tout s’est fait en même temps, il y a eu une mise en route globale » (M. 7). ’ ‘ « En même temps, mais sans que ce soit discerné, avec une impression de fouillis » (M. 13).

Deux autres ont à nouveau fait remarquer que ce processus se manifestait grâce au questionnement rigoureux des TPA, au fil des sessions et de la relation d’aide ; il permettrait de relativiser les difficultés de la vie en portant le regard sur les éléments positifs de l’existence :

« C’est important, j’ai l’impression que cela a été le fruit de plusieurs rencontres, sessions. Que la lumière ne s’est pas faite comme ça brutalement d’un coup de baguette magique, ça a été très progressif au fil des sessions » (M. 3).

Enfin, une personne évoque le démarrage de la FPM (Formation Personnelle Méthodique263) , qui a été le principal élément déclencheur de la mise en ordre.

Quant aux manifestations concrètes de ce processus, elles sont d’ordre très divers, mais nous semblent globalement rejoindre les effets généraux de la formation.

Là encore, nous nous contenterons de citer les catégories de réponses trouvées, et d’étudier plus en détails les éléments encore inédits évoqués par les sujets.

Pour quatre d’entre eux, la mise en ordre de leur psychisme et de leur vie les a forcés à prendre une responsabilité accrue dans tous les secteurs de leur vie, et les a invité à vivre davantage en cohérence par rapport à eux-mêmes, afin de progresser dans le sens de leur croissance :

« Faire le tri entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas, quelles sont mes priorités, me laisser vivre ce qui va émerger, la fidélité à mes intuitions, c’est très fort quand on l’a expérimenté au quotidien » (M. 7). ’ ‘ « La mise en application de mes rôles dans la société avec beaucoup de précision, reconnaissance de mon rôle de mari, de père, de chef d’entreprise. Il y a eu une très grosse implication dans ma vie de tous les jours » (M. 6).

Quatre autres en revanche ont observé une disparition d’angoisses existentielles, et d’un sentiment de confusion interne :

« La disparition de mes grosses angoisses matinales (...) de cet espèce de mal de vivre, d’envie de mourir » (M. 16).

Trois sujets réitèrent une remarque déjà évoquée auparavant, en rapport à la force d’organisation du schéma de la personne, qui ouvre à la compréhension de ses actes et fonctionnements personnels, mais aussi de ceux d’autrui. Nous verrons par la suite que la tentative d’unification de la personne que vise PRH est fondée sur la force symbolique du schéma. C’est dire si les frontières sont étroites entres ces deux notions :

« Je comprends mieux les fonctionnements de la personne, mes propres fonctionnements. Du coup je comprends mieux mes comportements. (...) Ça m’a aidé à clarifier les choses en moi, c’est vrai. Les différentes instances de la personne par exemple, moi ça m’a aidé à comprendre les choses, les actes, nos manières de vivre, ma manière de vivre » (M. 3).

Deux personnes constatent quant à elles un apaisement de leur sensibilité, conséquence de leur choix de privilégier l’être dans leur vie quotidienne :

« J’ai un fonctionnement sensible. Il y a une remise en ordre importante que je constate vraiment aujourd’hui, c’est que la priorité est vraiment à l’être (...) J’ai aujourd’hui une sensibilité plus en lien avec l’être et non une sensibilité hypersensible affective extérieure » (M. 14).

Deux autres également notent l’apparition d’une nouvelle capacité à prendre du recul dans leur vie professionnelle, leur permettant d’analyser leur vécu par rapport à une situation, et de privilégier les personnes plutôt que les structures :

« J’arrive à faire ma part avant d’aller voler dans les plumes des autres. J’organise mieux mon temps, je m’encombre pas de choses inutiles (...) Professionnel aussi puisque j’ai changé deux fois de travail depuis, avec une progression dans le travail qui m’a fait donner plus d’importance aux personnes qu’aux structures » (M. 8). ’ ‘ « Rien qu’au boulot, se poser, regarder dans tout ça ce qui est important pour toi. C’est prendre du temps pour être bien à l’intérieur» (M. 7).

Enfin, les cinq catégories suivantes, citées chacune une seule fois, évoquent tour à tour une capacité nouvelle d’apprécier le quotidien sans fuir dans les projections du futur, une amélioration des relations aux proches grâce à une libération des aliénations, une attention accrue à tous les aspects de sa personne, et une nouvelle possibilité de vivre en accord avec ses valeurs.

Une personne seulement relève une conséquence négative de cette mise en ordre :

« Ce souci d’aller vers un idéal, et cette mise en ordre étaient liés à une tension (...) Cela enlevait de la spontanéité à ma vie » (M. 4).

Les trois sujets qui disent n’avoir pas entrepris une telle mise en ordre prétendent quant à eux ne pas avoir ressenti une quelconque impression de manque : l’un affirme que le travail de psychanalyse amorcé par ailleurs le satisfaisait tout à fait alors que les deux autres ont préféré privilégier le processus de croissance.

Notes
262.

Ibid., p. 219, 220, 221.

263.

V. explication de la FPM, supra, chapitre d’introduction aux différents éléments de la formation PRH.