3. La Guérison

Nous avons répertorié cinq catégories de définitions, toutes cohérentes les unes par rapport aux autres, concernant cette notion de guérison.

Pour onze sujets, elle renvoie à un processus de soin, de cicatrisation de blessures psychologiques du passé. Ce processus comporterait plusieurs phases : tout d’abord la verbalisation des souffrances du passé et la prise de conscience de leurs origines ; ensuite une phase d’évacuation progressive de ces blessures, passant nécessairement par la reviviscence des émotions qu’elles contiennent. Enfin, une phase de rééducation des comportements liés à ces souffrances, souvent assimilés à des dysfonctionnements.

Un processus réussi de « guérison » entraînerait une appréhension paisible et mesurée des événements douloureux ayant trait au passé, et une acceptation réaliste de ceux-ci, dénuée des sentiments de révolte ou de rejet souvent éprouvés auparavant à leur égard.

Nous avons certes réuni en une définition complète différents éléments évoqués par nos sujets, tous orientés dans le même sens :

« Je crois qu’il y a différentes manières de guérir. Je dirais entre autres par le biais de la verbalisation déjà c’est un moyen de remettre les choses au clair, par le biais de la réexpérimentation, par le biais d’un retour sur une douleur passée » (M. 17). ’ ‘ « C’est d’une part la prise de conscience, puis la libération d’événements ou de souffrances que j’avais enfouis, qui resurgissent à la conscience et qui du coup m’invite à un travail de libération de toxines enfouies » M. 9). ’ ‘ « Une guérison c’est une sorte de chemin psychologique, enfin, c’est la capacité quand on a été blessé par la vie, par des événements, par des personnes, de retrouver la paix là où il y a douleur, rancoeur. C’est pas une paix liée à l’oubli (...) C’est la conscience de cet événement (...) qui produit de la paix au lieu de produire de la révolte et de la haine, voire du renfermement » (M. 10).

En revanche quatre personnes trouvent que ce terme de guérison est porteur d’ambiguïtés, et potentiellement d’illusions ; ils le réfutent donc, refusant ainsi de l’envisager pour eux mêmes. Leur expérience les conduit plutôt à considérer cette étape spécifique comme un processus d’intégration et de dépassement d’un passé douloureux, afin d’apprendre à gérer celui-ci :

« Il y a sortie de la souffrance (...) Ce qu’on ne dit pas c’est qu’on peut y replonger, mais en étant plus armés, donc on en ressort plus vite (...) Ça va aller en diminuant mais il peut y avoir un autre choc et ça va revenir. C’est aussi ça, mais quand on la force d’accueillir mieux la chose, elle finit par ne plus avoir d’intérêt(...). Mais je ne crois pas qu’on doit utiliser le mot guérison. Pour le coup il peut être illusionnant, il peut faire croire aux gens qu’ils vont se débarrasser complètement d’un problème, en fait on s’en débarrasse pas vraiment, on apprend à vivre avec pour qu’il prenne moins d’importance dans la vie » (M. 18). ’ ‘ « La première étape c’est vraiment sortir la tête hors de l’eau. Tout ce qui nous faisait souffrir à un point assez insupportable est toujours là, parce que ça ne disparaît jamais, mais ne nous empêche pas de vivre à peu près bien. La seconde étape (...), c’est d’être serein par rapport à tout ça » (M. 3).

Il semble également que si deux autres sujets valident la première définition donnée, évoquant clairement les prise de conscience et l’acceptation progressive des souffrances du passé, et l’auto-rééducation qu’elle implique, la phase de reviviscence soit occultée par eux . Nous supposons donc que leur expérience personnelle ne les a pas conduit à une telle étape :

« Accepter, accueillir la souffrance qui existe, la reconnaître comme une souffrance, la considérer, la nomme, la circonscrire, regarder un peu son histoire, son origine. Pour moi ça contribue à en sortir (...). Pour moi là encore la conscience compte beaucoup et la rééducation (...) Sortir de son pouvoir » (M. 12). ’ ‘ « Je ne pense pas que ce terme soit une fin en soi et qu’on soit définitivement guéri de quelque chose. Je vis plutôt la guérison comme une convalescence permanente, une fois que j’ai découvert un certain nombre de dysfonctionnements, que j’ai découvert par l’analyse ou autre chose là où ça faisait mal (...) Je vis plutôt la guérison comme une auto-rééducation pour le moment » (M. 7).

Enfin, de façon encore plus simple, la guérison est envisagée par deux sujets non comme une évacuation des souffrances, mais bien plus comme une saine gestion de ces dernières :

« Je dirais intégrer et dépasser ce qui était douloureux » (M. 8). ’ ‘ « Quelque chose d’éducationnel par rapport aux découvertes que je faisais, comment les gérer plus que comment les guérir. PRH propose plutôt une méthode de gestion qu’une méthode de guérison » (M. 5).

Une personne seulement avoue que ce terme est totalement vide de sens, car ne renvoyant à aucune expérience vécue.

Le degré d’expérimentation de ce processus est ainsi différent selon les sujets, même si une majorité confirme la définition qu’en donne PRH :

« Dans un cheminement de croissance on entend par guérison le phénomène de restauration progressive de la capacité de la personne à exister dans les domaines où l’actualisation de ses potentialités était entravée du fait de la présence de blessures. (...) Le processus de guérison se déroule en plusieurs étapes qui peuvent s’échelonner sur plusieurs années selon la nature des blessures et les conditions réunies (...)

Il nous a alors paru pertinent d’interroger les sujets sur la bonne santé de leur état psychique avant le démarrage de leur formation PRH.

Neuf d’entre eux estiment qu’ils étaient plus ou moins sujets à des troubles psychologiques avant de commencer PRH, alors que les onze autres répondent par la négative à cette question.

Ainsi, trois personnes considèrent que l’enfermement dans le mutisme et la solitude qui étaient le leur pouvait être assimilé à une forme de trouble psychologique. Deux autres en revanche reconnaissent avoir été soumis à de réelles troubles de l’alimentation (anorexie, boulimie).

Deux sujets également jugent que le phénomène de dépendance affective qu’ils vivaient vis à vis des autres étaient d’ordre pathologique, tandis qu’une personne évoque des angoisses chroniques de mort et d’étouffement, suffisamment sérieuses pour être considérées comme des troubles psychologiques.

Enfin, deux personnes reconnaissent avoir ce qu’elles nomment des ‘« troubles psychologiques normaux »’ :

« Je crois que les troubles psychologiques font partie de la nature humaine, le tout c’est de ne pas en avoir trop. On est tous un peu maniaco-dépressif, sado-maso ! » (M. 17).

De façon surprenante, quatre sujets seulement avaient consulté un spécialiste pour tenter de soigner les troubles, avant d’amorcer leur formation PRH.

C’est pourquoi nous ne devons pas nous étonner de constater par la suite que seize sujets ont vécu à PRH, soit totalement, soit partiellement, un processus de guérison de leur blessures psychologiques.

Sur ces seize sujets, quinze affirment ainsi que cette étape de guérison a été, sinon fondamentale, du moins très importante dans leur évolution psychologique. Il est ainsi confirmé par une grande majorité que PRH comporte des épisodes thérapeutiques, et que ceux-là ne peuvent être minimisés puisqu’ils produisent des effets véritables.

C’est pourquoi nous avons souhaité comprendre comment s’était déclenché ce processus de guérison, et quelles devaient être ses conditions d’apparition.

Pour six personnes, ce processus s’est déclenché grâce à la prise de conscience des RDR (réactions disproportionnées et répétitives), et par le travail d’analyse et de compréhension de leur origine, précédant la reviviscence et l’évacuation des sentiments qu’elles contiennent :

« ...le fait de retoucher des sensations très fortes et de revivre les choses dans l’instant présent, des choses du passé qui sont là tout à coup : « paf, j’ai cinq ans et je suis assis par terre et voilà ce qui se passe et voilà ce que ça te fait » (M. 11). ’ ‘ « La prise de conscience qu’à certains moments je vivais des réactions qui me mettaient dans un état de malaise très profond, que je m’expliquais mal. A partir des interrogations sur la disproportion de mes réactions, j’ai été amené à travailler sur mon passé. Ça pouvait être du mutisme, des réactions psychosomatiques, d’importants mouvements de fermeture relationnelle » (M. 15).

Dans le même sens, six personnes évoquent l’importance de l’expression écrite ou orale de souffrances enfouies, qui, grâce à la méthode des TPA et de la relation d’aide, a amorcé ce processus de guérison :

« PRH m’a aidé à diagnostiquer un certain nombre de maux, et à y mettre des mots aussi... et m’aider à regarder ce que je pouvais en faire » (M. 5). ’ ‘ « Parler sur mon passé, ça a été important, comme de sortir d’un complexe de milieu, d’éducation. En parlant, (ça a permis) de dégonfler des ballons de baudruche. Parler m’a permis de me libérer » (M. 4).

Trois sujets seulement considèrent que le transfert maternel fait sur une formatrice a été primordiale dans cette phase de retour sur le passé, et leur a permis de la traverser :

« Ce qui m’a permis de commencer à rentrer dans une étape de guérison, je crois que c’est de commencer à croire profondément en l’amour de mon accompagnatrice, qu’elle m’aimait comme j’étais (...), commencer à pouvoir dire à mon accompagnatrice les mots d’affection que j’avais jamais pu dire à ma mère » (M. 14). ’ ‘ « A partir du transfert maternel que j’ai fait sur la formatrice avec qui j’ai travaillé au départ » (M. 15).

Enfin, trois autres évoquent tour à tour différents éléments de la didactique PRH, qui ont à leur façon tous participé au déclenchement de ce processus de guérison (mini-outils de la FPM, sessions, relation d’aide, analyse de sensations), tandis que deux autres insistent sur l’importance de la progression faite au cours des sessions PRH, en fonction des différents thèmes abordés.

Notre interrogation suivante portait sur les différentes étapes de ce processus.

Nous ne nous attarderons pas sur les réponses données qui ne font que confirmer les précédentes. En effet, onze sujets observent que toute guérison passe inévitablement par une prise de conscience des blessures du passé, souvent grâce à l’analyse de sensations, puis par une phase d’expression de cette souffrance au niveau corporel pour enfin aboutir à une sensation d’apaisement et à une disparition progressive des réactions disproportionnées et répétitives ; suit alors toujours une phase primordiale, celle de la rééducation des comportements.

Un sujet témoigne ainsi avoir guéri d’une blessure fondamentale grâce à PRH. Nous la livrons dans son intégralité, car elle nous semble illustrer parfaitement les diverses étapes de ce processus :

« Un jour j’ai noté une forte violence par rapport à ma mère, et dans un entretien c’était vraiment comme si sortait de mon corps une agressivité, les coups reçus étant enfant. (...) pendant une demi heure je n’avais que des symptômes physiques, après sont venus les mots (...) Je me souviens très bien, j’étais allongé sur mon lit et j’avais une haine qui sortait, j’avais des bourrelets qui sortaient de mon corps (...)la première étape a été celle là, permettre que ça sorte. Par chance j’étais avec cet homme (formateur PRH), qui a reçu cela et qui m’a aidé là dedans, et ensuite ça a été un long processus de descente dans les sensations (...) Cette régression dans mon enfance est passée par des moments de pleurs, des moments à mettre des mots, (...) jusqu'à ce que ce désir de mort même s’exprime, jusqu'à redescendre jusqu'à ma naissance. (...) Il a fallu deux ou trois ans pour que je puisse en parler avec ma mère » (M. 10).

Enfin, deux personnes insistent sur l’importance de la relation d’aide, envisagée comme une étape fondamentale dans le processus de guérison, la personne devant être accompagnée de très près lorsqu’elle vit une telle expérience. Dans ce cadre là, l’évolution se fait parfois très progressivement au fil des entretiens, et ne correspond pas forcément à la description précédente. Pourtant de véritables changements sont constatés. Même si la majorité de nos sujets semble avoir expérimenté les différentes phase présentées par PRH, il existe néanmoins des manières plus douces et plus indirectes de rentrer dans les souffrances du passé, d’en comprendre les tenants et les aboutissants et de s’en dégager.

Quant aux manifestations principales de ce processus de guérison, certaines sont identiques aux effets notés pour le processus de croissance, et d’autres expriment plus directement les conséquences d’un travail efficace de libération par rapport à des souffrances et des aliénations.

Sept sujets évoquent le nouvel équilibre acquis dans leur vie quotidienne, comme une des conséquences majeures d’un processus réussi de guérison, toujours compris à PRH comme une étape nécessaire dans le phénomène de croissance de la personne. Cet équilibre se manifeste notamment par une positionnement plus libre dans les relations personnelles et professionnelles, y compris dans les relations les plus intimes :

« La prise de parole, un équilibre de vie, (...) m’émerveiller du quotidien, de la famille, de mes enfants » (M. 13). ’ ‘ « Un meilleur bien être relationnel évident, je suis devenue plus sociable » (M. 4). ’ ‘ « La disproportion des réactions que je vivais dans certaines situations a disparu (...). Aujourd’hui je peux être en relation de manière tout à fait paisible et sereine, je ne suis plus du tout agressée de la même façon. Je pense aussi à la manière d’être dans mon couple. J’avais beaucoup de besoins non satisfaits que j’exprimais plus ou moins implicitement à mon mari et qui en fait relevaient de ma relation à mon père. Aujourd’hui je n’ai plus du tout ce type d’expression de manque affectif » (M. 15).

En outre, la libération de certaines souffrances provoque également à plus de confiance en soi même et en la vie (quatre sujets confirment cette idée). En effet, la disparitions de symptômes névrotiques tels qu’un besoin excessif de reconnaissance vis à vis d’autrui, une peur de la relation, un mutisme....ouvrent nécessairement à la relation. Deux des quatre sujets qui ont souscrit à cette explication expliquent ainsi :

« C’est la non confiance qui disparaît, tu comptes pour quelqu’un, tu te mets à compter à tes propres yeux, et puis tu marches, et si tu te plantes, c’est pas aussi grave qu’avant » (M. 9). ’ ‘ « Je constate à quel point j’ai guéri de certains comportements (...) : cette recherche permanente de la confirmation, de l’amour de l’autre (...)Aujourd’hui je crois que je suis vraiment guérie, depuis deux ou trois mois, c’est fini » (M. 14).

Enfin, une personne évoque plus spécifiquement la disparition d’un état dépressif, et l’expression conjointe de forces de vie inégalée.

Les cinq personnes qui n’ont pas expérimenté à PRH ce processus de guérison, affirment toutes que cela ne leur a pas manqué. Deux d’entre elles le vivaient par ailleurs dans une travail de psychanalyse et de psychothérapie, tandis que trois autres ignorent pourquoi cette étape leur a échappé, mais ne s’en plaignent pas. Une seule prétend au demeurant ne pas avoir eu une obsession de la guérison.

De même, trois sujets considèrent que l’évolution personnelle de certains se fait lentement et progressivement, non par des retournements psychologiques spectaculaires, mais par des prises de conscience et des changements progressifs. deux autres rappellent aussi que l’objectif premier de PRH est le développement personnel, non la guérison, alors qu’un autre affirme avec sérénité qu’il ne peut manquer de ce qu’il ne connaît pas !

Notes
264.

La Personne et sa croissance, op. cit., p. 197 et 198.