A. Personne Et Individu

Précisons que si MARITAIN, héritier du thomisme, peut être qualifié de philosophe de l’être, c’est à dire ‘« un philosophe à l’écoute de tout ce qui est, dans sa richesse et sa diversité, ce qu’il suppose qu’il est un philosophe réaliste »’ 287, MOUNIER en revanche, ‘« situe fraternellement sa propre philosophie dans la famille existentielle »’ 288, affirmant même que la personne est ‘« le mode proprement humain de l’existence »’ 289. C’est ainsi que nous emprunterons certaines analyses plus métaphysiques au premier, tandis que le second nous introduira d’avantage dans une approche dynamique de l’homme, proche de ROCHAIS en de nombreux aspects.

Nous avons été séduit par le souci constant de MARITAIN de rompre avec le dualisme cartésien ; postulant quant à lui l’unité fondamentale de l’être humain, le philosophe part du principe que l’âme et le corps, selon ses propres termes, sont indissociables :

« L’homme cependant est chair et esprit, non pas liés par un fil, mais unis en substance. Que les choses humaines cessent d’être à la mesure du composé humain, les unes demandant leur nombre aux énergies de la matière, les autres aux exigences d’une spiritualité désincarnée, c’est pour l’homme un écartèlement métaphysique épouvantable. On peut croire que la figure de ce monde passera le jour où cette élongation sera devenue telle que notre coeur éclatera » 290 .

L’homme ‘« cet animal doué de raison »’ selon l’expression d’Aristote exprime l’union indéfectible de ce que MARITAIN nomme l’âme et ROCHAIS l’être, (mais qui l’un comme l’autre tendent à exprimer la puissance spirituelle de l’homme), et du corps, manifestation des déterminismes physiologiques de ce dernier.

Cette conception unitive de la personne renvoie aux interactions constantes, dont parle le système explicatif PRH, entre les différentes instances de la personne ; en effet la topologie élaborée par ROCHAIS avait pour but de ‘« distinguer pour unir’ 291», et non de séparer artificiellement des réalités unies intrinsèquement.

Cependant MARITAIN reconnaît lui aussi l’importance de décrire deux formes possibles de présence à soi et au monde, de valeur inégale.

Tout comme André ROCHAIS insiste sur l’importance de développer une attitude congruente, favorisant les impératifs de l’être et répondant au discernement de la conscience, le philosophe fait la distinction entre individu et personne, individualité et personnalité.

En effet, l’homme est considéré comme individu en tant qu’il est corps matériel, partie d’un tout, et comme personne en tant qu’être capable de penser et d’agir par lui même, porté par une vie spirituelle :

« En tant qu’individus, nous ne sommes qu’un fragment de matière, une partie de cet univers, distincte sans doute, mais une partie, un point de cet immense réseau de forces et d’influence, physiques et cosmiques, végétatives et animales, ethniques, ataviques, héréditaires, économiques et historiques, dont nous subissons les lois. En tant qu’individus, nous sommes soumis aux astres. En tant que personne, nous les dominons » 292 .

L’homme est à la fois individu et personne et doit être respecté dans ces deux composantes de sa nature. Il est en effet tout entier individu en raison de ce qui lui vient du corps, de la sensibilité et de sa conscience socialisée, et tout entier personne en raison de ce qui lui vient de l’esprit. Cette distinction à caractère métaphysique s’explique par le fait que, à l’instar du fondateur de PRH, MARITAIN a d’abord tenu à fonder sa philosophie sur des principes établis, avant de la mettre à l’épreuve dans une philosophie pratique. Il s’autorise donc à définir la personne comme une volonté libre, intelligente et autonome, capable d’opérer des choix en vertu de son seul libre arbitre, et des impératifs de sa conscience. En cela il rejoint la conception de ROCHAIS, qui caractérise l’être humain par sa disposition fondamentale à vouloir le Bien, et à suivre sa conscience.

La personne a ‘« une dignité absolue parce qu’elle est en relation directe avec le royaume de l’être, de la vérité, de la bonté, de la beauté et avec Dieu »’ 293. Elle est en outre ‘« douée d’une intelligence qui lui permet d’accueillir l’être, et d’une volonté par laquelle elle peut se donner librement aux êtres »’ 294.

Notes
287.

J.L. allard, L’éducation à la liberté, la pédagogie de Jacques MARITAIN, Ed. de l’Université d’Ottawa, 1984, p. 19.

288.

J. Conilh, Emmanuel MOUNIER, Paris, P. U. F, 1966, p. 43 .

289.

J. conilh, op. cit., p. 44.

290.

J. MARITAIN, Distinguer pour unir ou les degrés du savoir, Paris, Desclée de Brouwer, 1963, p. 31.

291.

Distinguer pour unir, titre d’un ouvrage de MARITAIN, op. cit., Oeuvres complètes.

292.

J. MARITAIN, Trois réformateurs, Paris, Plon, 1925, p. 29.

293.

J. MARITAIN, P our une philosophie de l’éducation, op. cit. p. 24.

294.

J. L. allard, L’éducation à la liberté, op. cit. p. 38.