B. L’éminente Dignité De La Personne Humaine

En référence à cette dimension profondément noble et positive de l’homme, qui fait de lui un être sensible aux valeurs universelles, MARITAIN postule la dignité de la personne humaine et sa légitime aspiration à la liberté ; nous verrons par la suite que si celle-ci est naturelle, elle n’est pas acquise d’emblée et se conquiert au prix d’un travail intérieur, médiatisé dans une relation éducatrice.

Le philosophe néothomiste, et néanmoins proche du personnalisme qu’était Jacques MARITAIN exprime sa foi en une dimension transcendante et supra-temporelle inhérente à la personne humaine. MARITAIN évoque ainsi la « profondeur » de l’être de l’homme ; il préconise, de façon moins didactique que PRH ne le fait mais pour atteindre des finalités identiques, de traverser les couches superficielles de l’être humain, nommées individualité, corps, animalité par l’auteur, (et que nous pouvons assimiler au corps et à la sensibilité à PRH) afin de percevoir l’identité insondable de la personne.

Le philosophe met l’accent sur l’importance pour l’homme de dépasser l’approche extérieure de l’enveloppe corporelle pour accéder au mystère d’autrui, tout en respectant son éminente dignité et sa liberté absolue.

A cette condition uniquement l’homme peut prétendre éduquer son semblable. S’il ne la remplit pas, surgissent presque inévitablement les risques de captation et de prise de pouvoir sur autrui. L’éducateur dans cette situation n’est alors plus qu’un fabriquant d’humains à sa ressemblance, niés dans l’émergence de leur unicité. Nous pensons ici à la conception cartésienne de l’homme comme maître et possesseur de la nature, et au prométhéisme qu’elle peut entraîner. L’homme doué de pouvoir s’empare de la nature pour la parfaire à son image. Mais de quelle nature s’agit-il ? Faut-il englober dans cette vision la nature humaine qui deviendrait alors matière et corps à faire exister en dépit des désirs de la personne ainsi asservie ?

Il nous faut toutefois remarquer que si la conception de MARITAIN est en accord avec le regard porté par PRH sur la dimension la plus profonde de l’être humain, le philosophe envisage immédiatement cette réalité dans son interaction avec autrui, et non dans une perspective individuelle. A PRH la question est prise sous un autre angle. On part d’abord de la personne et de ses besoins pour en déduire une éthique des rapports humains. Toutefois, les attitudes régulatrices du pouvoir du formateur sur la personne s’apparentent à celles décrites par MARITAIN.

En effet, l’éducation dans une philosophie personnaliste consiste à apprendre à l’homme à « se faire ». Il ne s’agit pas de prendre la place d’un dieu tout puissant, ou il faudrait revenir au texte même de la genèse dans la bible, dans lequel le dieu judéo-chrétien est présenté comme un souffle, qui par la nomination des éléments crée un homme à sa ressemblance. Une fois celui-ci lancé en existence, le créateur laisse l’homme seul détenteur du pouvoir d’agir et de se mouvoir dans le jardin d’Eden. L’éducateur ou le formateur, à l’image de ce Dieu, doivent apprendre à devenir poètes (au sens étymologique du terme) avec ceux qui leur sont confiés, pour laisser la place au jaillissement de l’être qu’ils appellent à la vie.

Chaque personne est un univers à elle seule, qu’il importe de respecter ; c’est pour éviter les pièges précédemment explicités que MARITAIN insiste sur cette distinction ‘« métaphysique entre individualité et personnalité »’ 295, tout comme André ROCHAIS a distingué une hiérarchie de valeur entre l’être, le moi-je et la sensibilité, (donnant la primauté à l’être) et qu’il a repéré trois types de conscience (la conscience socialisée, la conscience cérébrale et la conscience profonde), la dernière seule exprimant la liberté fondamentale de l’homme.

C’est donc en lui étant fidèle, et en apprenant à la différencier des autres « consciences » présentes en lui, que l’homme se « personnalisera » de plus en plus, sortant de son état d’individu attaché à des valeurs extérieures à lui même ; il sera alors en capacité de se désaliéner de ses besoins (physiologiques, affectifs...) et des diverses influences qui entravent l’émergence de sa liberté. Cela ne signifie pas qu’il doive faire abstraction de ces forces internes ou externes, mais qu’il les rassemble autour d’un axe personnel qui va dans le sens de sa personnalité et des impératifs de sa conscience profonde.

Après avoir établi les fondements métaphysiques de cette notion de Personne, qui nous l’avons observé s’accorde à la vision de PRH, nous tenons à expliciter son caractère dynamique, ouvert à la relation aux autres et à un « Autre ».

Notes
295.

J. MARITAIN, L a personne et le bien commun, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 9.