II. La Dimension Vocationnelle De La Personne

A. L’appel

Comme nous l’indique l’étymologie latine du mot « vocation », (vocare : appeler) celle-ci se suscite, se révèle par un « appel », qu’il soit intime à la personne, qu’il vienne d’un autre, d’une sollicitation extérieure ou soit d’ordre spirituel. Il serait faux de réduire la vocation à la recherche d’un axe d’action, professionnel ou non, en accord avec les dispositions et les inclinaisons naturelles d’une personne.

La vocation selon BLONDEL s’apparente à une sorte de « lumière intérieure », alors que pour MOUNIER son émergence est la conséquence de l’unification de la personne humaine qui ‘« ressemble plus à un appel silencieux, dans une langue que notre vie se passerait à traduire. (...) Il a son sens plein pour le chrétien qui croit à l’appel enveloppant d’une Personne. (...) Il est évident qu’elle n’a rien à voir avec les pseudo « vocations » professionnelles, qui suivent trop souvent la pente du tempérament ou du milieu »’ 314.

Ce caractère ouvert et infini de la vocation, qui dépasse en profondeur la signification du concept « d’agir essentiel » à PRH, nous permet ici de revenir sur les limites anthropologiques de la conception trop close de la vocation à PRH, nommée aussi « Mission d’être ». Il est étonnant qu’André ROCHAIS, lui même prêtre, ait à ce point omis, dans sa description de l’émergence de l’agir essentiel, d’évoquer la vocation spirituelle. En effet, la notion même d’agir a une connotation concrète et pratique très marquée, qu’il serait nécessaire d’ouvrir à des champs de significations plus larges. La contemplation, la prière, la réflexion, attitudes apparemment inactives, peuvent constituer l’essentiel d’une vocation, et suffire à remplir une vie en lui donnant un surcroît de sens. Comme le dit MOUNIER :

« Ce n’est pas une unification systématique et abstraite, c’est la découverte progressive d’un principe spirituel de vie, qui ne réduit pas ce qu’il intègre, mais le sauve, l’accomplit en le recréant de l’intérieur. Ce principe vivant et créateur est ce que nous appelons en chaque personne sa vocation. (...) Il suit que le but de l’éducation n’est pas de tailler l’enfant pour une fonction ou de le mouler à quelque conformisme, mais de le mûrir et de l’armer, parfois le désarmer, le mieux possible pour la découverte de cette vocation qui est son être même et le centre de ralliement de ses responsabilités d’homme » 315 .

Pourtant, quand André ROCHAIS exprime le caractère quasi transcendant de la « Mission d’être », qui n’est pas seulement ‘« un aspect de l’être (...) ni de l’ambition, ni de la simple vitalité ni un agir dans lequel on serait engagé spontanément et pour lequel on éprouve le plus d’attraits sensibles»’ 316, mais bien plutôt ‘« un agir qui s’impose de l’intérieur (...) où on se sent ramassé dans l’axe central de cette voie, et le sens de sa vie s’éclaire encore d’avantage »’ 317, nous percevons des concordances profondes entre les philosophes personnalistes et la pensée éducative de PRH.

Nous pouvons ainsi distinguer deux niveaux de compréhension de ce concept de vocation à PRH. D’une part André ROCHAIS rejoint la dimension transcendante de cette dernière en évoquant la nature mystérieuse de cet appel plus profond que les inclinaisons spontanées, et dans le même mouvement il exprime que l’agir essentiel ‘« fait partie du donné génétique de la personne »’.

Il pourrait y avoir contradiction à affirmer que ‘« l’être n’est pas un amas de potentialités mais un ensemble organisé, orienté, de naissance, à un certain type d’agir dans lequel la personne pourra prendre toute son ampleur et donner toute sa mesure »’ 318, tout en reconnaissant que ‘« la liberté fait partie de mon donné génétique. Mais cette liberté se vit à l’intérieur de mon donné génétique. Donc, coexistent ensemble : liberté et programmation génétique (...) j’ai la possibilité de m’engager dans cet agir ou de m’en écarter. Programmé, je ne suis par pour autant fatalisé, sinon je serais un robot et non pas une personne humaine libre »’ 319.

Il reste que ce postulat semble considérablement limiter la possibilité pour un homme de trouver le lieu d’accomplissement de sa vocation, tenu par les contraintes de son milieu culturel social et étatique. L’action concrète semble par trop devoir découler logiquement d’une attention à l’être, et d’un discernement de cet axe accordé aux potentialités de la personne. Nous préférons penser avec BLONDEL et MOUNIER que la personne se découvre aussi et surtout à travers la communication à l’autre et dans un engagement dans l’action, qui lui permet de se décentrer et d’accueillir dans le même mouvement l’appel qui lui est adressé.

Notes
314.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, Tome III, op. cit. p. 467 et 468.

315.

E. MOUNIER, Manifestation au service du personnalisme, Oeuvres complètes, Tome I. p. 52 à 528.

316.

Note d’observation, Caractéristiques d’une Mission d’être, PRH 1998, p. 1.

317.

Ibid., p. 2.

318.

Note d’observation, L’émergence de l’agir essentiel , PRH, 1990, p. 6.

319.

Ibid., p. 2.