B. La Place Et Le Rôle De L’action

Il nous semble ici important de rappeler que le personnalisme selon MOUNIER s’appuie sur une anthropologie à trois dimensions, recouvrant à la fois la vocation, l’incarnation, et la communion. Les deux premières font directement référence à la dimension d’investissement de la personne dans une action en harmonie avec un appel transcendant, alors que la dernière symbolise l’acte suprême de la relation à autrui dans ce qu’il implique comme don gratuit et naturelle empathie.

Pour MOUNIER comme pour BLONDEL il paraît bien évident que nous agissons autant sinon plus par ce que nous sommes que par ce que nous faisons. C’est dire si la première action préconisée dans l’entreprise de découverte de sa vocation est bien une action personnelle de transformation de soi. La visée de PRH qui voit dans cette dernière l’unique chance de mutation d’une société basée sur la compétitivité et la force, en une société au service de l’humanité et des groupes humains, nous paraît avantageusement approfondie par ces deux philosophes de l’être et de la relation.

Ceux-ci nous offrent une réflexion plus large et plus fine que celle de PRH, dans la mesure où l’action est envisagée non seulement comme la « réalisation » d’un projet de vie, mais comme un témoignage vivant dont la finalité importe plus que les modalités.

A ce sujet, il pourrait être nécessaire que PRH incite d’avantage ses utilisateurs à faire le lien entre les actes qu’ils posent dans leur vie quotidienne et la recherche du sens de leur vie, les ouvrant ainsi à la grâce de l’engagement et du don à autrui, qui mystérieusement peut elle aussi révéler une vocation. En outre, il serait bon de préciser que toute manière de vivre et d’agir porte la marque d’une personnalité, et plus largement révèle la valeur d’une personne. S’il paraît évident que la recherche d’un « agir essentiel » est légitime, cette quête ne doit pas occulter l’appel de l’autre, qui vient réveiller lui aussi des potentialités inexplorées, et susciter parfois des vocations surprenantes.

La notion d’agir, étymologiquement, exprime le mouvement de l’homme vers l’action, vers l’autre, et pouvons nous déjà avancer, vers lui même. Dans ce qu’il symbolise d’initiative féconde, l’agir n’est pas seulement le résultat d’un acte, mais en signifie le processus d’exécution premier.

Il serait juste que PRH rappelle, avec MOUNIER que : ‘« L’incessant déchiffrement par une personne de sa vocation brise incessamment toute visée plus courte : intérêt, adaptation, réussite, on peut dire en ce sens que la personne est la gratuité même, cependant que chacun de ses actes est engagé et voué. Elle est ce qui dans un homme ne peut être utilisé. C’est pourquoi même dans la vie collective, le personnalisme donnera toujours le primat aux techniques d’éducation et de persuasion sur les techniques de pression, de ruse et de mensonge »’ 320.

C’est ainsi que l’action doit être vue d’avantage comme un moyen pédagogique à part entière de connaissance personnelle, qui ne s’oppose pas au processus d’introspection tel que PRH le propose ; ces deux modalités se nourrissent réciproquement, la première invitant l’homme à incarner ses découvertes dans l’engagement, par, pour et avec autrui, tandis que la seconde lui permet de prendre conscience des ses potentialités ainsi révélées. BLONDEL nous dit ainsi :

« La science de l’action ramène chaque homme tout simplement à lui même. C’est dans le menu détail du quotidien, on ne saurait trop y insister, que l’homme voit peu à peu surgir des repères. Et lorsque sa réflexion devient assez forte pour se demander comment et pourquoi il agit, il se rend compte que chaque acte est porteur d’infini, mais pour un étrange décret qui n’est pas celui de sa propre volonté » 321 .

Grâce à BLONDEL nous sommes donc conduits à retrouver une anthropologie dynamique d’un homme en mouvement, propulsé vers autrui et vers le monde. Cette perspective nous éclaire sur la vision trop lisse et close de l’agir selon PRH ; l’homme de besoin se transforme ici en être de désir, qui naît d’une relation féconde où ‘« la personne nous apparaît aussi comme une présence dirigée vers le monde et les autres personnes, sans bornes, mêlées à eux, en perspective d’universalité »’ 322.

Notes
320.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, op. cit. p. 467-468.

321.

M. BLONDEL, cité par Y. Périco, in Maurice BLONDEL , genèse du sens, Campin (Belgique), Ed. Universitaires, 1991, p. 143.

322.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, op. cit. p. 453.