D. Les Attitudes Éducatives Fondamentales

Nous devons ici évoquer les attitudes fondamentales du formateur à l’égard de son «client », telles qu’André ROCHAIS les a décrites, avant de les mettre en parallèle avec les attitudes de l’éducateur dans la philosophie personnaliste.

La première attitude requise est. la bienveillance et le non-jugement, tant dans l’activité d’écoute que dans l’animation de groupe ; on y retrouve l’influence de ROGERS.

Nous avions déjà dit dans notre première partie que, selon André ROCHAIS, vivre de la bienveillance consistait  « à vouloir du bien à la personne et à l’accepter dans sa réalité sans désir de la transformer, et que le formateur devait s’efforcer d’avoir ce regard intérieur fait d’espérance visionnaire ».

Le respect de la liberté de l’autre intervient aussi de façon primordiale dans l’attitude du formateur : ‘« Ce respect de la liberté n’a pas à nous dispenser de donner notre point de vue, en toute authenticité. L’autre a besoin que nous soyons vrais. Mais, ce moment d’authenticité passé, on laisse à la personne le soin de décider, lui faisant confiance pour juger de ce qui est bon pour elle, dans la situation où elle est »’ 349.

En outre, si la relation humaine est au coeur du travail du formateur, celui-ci devra développer des sentiments d’accueil, de compréhension voire d’affection, envers son client.

Bien sûr, ‘« la sympathie et l’affection ne se commandent pas. Mais, si vous vous faites attentif à l’être profond de cette personne, à son désir d’être elle-même, à ses efforts pour sortir de ses problèmes, vous sentirez naître en vous un courant de sympathie et même de l’affection. Une relation humaine s’établira. La relation d’aide PRH n’est pas une relation professionnelle, distante et froide. (...) Elle est alors vitalisante et stimule la vie de l’être. Elle permet la croissance »’ 350.

L’authenticité de la personne aidante est ainsi fondamentale pour que le client ne sente pas un décalage entre le discours du formateur et sa pensée véritable. La congruence demeure une exigence primordiale :

« Soyez vrais. Ne soyez pas doubles, disant une chose et en vivant une autre. Soyez tout d’une pièce. Collez bien à votre réel intérieur et exprimez le comme il est. Cela vaut pour tout. (...) Vous créeriez de l’insécurité chez l’autre. Il le sentira à un moment ou à un autre » 351 .

Toutes ces attitudes sont reprises sous des concepts plus universels par MOUNIER, pour qui la relation éducatrice est cette relation ‘« co-fondatrice d'accouchements mutuels »’ qui ne parvient à son plein épanouissement qu'en respectant les valeurs de la personne. MOUNIER les exprime de manière très claire dans Le Personnalisme.

La relation éducative porte les caractéristiques suivantes : tout d'abord l'éducateur en situation dans la relation ne prend pas l'autre pour lui même et exerce un mouvement continuel de dépossession que MOUNIER appelle ‘“Sortir de soi”’ 352. La personne, et dans notre problématique la personne éducative est donc une existence capable ‘« de se décentrer pour devenir disponible à autrui »’ 353.

De même, MOUNIER précise aussi : ‘« ’ ‘ne libère les autres que celui qui s’est d'abord libéré lui-même’ ‘ »’ 354. Nous pensons ici aux grandes figures morales de l'humanité dont Gandhi fût un des modèles représentatifs. Le passage par l’ascèse et la vie intérieure fût primordiale au cours de son évolution, du jeune avocat britannique au prophète de la paix que l'on connaît. Cette étape parait donc plus que nécessaire pour toute personne ayant des prétentions éducatives.

La deuxième attitude fondamentale se situe dans l'acte de compréhension d'autrui. Il ne s'agit pas de se fondre en lui dans un processus de « fusion » mais bien ‘« d'embrasser sa singularité de ma singularité dans un acte d'accueil et un effort de recentrement »’ 355.

Ce qui signifie élargir mon regard à l'univers d'autrui et pénétrer sa profonde différence sans la modeler à mon image. Il faut non seulement approcher la personne de manière globale par une connaissance philosophique et psychologique générale mais plus encore s'attacher à faire grandir son identité, sans se dissoudre en elle.

De plus, cette compréhension invite à une profonde compassion conséquence des deux premières attitudes. Cette compassion a un sens tout particulier si l'on songe à l'être sensible qu'était MOUNIER, riche d'une grande ‘« puissance d'accueil »’ .

Mais l'acte suprême de la relation parvenue à sa plus haute réalisation demeure la générosité et la gratuité ‘« c'est-à-dire à la limite le don sans mesure et sans espoir de retour »’ 356.

Enfin la dernière attitude nécessaire s'exprime dans la fidélité et dans un dévouement à l'autre éternel, signe que l'amour véritable une fois donné ne peut se reprendre.

La personne en formation a ainsi besoin d'une permanence de présence et d'amour pour solidifier sa personnalité, lui donner confiance en elle-même et lui permettre d'affronter le monde. On voit déjà ici se dessiner l'enjeu de l'avenir d'un homme. Faire évoluer le monde et la société ne passe pas sans une certaine exposition de soi au grand jour. Si un homme n'a pas été établi dans la sécurité de l'amour et la confiance il semble difficile de le voir plus tard assumer un rôle de leader et de créateur.

Ainsi ‘« la fidélité personnelle est une fidélité créatrice »’ 357 qui permet que le rapport interpersonnel soit ‘« une provocation réciproque, une fécondation mutuelle »’ 358.

Il nous est impossible d'une part de nous connaître mais aussi de conscientiser le monde autour de nous et d'en approcher la beauté, sans la relation de partage : ‘« Il faut être deux pour comprendre un ciel bleu et nommer une aurore »’ 359.

La parole permet alors le devenir libre et éduque grâce à sa fonction de distinction et d'appellation. Ainsi, la liberté pleine naît du dialogue, de la confrontation du Je et du Tu même si la liberté de spontanéité se manifeste antérieurement.

L'être humain soumis aux impératifs de son propre corps pour se sortir de lui même et embrasser le monde a besoin de se distinguer et d'apprendre à évoluer librement. Le dialogue pédagogique a ceci de particulier qu'il nécessite la discrétion de l'éducateur qui, attentif aux mouvements de la personne, s'applique à faire évoluer son intelligence et sa personnalité, en digne héritier de la maïeutique socratique.

Le but ultime de l'éducation reste comme le dit MOUNIER non pas de ‘« tailler l'enfant pour une fonction ou de le mouler à quelque conformisme, mais de le mûrir et de l'armer (parfois le désarmer) le mieux possible pour la découverte de cette vocation qui est son être même et le centre de ralliement de ses responsabilités d'homme »’ 360.

C'est ainsi que l'éducateur peut engendrer un être à l'intelligence qui est la ‘« capacité d'universaliser son expérience en termes compréhensibles par tous »’ 361 préalable à l'exercice du libre arbitre et à une existence autonome, responsable.

Mais il semble déjà que sans l'amour il ne puisse y avoir éducation totale. Pour vouloir l'autre différent il faut l'aimer. Car l'amour est ‘« créateur de distinction reconnaissance et volonté de l'autre en tant qu'autre. La sympathie est encore une affinité de la nature, l'amour est une nouvelle forme d'être »’ 362.

Et MOUNIER de terminer par une analyse fondatrice et essentielle à toute démarche éducative : l'amour qui ‘« s'adresse au sujet par delà sa nature, il veut sa réalisation comme personne, comme liberté, quels que soient ses dons ou ses disgrâces, qui ne comptent plus essentiellement à son regard : l'amour est aveugle, mais c'est un aveugle extralucide »’ 363.

Notes
349.

André ROCHAIS, in note d’observation Comment faciliter la croissance des personnes, op. cit., p.2.

350.

FPM 26, Mini-outil,  J’apprends à aider, Poitiers, PRH, 1983 p. 10.

351.

Mini-outil, Ibid., p. 10.

352.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, op. cit., p. 454.

353.

Ibid., p. 454.

354.

Ibid., p. 454.

355.

Ibid., p. 454.

356.

Ibid., p. 454.

357.

Ibid., p. 455.

358.

Ibid., p. 455.

359.

G. BACHELARD, Préface à l’ouvrage de Martin Buber, Je et Tu, op. cit., p. 11.

360.

E. MOUNIER, Manifeste au service du Personnalisme, op. cit., p. 528.

361.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, op. cit., p. 455.

362.

Ibid., p. 456.

363.

Ibid., p. 456.