B. La Communauté Lieu De Révélation De L’identité

Pour pallier à la tentation de l’individualisme, MOUNIER préconise la constitution d’un réseau relationnel actif, véritable humus où la personne viendrait puiser ses forces et épanouir ses dons. Ce souci de créer un environnement favorable à l’éclosion de l’identité d’une personne habitait aussi André ROCHAIS. C’est pourquoi il insistait sur l’importance de nouer des relations dites « vitalisantes »400 ; celles-ci permettent à la personne de ressourcer son être en priorité, mais aussi la globalité de sa personne. Ainsi, l’homme ne peut déployer ses capacités qu’en présence d’autrui, en vue d’un partage d’expérience ouvrant à sa radicale différence.

Le développement de la personne peut ainsi avantageusement s’organiser dans une structure souple et ouverte : « la communauté ».

André ROCHAIS, dans la lignée des mouvements de la contre culture de 68, était porté par le désir de réaliser des idéaux de vie communautaire, dans une perspective d’enrichissement personnel et individuel, mais également pour expérimenter de nouvelles règles relationnelles et sociales plus « conviviales ». Cet idéal de vie communautaire était inspiré de la vie des premières communautés chrétiennes telles que les actes des apôtres nous le décrive. Il avait une générosité louable et un désir de contribuer par son outil à la réalisation d’un monde meilleur et plus juste. PRH avait ainsi la prétention de devenir une « école de vie », et le groupe des formateurs une communauté.

Dans les débuts de l’organisme, il tenta d’insuffler à son équipe ce désir d’une vie communautaire, réalisant les idéaux du partage et de l’authenticité relationnelle. Il voyait en effet dans la fondation de « cellules sociales », centrées autour d’un même « agir essentiel », l’avènement progressif d’une humanité nouvelle, d’où tout rapport de pouvoir et de compétitivité seraient exclus.

Cependant toutes les tentatives de vie communautaire échouèrent. Aujourd’hui les formateurs sont des travailleurs indépendants, réunis dans une même association pour exercer leur profession autour de finalités déterminées. Toutefois l’idéal de vie communautaire demeure prégnant, dans la mesure où la vie au sein de PRH tend à réaliser les objectifs du partage, de l’amour et de l’épanouissement des personnes. Il ne s’agit plus d’une communauté de vie, mais d’une communauté d’idées, d’action et de valeurs.

Mais que recouvre ce terme de communauté ?

En quoi cette réalité est - elle nécessaire , ou du moins souhaitable, pour le développement d’une personne ?

La communauté est au centre du personnalisme de MOUNIER. Elle intègre la notion de personne et se distingue de la collectivité qui a tendance à subordonner la personne au profit du tout et à ne considérer l’homme que dans son individualité. A ce sujet, nous renvoyons le lecteur à la note ‘« Société de rapports de force, société conviviale »’ 401 dans laquelle André ROCHAIS explique en détails les finalités et les modalités de son utopie sociale. En effet, pour le fondateur de PRH, la communauté, au sens très large du terme, est envisagée comme une cellule proto-typique d’un nouveau type de société, la société conviviale, s’opposant dans ces principes fondamentaux à la société de rapports de force.

Si la caractéristique principale de cette dernière est la distance entre les êtres, les structures, les classes sociales, les groupes d’intérêts....la société conviviale se caractérise au contraire par les relations de « communion » entre les personnes qui la composent, ayant elles même pour spécificité d’être suffisamment « unifiées » en leur être pour ‘« vivre en relations harmonieuses avec l’entourage et de ne pas être démoli par les coups durs de l’existence »’ 402.

Sans le savoir André ROCHAIS rejoignait la vision Mouniériste de la communauté, envisagée comme un espace où chacun s’unifie grâce à la découverte de son identité, donc de sa vocation.

En effet, pour MOUNIER, la communauté a pour mission de distinguer, non d’uniformiser et renvoie chacun à son libre arbitre et à ses propres références intérieures :

« La personne seule trouve sa vocation et fait son destin. Personne d’autre, ni homme, ni collectivités ne peut en usurper la charge. Tous les conformismes privés ou publics, toutes les oppressions spirituelles trouvent ici leur condamnation » 403 .

Lieu de déploiement ou de libération de la dimension personnelle, la communauté si elle se veut favorable à ‘« l’apprentissage du nous »’ 404, à savoir de l’identité commune, ‘« ne peut se passer de l’apprentissage du je »’ 405.

MOUNIER esquisse une représentation idéale de la communauté qui tend à être un espace ‘« chaque personne s’accomplirait dans la totalité d’une vocation continuellement féconde, et la communion de l’ensemble serait une résultante vivante de ces réussites singulières. La place de chacun y serait insubstituable, en même temps qu’harmonieuse au tout. L’amour en serait le lien premier, et non pas aucune contrainte, aucun intérêt économique ou vital, aucun appareil extrinsèque. Chaque personne y trouverait dans les valeurs communes, transcendantes au lieu et à la durée particulières à chacune, le lien qui les relierait toutes »’ 406.

Ceci reste pour MOUNIER une ligne directrice à respecter, la communauté étant le lieu de l’apprentissage des différences, au sein de valeurs communes.

Dans le même sens, André ROCHAIS affirmait que ‘« la liberté est une valeur essentielle de la société conviviale. Cela veut dire que chacun décide de sa vie par lui même. (...) Les communautés s’enrichissent beaucoup de la diversité qui en résulte. Cela pourrait aboutir à la dislocation du groupe. Le risque existe. Mais quand les êtres sont unifiés et vivent en docilité à leur être profond, ce risque est minime car ils ne font pas n’importe quoi. Ils choisissent instinctivement ce qui les construit eux mêmes et ce qui construira les autres, ou tout au moins ne leur nuira pas. La créativité de chacun est fortement stimulée par ce renvoi perpétuel à soi même afin de décider ce qu’il faut faire dans les diverses situations où la vie le place »’ 407.

Notes
400.

Relation vitalisante : « Toute relation qui éveille l’être des personnes et le stimule à exister et à se développer. Ces relations vivifiantes sont indispensables pour la croissance de la personne », définition extraite du glossaire de La Personne et sa Croissance, op. cit. p. 293.

401.

Note d’observation, Société de rapports de force, société conviviale, répertoriée en annexe.

402.

Note d’observation,  Société de rapports de force, société conviviale , Poitiers, PRH, 1990, p. 7.

403.

E. MOUNIER, Manifeste au service du personnalisme, op. cit., p. 528.

404.

Ibid., p. 529.

405.

Ibid., p. 529.

406.

Ibid., p. 539.

407.

Note d’observation, « Société de rapports de force, société conviviale », op. cit. p. 8-9.