En Guise De Conclusion : Quelle Éducation, Pour Quel Type D’homme ?

MARITAIN décrit le type d’homme pressenti à travers sa Philosophie de l’Education. Le but de cette dernière est d’aider à l’épanouissement d’un être simple et ouvert à autrui, sans crainte de la relation, osant s’affirmer dans sa pensée et son identité.

L’ouverture à l’égard de la vie s’exprime par ‘« l’attitude d’un être qui existe volontiers, qui n’a pas honte d’exister et se tient tout droit dans l’existence et pour qui être et accepter les limitions naturelles de l’existence sont l’objet d’un assentiment également simple, également franc et ingénu »’ 419. Ceci est, somme toute, la finalité première de l’éducation.

MOUNIER citant Kierkegaard dit aussi ‘« l’homme véritablement extraordinaire est le véritable homme ordinaire »’ 420 , formule dont nous avions déjà noté combien elle aurait pu s’appliquer à la personne même d’André ROCHAIS, mais aussi résumer l’objectif principal de la formation PRH : permettre à tout homme d’avoir accès au bonheur et à une vie en plénitude, en lui donnant les moyens de se comprendre, de se découvrir, et de réaliser ses aspirations fondamentales.

Nous pourrions esquisser quelques dominantes d’une personnalité construite grâce à la méthode PRH, dans la mesure où cette dernière serait sous-tendue par une problématique inspirée du personnalisme ; nous osons avancer que ce type d’éducation participerait à l’émergence :

C’est sur cet aspect de l’affrontement que nous voudrions conclure notre réflexion, car en ce sens MOUNIER dépasse largement la réflexion conduite à PRH. Pourtant il nous semble que le fondateur de PRH aurait pu signer les propos du philosophe à ce sujet. Nous avions repéré dans notre seconde partie que la vision du conflit à PRH était envisagée quasi exclusivement dans son caractère négatif, et dans une perspective de résolution. Or, MOUNIER nous introduit dans la perspective d’un « combat du juste », telle qu’a été qualifiée son action sociale et philosophique, expression reprise dans le titre d’un ouvrage collectif consacré au philosophe423.

Ce dernier n’a pas craint quant à lui d’engager un dialogue exigeant avec les marxistes, considérant qu’ ‘« une pensée concrète est faite de deux idées affrontées dans une antithèse souple, radicalement différente du tout ou rien de la pensée sclérosée »’ 424.

En effet, l’affrontement évoqué par MOUNIER a pour particularité d’être un ‘« affrontement chrétien »’ 425 qui retrouve le sens des valeurs et des vertus débarrassées de l’usage dénaturant que beaucoup de chrétiens en font. La personne n’est alors pas enfermée dans un système moralisateur mais au contraire appelée à rencontrer les vérités et à les incarner dans sa vie. MOUNIER déplore le fait que trop souvent, ‘« au lieu d’être jeté dés le départ dans les perspectives complètes de l’amour, le jeune chrétien est d’abord soumis, huit fois sur dix, à une injection massive de « moraline » et le premier mot de cette tactique moraliste, c’est la méfiance, la retenue : la méfiance de l’instinct et la lutte contre les passions »’ 426.

Or, l’instinct et la force vitale qui animent toute passion ne sont pas des données négatives puisqu’elles font partie de la notre nature humaine et propulsent l’homme vers une action qui, si elle est finalisée correctement, contribue à l’oeuvre de civilisation.

En outre, l’homme capable de se tenir dans la justesse de ses convictions est un être solide autant que vulnérable, qui a su orienter ses forces vives dans un combat juste. La personne éveillée aux valeurs du personnalisme saura exister face aux autres et aller au bout de ses projets et de sa passion ; ainsi ROCHAIS et MOUNIER ont été porteurs l’un comme l’autre d’une intuition prophétique, qu’il sont su défendre et préserver en dépit des oppositions et des difficultés.

C’est pourquoi il nous semble que ce « vide » conceptuel dans le système théorique PRH, concernant la relation au monde et l’affrontement n’est pas le fruit d’une volonté délibérée de nier la relation à l’altérité et à la différence ; il exprime plutôt un souci de sortir des situations conflictuelles stériles où seuls les rapports de force et de pouvoir président au dialogue. Nous suggérons à PRH de s’inspirer de l’analyse de l’affrontement chrétien tel que MOUNIER l’a menée, pour formaliser de façon plus claire la positivité et la nécessité de la confrontation, y compris dans ce qu’elle comporte d’agressivité.

C’est ainsi que le personnalisme, même s’il ne s’accompagne pas de l’adjectif chrétien, a une vocation universelle et serait fondateur de toute société authentiquement démocratique puisqu’il invite à la prise de parole libre de chaque partie, et ne refuse en rien d’accueillir les réactions d’opposition, celles-ci étant vues comme autant d’occasions de solidifier sa propre pensée.

Dans ce sens il nous semble que la finalité ultime d’une éducation personnaliste, à l’image de PRH, est de participer à l’éveil de la liberté profonde d’une personne ; celle-ci, libérée des aliénations familiales, psychologiques, étatiques, pourra ainsi accéder à sa propre liberté intérieure, qui nous l’avons vu, ne peut en aucun cas s’assimiler à une négation des contraintes et à une attitude individualiste.

Nous avons bien conscience que la problématique personnaliste en matière d’éducation soulève de nombreuses interrogations auxquelles il faudrait répondre, et en particulier celles liées à l’universalité d’une telle philosophie - philosophie susceptible de débloquer ou d’éclairer nombre d’incertitudes contemporaines - dans l’essor actuel des initiatives, des recherches, des réussites comme des échecs éducationnels.

Nous partageons cependant la vision optimiste et universaliste d’Etienne BORNE, exprimée lors du colloque organisé pour la célébration du

cinquantenaire de la revue Esprit, à propos de la matrice philosophique du personnalisme :

« Philosopher contre la personne, considérer l’homme comme objet, résultat de déterminismes entrecroisés, culturels et biologiques, c’est faire le jeu du diable, c’est-à-dire de toutes les tyrannies. Le personnalisme est la vérité, première et dernière, alpha et oméga, de la philosophie » 427 .

C’est pourquoi nous avons voulu, dans le cadre de cette étude de PRH, conduire une recherche sur la dimension éducative du personnalisme, qui fut d’ailleurs peut-être d’avantage un mouvement éducatif qu’un système philosophique. Ses nombreux protagonistes, de Marcel à MOUNIER, souhaitaient en tout premier lieu se défaire de l’esprit de système pour penser une philosophie appliquée à l’existence, qui permette à l’homme de devenir d’avantage une personne libre et en relation à autrui. Cette pensée est ainsi venue tout naturellement interroger notre réflexion sur PRH, tant la pratique éducative de ce dernier, sa vision de l’homme et ses finalités nous semblaient dialoguer avec la philosophie personnaliste, venant éclairer, enrichir et formaliser la pensée pédagogique et humaniste de PRH.

Notes
419.

J. MARITAIN, Pour une Philosophie de l’Education, op. cit., p. 51.

420.

E. MOUNIER, Le Personnalisme, op. cit., p. 471.

421.

Ibid., p. 473.

422.

Ibid., p. 474

423.

Emmanuel MOUNIER ou le combat du juste, Frères du monde, Bordeaux, Ducros, 1968, 244 p.

424.

E. MOUNIER, cité par Jean Lacroix, in « Un témoin et un guide, Emmanuel MOUNIER », extrait de Emmanuel MOUNIER ou le combat du juste, op. cit., p. 31.

425.

E. MOUNIER, L’affrontement chrétien, Tome III, Oeuvres complètes, Paris, Seuil, p. 8 à 66.

426.

Ibid.., p. 35.

427.

Etienne BORNE, in Le Personnalisme d’Emmanuel MOUNIER , Hier et demain, Pour un cinquantenaire, Paris, Seuil, 1985, p. 162.