Conclusion 
prh, Une Didactique Élaborée, Un Mouvement Éducatif En Devenir.

Au terme de ce parcours d’exploration de PRH, enrichi d’une proximité avec ses bénéficiaires, nous avons été renvoyé à l’inspiration implicite d’André ROCHAIS : le personnalisme. Nous avons pu esquisser une évaluation de cette didactique orientée vers le développement de la personne, et notre statut ‘« d’évaluateur interprète »’, selon l’expression de Charles Hadji, nous a permis de gratifier celle-ci souvent d’éloges, quelquefois de réserves et très rarement de condamnations :

«Evaluer un programme, c’est donc poser la question des intentions, des fins, et des buts. C’est se demander s’il a du sens, celui-là ne pouvant naître que d’une articulation avec des valeurs et des intentions (...) Mais, plus qu’un accoucheur, l’évaluateur interprète serait un passeur qui aide à affronter l’inattendu, en déplaçant les interrogations, en faisant naître de nouvelles questions, en permettant à d’autres dimensions, de faire irruption » 428 .

De quel ordre sont ainsi les dimensions de PRH que cette évaluation a fait émerger, et quelles interrogations nouvelles a-t-elle pu susciter?

Nous avons tout d’abord été conduit à constater le caractère très élaboré de la théorie et de la pratique PRH, donnant à cette dernière un statut spécifique et nous pouvons déjà le dire relativement atypique. En effet, la formation PRH ne se réduit pas à un simple outil didactique au service de la croissance des personnes et des groupes, mais prétend au contraire être une pédagogie fondée sur une anthropologie déterminée, orientée de surcroît par des finalités explicites. Elle semble en ce sens répondre aux critères d’une psychopédagogie.

Un de ses objectifs principaux est ainsi de favoriser le développement des potentialités ; en cela PRH conforte sa proximité avec la vision rogérienne des finalités thérapeutiques en général et avec l’optimisme fondamental qui la sous-tend. Puisque le postulat de base reste la foi en une zone non conflictuelle de la personne, c’est de ce lieu que va partir la construction ou la reconstruction psychologique d’un individu, et par extension des groupes dans lesquels il est immergé. A PRH c’est l’être qui est considéré comme l’instance la plus dynamique de la personnalité et la plus importante à valoriser.

En outre, l’homme est envisagé dans sa dimension relationnelle, considérée comme un vecteur important de transformation et de restauration personnelle. De plus, dans la sphère de ces relations essentielles à la croissance des personnes, le lien à une dimension de transcendance qui dépasse l’entendement et la raison est également valorisé.

PRH, pédagogie enracinée dans une histoire fortement imprégnée d’anthropologie chrétienne, propose néanmoins ses propres modèles de référence ; un de ses buts est de contribuer à faire avancer les recherches en psychopédagogie afin de faire école dans le créneau d’action qu’elle s’est donnée, pour devenir ainsi un véritable mouvement éducatif.

A cet égard, dans l’obligation qui nous était faite d’approcher cette voie éducative de manière pluridisciplinaire (dans ses dimensions socio-historiques, psychologiques, philosophiques, voire quelquefois théologiques), nous avons pu vérifier l’importance des enjeux et des défis de la formation PRH : éduquer les personnes à la conscience de leur identité et leur donner les moyens de l’actualiser dans une action en harmonie avec celle-ci.

Nous avons en effet découvert que chaque fois qu’il y a interrogation sur soi, se déclenche une dynamique et un bouillonnement internes qui peuvent infléchir la personne dans des directions qui ne sont pas neutres ; à ce titre, tout questionnement didactique mérite d’être soumis précisément à une réflexion globale, intégrant toutes les composantes de la personne, et mettant en lumière ses finalités éducatives.

Avec beaucoup de prudence déontologique et de respect pour les milliers de personnes qui ont bénéficié positivement de PRH, nous nous sentons conduit à affirmer simultanément la fécondité de cette formation, et son inachèvement. Nous avons vérifié que cette efficacité immédiate n’était pas suffisante pour faire de PRH un mouvement susceptible de se pérenniser et d’avoir une autorité éducative au delà des contingences d’un temps donné.

Si la profondeur et la simplicité du questionnement contenues dans la didactique PRH nous ont conduit à pratiquer une analogie avec les exercices spirituels de Saint Ignace, ces derniers ont pour eux le mérite d’avoir survécu au temps429en raison de l’universalité de leur contenu. Il nous semble que PRH dispose quant à lui d’un même potentiel d’universalité, certes insuffisamment formulé et conceptualisé. mais qui cependant irrigue toute la didactique.

La priorité qu’André ROCHAIS exprimait à ses « disciples » était, comme nous l’avons déjà dit, ‘« de se laisser transformer par l’outil »’. Il reléguait ainsi au second plan la transmission d’une vision explicite de la personne, animée par des valeurs et orientée par des finalités transcendantes. André ROCHAIS pourrait illustrer la figure du pédagogue, bricoleur de génie, ainsi décrite par Philippe Meirieu :

« comme le bricoleur qui engrange des objets hétéroclites et ne cesse de les interroger pour voir s’ils n’esquisseraient pas, par hasard, la forme possible d’une réalité nouvelle, l’attention du pédagogue à ce qui se passe sous ses yeux et l’effort pour capitaliser des outils lui permettent d’inventer quelques unes des ces configurations originales qui le surprennent lui même par leur étonnante efficacité. (...) Mais, le pédagogue ne peut s’arrêter à ce qui, dans l’instant lui sera apparu comme une réussite modeste ou éclatante. (...) Il doit même y ajouter la conviction que toute proposition pédagogique doit générer son propre dépassement, toute situation didactique susciter sa propre subversion » 430 .

Or, nous avons vérifié qu’un des manques de PRH résidait justement dans sa difficulté à dépasser le constat d’efficacité de son outil, pour en interroger les fins et donner aux utilisateurs les moyens de s’en affranchir, tant pratiquement que symboliquement ; l’objectif visé est d’autoriser ces derniers à accéder à une liberté personnelle, telle que les philosophes personnalistes nous ont permis de la concevoir.

Nous nous permettons donc d’apporter quelques suggestions qui pourraient enrichir la formation des animateurs PRH, améliorer la pédagogie générale des sessions, et formaliser plus nettement son anthropologie sous-jacente trop peu explicitée et conceptualisée.

En effet, aujourd’hui, une didactique qui ne s’enracine pas dans le pluralisme des sciences humaines est tentée de rejoindre le pragmatisme des multiples méthodes de « développement personnel », provenant pour la plupart des Etats Unis, et dans lesquelles la vertu première est l’efficacité.

André ROCHAIS était particulièrement sensible à la capacité d’un candidat formateur d’analyser ses propres sensations et il en faisait un des critères d’intégration du corps des formateurs. Sans vouloir pour autant scolariser la formation de ces derniers, il nous semblerait pertinent, selon la méthode chère à Henri Desroche, d’initier les formateurs à rejoindre les concepts, après avoir méticuleusement décrit la situation existentielle des personnes et leur environnement. Dans une perspective blondelienne, il s’agirait donc d’approcher l’action en priorité sans pour autant négliger d’exprimer la dimension ontologique qu’elle reflète :

« L’homme concret est une totalité qui se manifeste toujours dans une singularité, dans un acte singulier. (...) Il s’agit du tout de l’homme, ce n’est donc pas dans la pensée seule qu’on doit le chercher, c’est dans l’action qu’il va falloir transporter le centre de la philosophie, parce que là aussi se trouve le centre de la vie » 431 .

Si nous demeurons dans une problématique personnaliste, nous ne pouvons élaborer un corpus théorique donnant sens à une stratégie éducative, sans faire surgir cette dernière d’un processus interactif, où le formé devient formateur, puisqu’il se trouve à la source d’un savoir nouveau et d’une pensée éducationnelle inspirée de son expérience et qui a cependant une valeur universelle. Nous nous trouvons alors en parfaite cohérence avec le souci du fondateur de rester au plus prés des préoccupations concrètes et de l'expérience des personnes.

Toutefois, dans le respect de l’esprit d’André ROCHAIS , la redynamisation de PRH pourrait se faire selon plusieurs modalités et autour de différents pôles de progression.

Tout d’abord, il serait souhaitable de mettre en relation les questionnaires proposés (les TPA), avec leur présupposés psychologiques, philosophiques et sociologiques. Il serait aussi important de montrer les liens existants entre les sciences humaines et les outils qu’elles inspirent, ‘« afin de pouvoir posséder un outil de travail pour décoder les signes de notre temps »’ 432.

Ensuite, en ce qui concerne le manque de conceptualisation anthropologique de PRH et son besoin de confrontation à une altérité, nous envisagerions des formules qui ont cours aujourd’hui sous le vocable d’Universités d’été ou d’hiver. Leur originalité réside dans une double dimension : une prise en compte de l’expérience des acteurs de terrain, et une confrontation de celle-ci avec des apports thématiques susceptibles de donner à ces expériences particulières leur dimension universelle. N’est-ce pas la vraie vocation de l’Université que de transformer le savoir en culture, donnant ainsi à chacun la possibilité d’être situé par rapport à son histoire, par rapport à soi même, par rapport aux autres et par rapport à l’environnement ?

Nous comprenons fort bien qu’André ROCHAIS, traversé par l’idéologie de son temps, où la praxis marxiste exerçait sur les chrétiens les plus généreux, voire sur l’épiscopat, une séduction non discernée et non conscientisée, n’ait pas crû devoir à cette époque se faire « superviser » par des philosophes, des théologiens, des psychologues, sensibles à l’action éducative.

André ROCHAIS a certainement été marqué par la crise de l’ACJF (Association catholique de la jeunesse française) en 1956 lors de laquelle l’épiscopat français, au nom de la distinction des plans (spirituel et profane), apporta son soutien à la JOC (Jeunesse ouvrière catholique), tout en s’écartant dans le même mouvement de la pédagogie des pères jésuites. Ceux-ci, à travers la JAC (jeunesse agricole catholique), et la JEC, (Jeunesse étudiante catholique), préconisaient une formation globale, philosophico-théologique, pour un discernement sur soi dans l’action. André ROCHAIS, au nom d’une laïcité ouverte, c’est à dire dans l’élaboration d’un outil pour tous, et bien que paradoxalement très attaché à la notion de Fondation, n’a pas pu à l’époque situer l’action éducative qui était la sienne dans ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler un mouvement éducatif, supposant une implication éclairée de ses protagonistes.

A ce titre il faudrait aussi engager auprès des formateurs PRH une réflexion sur le rôle de l’altérité comme appel au dépassement personnel. En ce sens, l’approfondissement de la pensée de Lévinas viendrait parachever celle de MOUNIER et de MARITAIN sur l’engagement et l’affrontement au monde. Lévinas insiste en effet particulièrement sur la responsabilité qui m’est conférée dès l’instant où le visage de l’autre m’appelle à un dépassement qui n’est plus de l’ordre de la seule volonté, mais qui devient acquiescement et adhésion à une nécessité éthique corollaire à toute relation éducative. Il y aurait donc intérêt à proposer aux formateurs une réflexion sur l’implication dynamogène du visage, qui selon Lévinas est la valeur absolue, ‘«d’emblée éthique »’ 433 de toute existence.

Aujourd’hui un certain questionnement existe chez les responsables de PRH à propos de son développement présent et à venir, provoqué par les difficultés actuelles de l’organisme à renouveler son public et à assurer la relève parmi les formateurs. Il nous semble que ce type d’inquiétude est propre à tous ceux qui sont responsables d’une mission éducative, celle-ci devant répondre non seulement aux attentes des hommes de ce temps, mais aussi discerner prophétiquement ce dont l’homme de demain aura besoin, pour avancer dans le processus d’hominisation dont parle Teilhard de Chardin , et qui se définit comme ‘« le développement de la conscience réfléchie ; parce que se couper suffisamment de son milieu naturel lui est possible, l’homme est le seul primate à pouvoir vraiment réfléchir »’ 434.

C’est pourquoi formation et développement, à travers une pédagogie comme celle de PRH, tendent à un but unique, universel et intemporel : éduquer la personne à la conscience de sa responsabilité envers autrui, envers elle-même, et envers la société :

« Pour assurer la continuité psychique, à toutes ses phases, de ce vaste développement, étendu à des myriades d’éléments disséminés dans l’immensité des temps, un seul mécanisme, l’éducation » 435 .

Il nous paraîtrait alors non seulement possible mais nécessaire que PRH, à la mesure qui est la sienne, prenne une place explicite dans cette aventure de restauration et d’éducation de l’homme, dépassant son actuel statut de pédagogie au service du développement de la personne, pour devenir un mouvement éducatif susceptible d’inspirer diverses actions d’éducation et de formation, indispensables dans une société en mutation accélérée.

Au demeurant, il serait souhaitable que les formateurs prennent d’avantage conscience de l’enjeu éducatif de la formation PRH, pour rester dans un état d’éveil et d’attention leur permettant d’adapter sans cesse leurs techniques pédagogiques aux personnes rencontrées, les invitant à accueillir, sans le capturer, le mystère irréductible du visage d’autrui :

«Accueillir, accepter, consentir ; écouter le silence et scruter l’invisible, - tels sont les plus hauts actes de l’attention et de la conscience que doivent accomplir les vivants. Il faut renoncer à l’impatience, au désir de recevoir des signes, à la fébrilité des preuves. Il n’y a que des traces impalpables disséminées de-ci, de-là, et qui parfois affleurent, fugaces, à l’improviste au détour d’un instant. Des traces aussi discrètes que troublantes qui n’octroient aucune certitude, mais assignent sans fin à l’étonnement, au songe et à l’attente » 436 .
Notes
428.

C. Hadji, L’évaluation, règles du jeu, Des intentions aux outils, préface de Philippe meirieu, Paris, ESF, 1989, p. 131.

429.

Saint Ignace de Loyola, né en 1591 est l’auteur des exercices spirituels, qui ont toujours une grande actualité et qui ont fait l’objet de multiples commentaires. Cf., à ce propos, un n° spécial hors série de la revue Christus , « chercher et trouver Dieu , commentaires des exercices spirituels de Saint Ignace », Paris, Assas éditions, 1991, 232 p.

430.

P. Meirieu, Le choix d’éduquer, Ethique et Pédagogie, Paris, ESF éditeur, 1991, p. 96 et 97.

431.

M. BLONDEL, cité par Y. Périco, in, Maurice BLONDEL , Genèse du sens, Campun (Belgique) Editions Universitaires, 1991, p. 16-17.

432.

Charles Maccio, Les sciences humaines en mouvement, Lyon, Chronique sociale, 1993, présentation de l’ouvrage en quatrième de couverture.

433.

Lévinas cité par E. Kovak, «Le face à face », in, Le visage, dans la clarté, le secret demeure, Paris, collection Autrement, série mutations, n° 148, octobre 1994 ;p. 21.

434.

R. Texier, Introduction à une philosophie de l’homme, Lyon, Chronique Sociale, 1985, p. 17.

435.

Teilhard de Chardin, L’avenir de l’homme, cité par Jeanne-Marie Mortier, Pierre Teilhard de Chardin , penseur universel, Paris, Seuil, 1981, p. 80.

436.

Sylvie Germain, Immensités, Paris, Gallimard, 1993, p. 254.