Première partie
L'éducation morale, de congrès en congrès, une préoccupation constante

Les congrès les plus importants de la Ligue internationale pour l'Education nouvelle se déroulèrent entre les deux guerres selon la fréquence d'un congrès tous les deux à quatre ans. Leur retentissement, d'abord modeste, grandit rapidement comme en témoigne le nombre toujours croissant de participants et de pays représentés à ces congrès.

L'influence du contexte historique est ici indéniable : l'histoire de la Ligue est comme encadrée par les deux guerres mondiales. Le premier congrès international eut lieu aux lendemains du premier conflit mondial, le dernier congrès juste après le second. La Ligue, l'organe le plus militant du mouvement de l'Education nouvelle, se destinait dès sa création en 1921 à étendre un esprit de paix international. Elle était bâtie sur ce socle. L'espoir unanime des tenants de l'Education nouvelle de voir se développer un esprit pacifique par une éducation internationalisée est le fondement sur lequel s'est construite la Ligue.

Mais alors que les pédagogues nouveaux s'étaient élevés contre une éducation qu'ils jugeaient trop dogmatique et asservissante, incapable de former les hommes libres de demain, qu'ils accusaient d'être en partie responsable de l'esprit nationaliste régnant et par trop favorable à la guerre, quelques décennies plus tard, la seconde guerre mondiale venait faire la preuve de leur échec dans l'oeuvre de pacification qu'ils s'étaient donnée. La Ligue ne connaîtra plus dès lors l'intensité des années d'entre-les-deux-guerres. C'est la désillusion et l'éclatement du grand mouvement mondial.

En réalité, des germes de division interne étaient déjà présents dès le congrès de Calais, et la simple volonté d'union et d'action en faveur de la paix ne réussira pas à les étouffer. Les derniers congrès seront le lieu d'oppositions ouvertes, les tenants de l'Education nouvelle des différents horizons ne parviendront plus à y masquer leurs divergences. Néanmoins, ces congrès ont ponctué toute l'histoire de la Ligue marquant son apogée comme son déclin, ils restent le lieu significatif de rencontres et de discussions entre pédagogues nouveaux, ils témoignent de leurs ententes comme de leurs divisions. Leurs communications demeurent révélatrices de cet esprit militant si particulier d'Education nouvelle, mais aussi des points de désaccord entre pédagogues, même si la revue Pour l'ère nouvelle qui diffuse les rapports des congrès se garde bien de les souligner...

Ainsi le principe fédérateur de centrer toute l'éducation sur l'enfant ne sera jamais remis en question, mais l'Education nouvelle naviguera au gré des idées que les pédagogues nouveaux se feront ou adopteront de la nature de l'enfant. D'accord sur le principe d'une éducation qui se fonde sur la connaissance de l'enfant, la position naturaliste de l'Education nouvelle pouvait-elle d'ailleurs éviter l'apparition de divergences de conceptions de la nature enfantine ? Unis dans le rêve de voir se réaliser par la génération nouvelle une ère de paix et de liberté, les pédagogues nouveaux pouvaient-ils espérer s'entendre sur cette idée de liberté ? Les débats dans la Ligue graviteront sans cesse autour de ces deux questions majeures : la nature de l'enfant et la notion de liberté.

L'éducation morale, dans ce contexte, est dès le départ orientée vers cette oeuvre de pacification par l'éducation. Faire se lever l'homme moral dans l'enfant, c'est travailler à la venue de cette ère nouvelle. Aider au développement naturel de l'enfant, c'est l'acheminer vers sa propre liberté. L'éducation morale est résolument au coeur de cette articulation d'une nature qui est spontanément liberté, et d'une liberté qui s'épanouit en nature. C'est pourquoi les tenants de L'Education nouvelle ne cesseront pas de traiter de cette question au fil des congrès qui se succèdent.