Développer la conscience de soi

L'intervention dans ce congrès de psychanalystes tels que Coué, Baudouin et Jung transporte la réflexion jusque dans les profondeurs inconscientes du psychisme enfantin et en même temps relativise le pouvoir de l'éducation.

Ainsi Coué115 fait de l'imagination la première faculté de l'homme aux dépens de la volonté. Conduire son imagination revient à se conduire soi-même, non par volonté mais par autosuggestion. Coué n'est pas loin de penser que de la direction de son inconscient - autrement dit de sa prise de conscience - peut dépendre la direction de tout son comportement, et par extension de sa conduite morale. Ainsi la religion peut être l'instrument de l'éducation morale : appuyer au départ le développement moral de l'enfant sur l'exercice de la foi, puis le libérer en intégrant la conception abstraite de la vertu et du devoir. Certains se sont étonnés de cette conception originale de la morale coupée de tout lien avec la volonté ou la raison, comme le montre bien une question posée à la suite de cette conférence : ‘« L'effort réfléchi n'est-il pas le levier de tout progrès moral ? »’. La réponse de Coué est que ‘« s'il entre en conflit avec l'imagination, c'est celle-ci qui, infailliblement, l'emporte »’ 116.

Baudouin reprendra cette conception de l'intériorité de l'enfant mais pour faire de l'enfant une personne à part entière, parce que très tôt l'enfant possède la conscience de lui-même et prend ‘« conscience de sa valeur et de ses droits »’ 117. Ainsi lui attribue-t-il une perceptibilité à la souffrance morale, ce que l'adulte ignore. L'éducateur devra par conséquent se préoccuper plus de savoir ce qui se passe à l'intérieur de l'enfant, comprendre par exemple dans quelle intention il a fait tel ou tel acte punissable, plutôt que de s'attacher à trouver une juste punition.

Qu'ils le veuillent ou non, les orateurs n'ont pas pu éviter d'avancer des théories, des développements, des explications sur deux problèmes de fond pour l'éducation morale : la nature de l'enfant et son rapport à la liberté. Problèmes souvent posés de façon implicite dans leurs conférences et sur lesquels il est apparu qu'ils ne pouvaient pas s'entendre. Montreux peut être considéré comme "le" congrès d'éducation morale de la Ligue, mais de façon indirecte, puisque le thème de l'éducation morale ne fait que se deviner derrière celui du congrès, l'esprit de service. A partir de Montreux, et cela restera valable jusqu'à Cheltenham, la Ligue ne cessera de traiter du problème d'éducation morale qui se joue entre l'idée de nature de l'enfant et celui de sa liberté. Pourquoi ? La recherche de liberté est une préoccupation fondatrice du mouvement de l'Education nouvelle, qui espère la préserver ou la provoquer par et dans le respect du libre développement de la nature de l'enfant. Autrement dit, c'est en respectant la nature de l'enfant que l'éducation est le mieux à même de voir émerger cette liberté. C'est pourquoi ses conceptions se sont divisées et ont oscillé entre la volonté de "comprendre la nature de l'enfant" pour la laisser se développer librement tout en suivant l'ordre de cette nature, et en même temps, la volonté de "libérer l'enfant par l'éducation" qui n'est rien d'autre que l'invitation pour l'enfant à ne pas se satisfaire de cette conformité aux lois de la nature, mais de lui permettre de s'en libérer socialement par l'éducation.

Notes
115.

« L'autosuggestion et ses applications à l'éducation et à la rééducation », P.E.N., n°8, octobre 1923, pp. 111-113.

116.

P.E.N., n°8, octobre 1923, p 114.

117.

« Les souvenirs d'enfance », P.E.N., n°8, octobre 1923, p. 115.