Une nature double mais bonne

Béatrice Ensor choisit d'appliquer la théorie darwinienne à l'enfant et constate que sa nature est double. Celle-ci présente deux aspects : ce qui est de l'ordre du physique et du biologique, ‘« les particularités physiques qui sont soumises aux lois de la biologie et de l'hérédité »’, et ce qui est de l'ordre du spirituel, ‘« l'esprit, ou la vie consciente, qui contient toutes les possibilités de l'homme accompli »’ 121. Deux positions radicalement opposées entre un donné figé, déterminé et un potentiel tout en devenir et en promesses. Car cet enfant est le lieu de tous les possibles, qui deviendront réalités si et seulement si toutes ses fonctions ont pu être développées. Dans le prolongement de la pensée de Mrs Ensor, on peut dire que les fonctions physiques de l'enfant ne s'éduqueront pas de la même manière que les fonctions spirituelles. Aider une croissance physique qui s'opère toute seule, et dans le même temps, veiller au développement de l'âme de l'enfant dans une confiance totale, tel pourrait être le résumé d'une bonne action pédagogique.

Mrs Ensor confirme à Heidelberg ce qu'elle disait déjà à Montreux : ‘« Nous croyons au sentiment du bien que l'enfant porte en soi, nous allons à lui sans méfiance »’ 122. La nature de l'enfant est bonne en elle-même, toute déviance de l'enfant est maladie de sa nature. L'éducateur veillera donc à la salubrité physique et mentale de l'enfant, par une éducation "hygiénique", dont la psychologie devient l'outil, une sorte de "médecine" de l'éducation, qui peut à la fois expliquer et guérir les troubles du comportement de l'enfant - les troubles de sa nature - et mener au traitement adéquat. C'est donc bien la psychologie qui a la double tâche de guider l'éducateur et de comprendre cette nature double mais bonne de l'enfant, puisqu'elle peut expliquer "ce qui ne va pas tout seul", ce qui ne va pas dans le sens de la nature.

Toutefois Mrs Ensor ne dresse-t-elle pas le tableau d'une double nature sous-entendue bonne mais qui demeure contradictoire ? Car comment expliquer qu'une nature qui porte en elle-même « le sentiment du bien » puisse dévier et devenir "mal-ade" ? Mrs Ensor n'envisage la question que sous un angle quasi médical en appliquant au domaine spirituel ce qui est vrai pour le biologique. On devine bien que l'action du pédagogue aura un sens ou sera sans fondement, selon qu'il s'adresse ou non à toute la nature de l'enfant et pas seulement sa nature en "bonne" santé... Et ce dédoublement en bien ou en mal de la nature de l'enfant n'a pas ici la même signification que celle définie par Mrs Ensor. Prendre deux points de vue différents sur la nature de l'enfant, cela n'exclut pas comme elle le pense que parfois cette nature se développe vers le mal.

Notes
121.

« Les fondements de l'éducation nouvelle », P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 3.

122.

Id., p. 4.