Nature réelle profonde et nature apparente spontanée

Decroly n'est pas un partisan d'un spontanéisme radical, d'autant plus que la volonté commune aux pédagogues de l'Education nouvelle de tenir compte des intérêts de l'enfant et de favoriser la libération des forces intérieures se heurte à de nombreuses difficultés. Des difficultés à la fois internes et externes, dues à l'environnement de l'enfant comme à sa constitution ou à son tempérament. Il importe donc de ne pas s'attacher aux intérêts premiers de l'enfant pour essayer de les mieux comprendre, autrement dit il faut savoir ne pas s'attarder à la nature apparente de l'enfant. Mettre à jour les intérêts réels de l'enfant est une opération à laquelle le développement de l'intelligence de l'enfant peut contribuer car l'intelligence gouverne l'intérêt : ‘« Elle peut aussi orienter, aiguiller la direction originelle et spontanée des tendances par les influences qu'elle exerce sur leur orientation en dérivant l'énergie ainsi épargnée vers des activités moins instinctives »’ 128. Ces intérêts réels présentent la particularité d'être latents et pour les diagnostiquer, une méthodologie rigoureuse est nécessaire car seule capable de connaître la nature, le type d'enfant à qui on s'adresse.

La réflexion que Decroly développe dans sa conférence montre qu'il présuppose deux choses : d'une part la nature de l'enfant est cachée et d'autre part les intérêts sont la voie d'accès vers la connaissance de l'enfant. Mais la nature, qui se manifeste par les intérêts de l'enfant, dans la réunion de ce qui lui intérieur et de ce qui lui est extérieur, ne se livre pas si facilement à l'observation. La spontanéité des énergies créatrices chez l'enfant est donc toute relative.... Le risque est alors de ne pas "voir" la véritable nature enfantine et donc de ne pas pouvoir agir selon le principe de l'Education nouvelle, "du dedans". La nature de l'enfant, et Decroly y insiste, est profonde et le meilleur moyen d'en aider l'expression est encore d'aménager un milieu approprié qui puisse la libérer. ‘« Le libre développement des tendances favorables de l'enfant ne peut être obtenu dans le milieu scolaire qu'en rapprochant celui-ci le plus possible du milieu naturel et des conditions de la vie simple mais réelle »’ 129. Ce n'est qu'ensuite et très prudemment que pourront être définis à la fois un tempérament spécifique à chaque enfant et - à la manière de Ferrière - une typologie basée sur des tendances comportementales opposées : entre activité et passivité sur le plan physique, altruisme et égoïsme sur le plan affectif, et finalement ce qui décide de toute l'orientation du caractère, le degré d'intelligence.

Notes
128.

« Les facteurs qui déterminent la libération des intérêts », P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 9.

129.

Id., p. 10.