Bertier : s'entraîner pour le futur

Bertier ne croit pas en un développement spontané de la force morale. Il prône au contraire un véritable entraînement moral, car l'éducation doit être ‘« tendue vers le futur »’ 141. Ce qu'il a dit à Montreux, ce qu'il a écrit dans Pour l'ère nouvelle 142 , il le répète à Heidelberg : la nécessité d'une formation morale, d'une formation des consciences. Il n'est pas d'accord avec les conceptions de Mrs Johnson et il le dit : ‘« C'est parce que la formation des Roches est sociale qu'elle ne se borne pas, à faire vivre l'enfant dans le présent comme l'ont demandé certains membres de ce congrès et non des moindres (je pense, en particulier, à la remarquable causerie de Mrs Johnson)... »’ 143 Si l'éducation physique, les travaux manuels, les études concernent surtout la formation de la personnalité, c'est de la vie en communauté que dépend toute l'éducation morale : ‘« C'est surtout dans la vie de la maison que s'épanouit la personnalité morale de l'enfant »’ 144. Ce qui éduque la moralité d'un enfant à l'école des Roches, ne réside pas dans l'exemple de l'aîné mais dans l'attrait qu'il exerce chez les plus jeunes, un attrait "éducatif" qui le pousse en avant. Les enfants ne deviennent pas moraux en imitant le "bon exemple" mais en suivant l'appel qu'incarne la personnalité du capitaine. Cette formation morale se veut non seulement bénéfique au cadet mais aussi à l'aîné à qui incombe la responsabilité de plus jeunes, qu'il a la charge de guider et même de diriger. Le capitaine apprend ainsi que le véritable rôle de chef se réalise quand il ‘« se fait vraiment le serviteur de tous les garçons dont il est le chef »’ 145. Car le capitaine est aussi le gardien de l'esprit de l'école, d'ailleurs un Rocheux dont l'éducation est achevée est reconnaissable à son âme de chef. C'est donc essentiellement une éducation du caractère au service de l'équilibre et du bon fonctionnement social : former des hommes sur qui on peut compter à tous les niveaux de la société.

Toute l'éducation est morale à l'école des Roches parce que toute l'éducation y est sociale. Elle repose sur l'organisation de la discipline et de l'ordre laissée aux enfants, sur la vie collective qu'impose l'internat où les activités "extra-scolaires" ont un rôle éducatif essentiel. Les deux leviers de cette éducation restent la liberté et la responsabilité. Liberté de l'enfant dans la confiance que ses professeurs et éducateurs lui donnent. Mais liberté bien réglée par l'apprentissage de la responsabilité consentie. C'est ainsi que, pour Bertier, la liberté accordée à l'enfant est reconnue modérée, mais surtout progressive. Une manière de dire que la liberté n'est qu'un moyen pour l'éducation.

Notes
141.

« Le développement de la personnalité morale de l'enfant à l'école des Roches », P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 37.

142.

« Le problème de l'éducation en France à l'heure actuelle », P.E.N., n°1, janvier 1922, pp. 8-10.

143.

« Le développement de la personnalité morale de l'enfant à l'école des Roches », art. cit., p. 37.

144.

Id., p. 36.

145.

Ibid.