Tendre vers un idéal

Une voix un peu différente parmi les américains est celle de Mrs Johnson. On se souvient de son intervention à Heidelberg en défenseur de l'enfance contre l'adultéité, croyant avec force en la bonté essentielle de l'homme. Elle reconnaît comme ses compatriotes que par ‘« les exigences inhérentes au travail », l'enfant fera l'expérience d'une « discipline impersonnelle, immanente, la seule véritable, la seule qui conduise à la vraie liberté, celle de l'esprit »’ 200, celle dont découle la sincérité. Elle pense cependant cette organisation du travail nécessaire mais non suffisante, car il faut bien, pour que la jeunesse ait la force de combattre le mal - ce qui nuit à l'esprit - ‘« qu'elle possède assez de discernement pour savoir le reconnaître, assez de force pour pouvoir y résister ; mais par-dessus tout il faut qu'elle ait le désir du bien : il faut qu'elle ait un idéal »’ 201.

L'allemand Alfred Adler202 soutient également l'importance pour l'éducation de se choisir un idéal. Si on pose, dit-il, que le but de l'éducation est d'atteindre ‘« au meilleur développement possible de l'enfant »’ 203, alors religion, nationalité et conscience sociale ne sont plus que des moyens. Mais ce n'est pas suffisant et l'exigence principale pour l'éducation est de se donner un idéal « conçu comme universel » en éveillant les facultés chez tous par un entraînement intellectuel et moral, un idéal qui s'impose par « sa nécessité logique », et qui assure « l'utilité collective »204.

Il y a bien entre Mrs Johnson et Adler l'idée commune de tension vers un idéal mais, à y regarder de plus près, cette tension prend deux orientations différentes. Une liberté "de l'esprit", telle que Mrs Johnson la conçoit, est une liberté "par l'intérieur" et l'organisation sociale de l'école n'est alors que le moyen d'y parvenir. Tandis que pour Adler le développement de l'enfant est le moyen d'atteindre un idéal "extérieur" de liberté universelle et collective. Tendre vers un idéal n'a donc pas le même sens pour les deux orateurs. Tout dépend du point d'ancrage de leur réflexion, si la liberté est dans la personne, elle devient "moyen de" réaliser un idéal, au contraire, si la liberté est un aboutissement elle devient condition de réalisation de cet idéal.

Notes
200.

« La conservation de l'enfance et la coéducation », P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 201.

201.

Id., p. 202.

202.

Fondateur de l'Ecole de psychologie individuelle, à Vienne.

203.

« Le courage. Son importance dans l'éducation de l'enfant », P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 203.

204.

Id., pp. 203-204.