La question n'est pas nouvelle

Pour Bovet, le problème de la liberté en éducation est loin d'être nouveau. Pestalozzi disait déjà en 1774 le bien-fondé de la liberté et de l'obéissance et concluait que la liberté comme l'obéissance étaient de bonnes choses... Il n'y aura pas aujourd'hui de solution nouvelle pour l'éducation. Car le problème de l'éducation ne se pose pas de cette manière, l'éducation n'a pas pour fin d'éduquer à la liberté, la liberté n'est que le moyen de l'éducation. N'a-t-on pas pris pour fin dernière ce qui ne devait être qu'un moyen ? La liberté ne peut être un but final ni en morale, ni en politique, ni en éducation. La liberté est un moyen de développement, parce que l'enfant est un être actif dont les facultés se manifestent par l'exercice. C'est pourquoi elle est absolument nécessaire à l'éducation, à l'éducateur qui n'a pas d'autre moyen pour connaître l'enfant, à l'enfant qui n'a pas d'autre moyen de s'éduquer. ‘« La liberté de l'enfant est donc d'abord indispensable au maître »’ 215.

Ce que Bovet dit à Locarno n'est pas sans rappeler ce que disait Buber à Heidelberg... Et surtout cela interroge la justification ou non du présupposé de la liberté par l'éducation : faire de la liberté le but ou le moyen de l'éducation, c'est toujours en même temps la poser comme principe, comme postulat, c'est toujours reconnaître qu'elle est bonne en soi. Or la liberté n'est ni bonne ni mauvaise, elle est nécessaire, soutient Bovet. Une nécessité imposée par la nature de l'enfant, et non une obligation imposée par l'éducation. On ne se soustrait pas à la nécessité comme on néglige une obligation. Il n'est pas possible pour l'Education nouvelle, à partir du moment où elle décide de connaître l'enfant, de faire autrement que d'accepter la liberté constitutive de sa nature. C'est donc bien la nature de l'enfant qui est demandeuse de liberté et non l'éducateur qui la permet ou non.

On ne peut pas en conclure pour autant que les débats à Locarno n'ont pas su éviter cette lacune. La tentative de trouver un sens à ce mot ne prouve-t-elle pas le contraire puisqu'elle aboutit la plupart du temps à établir une opposition entre vraie et fausse libertés ? Les pédagogues de l'Education nouvelle ne croient pas à une liberté "bonne en soi", mais tous pensent détenir les moyens d'éduquer vers la "vraie liberté", sans vouloir reconnaître que si liberté de l'enfant il y a, alors peut-être qu'elle n'est pas entièrement de leur ressort...

Une manière de sortir de ce paradoxe, tout en l'évitant, serait de conclure que le congrès de Locarno ouvre sur un autre sujet de débat. Ainsi, le congrès suivant prévu à Elseneur en 1929 s'avère d'ores et déjà le congrès de la psychologie par le thème annoncé : ‘« la connaissance de l'individualité de l'enfant »’ 216. Un sujet qui, on le devine, ne peut éviter comme à Heidelberg de poser à nouveau le problème de la nature de l'enfant.

Notes
215.

« La liberté, but ou moyen », P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 176.

216.

A. Ferrière, « Chronique du congrès », P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 264.