L'enfant des psychologues n'est pas l'enfant des pédagogues

La psychologie nouvelle devient le moyen par excellence de la pédagogie. Pourquoi ? Ce qui importe pour les pédagogues, c'est moins la connaissance de l'enfant en général que celle des moyens d'atteindre l'enfant "concret" qu'ils ont la charge d'éduquer. L'Education nouvelle demande moins à la psychologie de lui fixer une ligne de conduite, des prescriptions, que de s'en faire une alliée. Elle demeure convaincue de sa nécessité pour fonder l'éducation sur la nature la plus particulière de l'enfant, mais elle ne peut pas croire que la psychologie doit lui indiquer le chemin à suivre : ‘« la psychologie doit la servir, jamais la diriger »’ 245, éclairer et non commander la pédagogie.

Et même s'il n'y a pas d'opposition ouverte entre elles, les préoccupations de la psychologie et de la pédagogie apparaissent différentes. Le problème du psychologue ne se pose pas de la même manière que celui du pédagogue. Le premier cherche à savoir ce qui détermine le comportement de l'enfant, le second se demande comment réaliser le développement de l'enfant. Nussbaum décrit bien les deux attitudes face à la diversité des enfants : celle du savant qui élabore ‘« une classification objective des types d'enfants »’, celle de l'éducateur qui veut trouver ‘« la loi commune, la loi vitale, unique, essentielle »’ 246.

Ferrière se fera l'avocat de cette thèse de la différence des points de vue sur l'enfant247. Il distingue la psychologie, qui recherche des lois générales sur l'Enfant, de la pédagogie, qui s'intéresse à l'enfant en particulier, celle-ci ‘« tend à atteindre les enfants, c'est-à-dire des individualités bien définies, diverses les unes des autres et qu'il faut connaître si l'on veut les diriger »’ 248. Et cela n'est pas le souci de la psychologie à Elseneur.

Notes
245.

R. B. Raup, « Psychologies de 1929 et Education nouvelle », art. cit., p. 44.

246.

« Observations sporadiques sur quelques enfants et recherche d'une échelle des valeurs pour leur classement », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 262.

247.

Il est remarquable de voir Ferrière, quelques années après le congrès international d'Education morale de Rome, reprendre une distinction qui avait fait le fond d'une critique virulente de l'Education nouvelle par Belot. Ce dernier tenait à distinguer la simple curiosité scientifique de la psychologie, de la nécessaire action pratique pédagogique. Il craignait que la préoccupation de connaître l'enfant adoptée par les pédagogues nouveaux ne les empêche de travailler à son éducation. Il existe une opposition indiscutable entre le point de vue du psychologue et celui de l'éducateur : « Le premier n'atteint son but que s'il laisse l'enfant se montrer pour ainsi dire à l'état de nature, et dès lors la liberté de l'enfant sera pour lui un axiome de méthode inéluctable. (...) la question posée par les initiateurs de "l'Education nouvelle", ne pourra se résoudre que par un compromis. (...) Ce serait la négation même de l'Education » (in Quatrième congrès international d'Education morale : Rome 1926. Compte-rendu, volume 3, Rome, C. Colombo, 1926, pp. 164-167).

248.

« De la nécessité d'orienter la psychologie vers l'étude de l'individualité », art. cit, p. 213.