L'enfant, entre nature et culture

L'enfant a désormais une nature sociale dès sa naissance, c'est cette nature que l'éducation développe par l'apprentissage et la maîtrise du langage et des instruments techniques nés du progrès. Il n'y a pas d'état naturel primitif, ‘« nous ne pouvons pas parler d'un enfant à l'état pur »’ 291, l'enfant est ‘« un être annexé à la société »’ 292 qui entre directement dans un monde recréé par la technique, régenté par "le social". Telle peut se résumer une nouvelle conception de l'enfant qui en fait le "produit" d'une culture. C'est pourquoi, Wallon trouve insuffisante la définition de l'enfant que fait l'Education nouvelle, et qui, en reconnaissant le droit de l'enfant à « faire respecter sa nature »293, veut le laisser se développer en toute liberté sans s'apercevoir que ‘« c'est pour l'enfermer, devenu grand, dans la cage de la profession »’ 294... Car il n'y a pas d'égalité dans la nature, il n'y a pas d'harmonie préétablie, comme elle le croit à tort. La nature est inégalitaire et ne distribue pas à tous les mêmes aptitudes. Il ne suffit pas de laisser se développer la nature de l'enfant car elle ne parvient plus à suivre le rythme de l'avancée sociale et des progrès techniques. L'éducation doit passer de l'idée de libération de potentialités à l'idée d'orientation selon des capacités, qui ne sont jamais naturelles puisque l'enfant ne développe pas toutes ses capacités possibles mais seulement celles qui sont "socialement" reconnues, pour qu'il s'adapte à la société. ‘« Car enfin, on ne peut demander pour tous une sorte d'égalité qui n'existe pas dans la nature humaine »’ 295. Il faut savoir "pour quoi" sont faits les enfants.

Cependant, les conceptions originaires de l'Education nouvelle sont encore loin d'être rejetées par tous. Mrs Ensor, Mlle Rotten, Ferrière s'accordent comme à la fondation de la Ligue pour redire que l'enfant est un potentiel d'énergie créatrice qui s'exprime spontanément par les besoins, les instincts, les tendances que l'éducation se doit d'utiliser dans le sens de la suprématie de l'esprit. Ainsi que le dit bien cette remarque de Mlle Angles296, les écoles maternelles françaises ont en commun ‘« le désir de mettre le plus possible l'enfant en contact avec les choses, avec la nature, où il s'épanouira spontanément en liberté »’ 297. Mais ce type de discours commence à se nuancer, ainsi Ferrière introduit l'enfant dans son milieu social futur, et assigne à l'école une double tâche, celle de "centrer" l'enfant et celle de le socialiser, en équilibrant l'activité individuelle et l'activité sociale.

Mais tout cela peut laisser perplexe au point que certains n'hésitent pas à définir l'éducation comme simple milieu dans lequel se développe librement et naturellement l'enfant298, tout en décrivant le rôle de l'éducateur comme action ‘« d'orienter ce développement dans le sens voulu par le milieu »’ 299, sans apercevoir les contradictions intrinsèques d'une éducation qui libérerait dans un sens préalablement déterminé...

Notes
291.

H. Wallon, « Culture générale et orientation professionnelle », art. cit., p. 246.

292.

Id., p. 248.

293.

Id., p. 246.

294.

Ibid.

295.

Ibid.

296.

Inspectrice générale des Ecoles maternelles au Ministère de l'Education nationale à Paris.

297.

« L'école maternelle française : l'adaptation aux besoins des enfants », P.E.N., n°82, novembre 1932, p. 275.

298.

J. Mirski, « Quelques remarques sur la science de l'Education », P.E.N., n°86, mars 1932, p. 69.

299.

Ibid.