L'origine du mal

Tout dépend de la réponse à la question précédente... De la place du vrai dépend l'origine du mal. Si ce qui est vrai est donné par la science, comme le pensent Claparède ou Piaget, alors le bien est dans la science, car la science est ce qui "doit être".

Ainsi, Van der Leeuw pense que le machinisme n'est pas responsable de tout le mal social ; mais par la science, l'humanité s'est constituée en organe vivant qu'elle refuse d'accepter moralement. Il lui faut pourtant consentir à en faire partie et non s'en détacher, pour que la véritable liberté, ‘« l'identification au tout »’ 304 soit possible. Le mal est bien là dans le fait que ‘« l'homme ne sait pas dominer ses propres créations »’ 305. L'opposition qui a cours dans l'Education nouvelle, celle de Gandhi ou de Tolstoï, entre matière et esprit est en réalité un faux-problème car ‘« l'univers matériel s'est spiritualisé ; et nous ne pouvons plus attendre notre spiritualisation de l'au-delà »’ 306. Le monde souffre par manque de foi en lui-même.

Pour Ghandi, explique Ferrière307, même si le mal est cause de souffrance, la souffrance n'est pas le mal. Le mal, c'est de se détourner de la Vérité, qui est une, qui tend vers l'unité. Le bien, c'est alors se rapprocher de la raison parce qu'elle unifie : la raison est la ‘« route du Bien social, la voie du bonheur vrai »’. Mais l'homme n'a plus l'usage de sa raison, c'est là tout son malheur. Il l'a ruinée comme il ruine sa propre santé, il se fait l'esclave de besoins qui ne sont pas de vrais besoins : ‘« L'homme accuse son prochain, toujours, quand c'est en lui qu'est le mal, en lui que gisent l'erreur et la servitude »’ 308. L'homme est seul responsable du mal, responsable de l'avoir introduit dans la nature. Aucun des moyens techniques artificiels qu'il a sa disposition ne peut résorber ce mal, la seule solution est dans ‘« la résistance sans violence brutale au mal, par la seule force de la volonté intérieure »’ 309, autrement dit la force de l'esprit.

Entre ces positions extrêmes se situe tout un éventail de positions intermédiaires et conciliatrices. Deux positions extrêmes que Ferrière relève dans une discussion entre un prêtre catholique, le Père Chatelain de Belgique, et le Docteur Roubakine d'Union Soviétique. Le premier demandant au second : « Que faites-vous de la vie spirituelle ? » ; le second renvoyant au premier : « Que faites-vous en matière de réalisations concrètes sur le terrain social ? »310.

Notes
304.

« La tâche de l'éducation dans la crise mondiale », P.E.N., n°83, décembre 1932, p. 315.

305.

Id., p. 317.

306.

Id., p. 318.

307.

A. Ferrière, « Ghandi et la santé : prévenir ou guérir », art. cit., p. 16.

308.

Id., p. 17.

309.

Id., p. 16.

310.

« En marge du congrès », P.E.N., n°81, octobre 1932, p. 236.